Intronisé le 21 juin dernier à Ouagadougou par le Moogho Naaba Baongo, empereur des Mossé, le nouveau chef de Toudou dans la province du Bazéga qui a pris pour nom de règne «Naaba Tigré» (l’abondance) a effectué son yikienré (intégration du palais) le 28 juin 2016 en début de soirée.
Le yikienré a été le couronnement d’un processus entamé depuis le départ de Naaba Tigré de Ouagadougou, le 24 juin dans la matinée et marqué par des escales dans des localités et lieux où des rites ont été accomplis et destinés pour l’essentiel à remercier les ancêtres et à leur demander santé, protection et abondance pour le nouveau chef et les habitants de Toudou, province du Bazèga.
Le clou de cette journée du 28 juin a été sans conteste l’entrée du nouveau chef sur son territoire. En effet, c’est dans une folle ambiance rythmée par des youyous, des bruits de tambours, de klaxons de motos et de voitures qu’une foule nombreuse composée des habitants de Toudou, de parents, amis et connaissances venus de contrées proches ou lointaines, a accueilli Naaba Tigré. Le nouveau souverain, monté sur un cheval bien harnaché, était vêtu d’un boubou blanc avec à l’épaule gauche, une longue écharpe rouge aux deux extrémités bordées de fils en lanières de couleur jaune. Il portait également un bonnet rouge et des babouches de fabrication traditionnelle locale.
Le cortège s’est ébranlé sur plus de deux kilomètres au bout desquels Naaba Tigré s’est arrêté dans un bosquet pour accomplir le premier rite sur le territoire qu’il commande avant de rejoindre la cour de son logeur. Là, le nouveau chef a reçu l’allégeance de ses sujets et les salutations de ses parents, amis et connaissances qui lui ont tous souhaité une santé de fer et plusieurs bika (tranche de trente ans de règne). Il y est resté pendant quelques heures avant de poursuivre l’accomplissement d’autres rites intervenus en début de soirée et qui ont consacré définitivement la cérémonie du yikienré .
Deux jours après son intronisation, soit le jeudi 23 juin, le nouveau chef de Toudou avait été reçu dans la matinée par le Moogho Naaba Baongo en son palais.
Au cours de l’audience, l’empereur des Moossé lui a demandé d’être un chef rassembleur et à l’écoute de tout le monde (le riche et le pauvre, le bien portant et le handicapé). Il a aussi invité les chefs coutumiers et les sages qui accompagnaient le nouveau chef et tous ceux, soucieux du bien être de Toudou, à le soutenir afin qu’il fasse un règne exemplaire. En attendant le tomk-yuka (grande cérémonie de remerciements) qui doit intervenir en principe dans trois ans, Naaba Tigré était allé le mercredi 22 juin, lendemain de son intronisation, exprimer sa reconnaissance à Sa Majesté et à chacun de ses ministres pour lui avoir confié la responsabilité de son ba-roogo (la maison de son père) c’est-à-dire le trône de Toudou. Il avait effectué le même parcours le samedi 18 juin pour présenter sa candidature.
Il importe de souligner que contrairement aux idées reçues, la démocratie politique existait bel et bien dans nos sociétés traditionnelles. Chez les Moossé du Plateau central par exemple, et peut-être ailleurs, la coutume veut que le pouvoir se conquiert à plusieurs, même si, par principe, c’est le premier fils qui est d’office prince héritier, ce qui n’empêche pas pour autant ses frères ou oncles paternels qui le veulent, de se présenter. Et quand il n’y a pas de candidats déclarés autres que le prince héritier, on en trouve un, factice, membre de la famille, pour jouer le rôle de concurrent. C’était le cas pour Toudou et tant mieux car, comme on le constate, la lutte pour la conquête du trône a toujours divisé et continue de diviser de nombreuses familles en pays moaga.
Si autrefois les candidats malheureux étaient d’office condamnés à l’exil, aujourd’hui ce n’est plus le cas et c’est certainement ce qui aggrave la situation puisque le vainqueur et le ou les vaincus se côtoient tous les jours et se regardent en ennemis jurés, attisés en cela par les hommes politiques.
La coutume en pays moaga veut également que le nouveau chef, une fois intronisé, prononce trois zab-yuyan (noms de guerre au pluriel ; zab-yuuré au singulier). Le premier zab-yuuré est généralement destiné à remercier celui qui l’a fait roi, le deuxième est habituellement une prestation d’allégeance et le troisième peut être considéré comme le programme politique du nouveau chef. Mais si la lutte a été féroce entre les concurrents, certains zab-yuyan du vainqueur peuvent prendre l’allure d’une mise en garde contre toute velléité et les cas de noms de guerre vraiment guerriers abondent dans l’histoire des royaumes mossé ou apparentés. Sommairement traduits, le premier zab-yuuré du nouveau chef de Toudou dit que «Si le paralytique se retrouve au sommet du rônier, il se doit de remercier celui qui l’a aidé à y être». Quant au deuxième, il dit que «Le puits a fait allégeance à la pluie et ne tarira jamais». Le troisième enfin stipule que «L’abondance a pris pied dans la maison et les enfants jubilent en même temps que les propos des personnes adultes vont reprendre de la hauteur». C’est ce troisième zab-yuuré qui vaut à Naaba Tigré (l’abondance) son nom de règne.
Dans cet esprit et suivant en cela les conseils de Sa Majesté le Moogho Naaba Baaongo, le nouveau chef a dit qu’il place son règne sous le signe de l’unité des fils et filles de Toudou, en particulier celle de la jeunesse qu’il compte sensibiliser et mobiliser pour le développement de la localité.
Buud-Yam Mathieu Tiendrébéogo à l’état civil, Naaba Tigré, le nouveau chef de Toudou, est âgé de quarante deux ans. Il succède à son père, le Naaba Sanem, intronisé en juin 1974 et décédé le 13 novembre 2015 ; après donc quarante et un ans et demi de règne. Selon les documents en notre possession, l’histoire de Toudou en tant qu’entité coutumière, remonterait à plus de huit cents ans avec pour premier chef, Naaba Zoetdkoudmin qui aurait régné de 1297 à 1369. Naaba Tigré serait le 18ème et le territoire sur lequel il règne désormais, compte seize villages, y compris Toudou, le chef-lieu. Sa population est estimée à 14 500 âmes. Hiérarchiquement, Toudou relève du fief du Goungha-Naaba, un des ministres de Sa Majesté le Moogho-Naaba.
Sur le plan administratif, Toudou relève de la commune rurale de Toécé, province du Bazèga, région du Centre-Sud. Il fait frontière, dans sa partie ouest, avec le barrage Bazèga qui a donné son nom à la province.
Antoine KIENDRE Journaliste, membre de la Famille royale de Toudou