Démantèlera ? Démantèlera pas ? C’est la question fondamentale qui agite la société burkinabè au sujet des groupes d’autodéfense. Des débats qui font ressortir toutes les difficultés liées à la résolution de cette équation. Oumarou Yaro, un des pères fondateurs de la police de proximité au Burkina Faso, pense pourtant que la solution est toute simple. Dans cette interview qu’il nous a accordée le samedi 16 juillet dans les locaux de l’Obs., cet ingénieur conseil en formation fait un flash back sur la police de proximité telle qu’ils l’avaient conçue, avant d’émettre l’idée des états généraux des Koglwéogo en vue de mieux les organiser et repartir sur de nouvelles bases.
D’où vous est venue, à l’époque, cette idée de créer une police communautaire ?
Les questions sécuritaires relèvent de la souveraineté de l’Etat. Mais en faisant une analyse, nous nous sommes rendu compte que l’Etat ne pouvait pas tout faire. Il fallait que les populations elles-mêmes s’impliquent, s’organisent pour prendre en charge une partie de leur sécurité. C’est ainsi qu’en 2002, nous avions mis en place une organisation dénommée Association burkinabè des volontaires du développement (ABVD) dont l’objectif premier n’était pas de créer une police communautaire, mais de participer à l’amélioration du bien-être de ses membres. Mais avec cette question sécuritaire qui se posait avec beaucoup d’acuité, nous avons voulu apporter notre contribution. A cette préoccupation, est venue se greffer celle de l’assainissement, car nous nous disions que les agents de sécurité communautaires pourraient empêcher les riverains de jeter des ordures dans les caniveaux, de vider les produits des fosses septiques n’importe où, pour ne citer que ces actions.
Quelle était la zone d’intervention de cette association ; était-elle locale ou à visée nationale ?
C’est une association nationale, mais on voulait aller progressivement. On avait décidé de commencer l’opérationnalisation de la police de proximité à Ouagadougou en 2004. On visait 3 000 agents de sécurité communautaire organisés dans les différents secteurs. L’exécution du projet était tripartite, voire en quadripartie c’est-à-dire les communes, la police, la gendarmerie et nous, de l’association, qui n’étions que des facilitateurs.
On sait que vous avez eu des difficultés avec certaines autorités de l’époque et des personnes qui souhaitaient adhérer à l’association. Que s’est-il passé concrètement?
C’est un problème de communication qui est survenu à la dernière minute avec les autorités communales et les forces de sécurité. C’est le ministre Simon Compaoré qui était le maire de Ouagadougou. Nous n’avons pas compris grand-chose à cette situation, car nous avions intégré auparavant la police et la gendarmerie dans notre projet ; le partenariat était déjà même signé. Je pense que les autorités sont revenues sur le fait que la sécurité relève de la souveraineté de l’Etat. Nous avions été interpellés, à l’époque, par le ministre de la Sécurité, Djibril Bassolé qui a parlé d’un débordement. Certains qui étaient venus déposer leurs dossiers avaient pensé qu’on allait les recruter, leur donner des salaires, alors que nous n’avions pas de fonds déjà disponibles. Cela nous a amenés à revoir les conditions de recrutement. Nous avions décidé que seuls les membres de l’association pouvaient déposer leurs dossiers pour être des agents de la police communautaire. Il fallait ainsi que les postulants payent les frais d’adhésion à l’association, les cotisations annuelles et les frais de dossier, le tout faisait 3 500 francs CFA. Les jeunes n’ont pas trouvé de problème à cela. Mais il y a eu des pressions venues de je ne sais où et finalement, on a entendu un communiqué à une radio, de même qu’une bande passante à la télévision nationale qui disait que la commune de Ouagadougou n’était mêlée, ni de près, ni de loin à cette activité. Finalement, les gens ont pensé que c’était une arnaque qui s’organisait alors que nous avions de nobles intentions. Du reste, tous les frais d’adhésion que les gens ont payé, à l’époque, ont été versés sur un compte dans une institution de microfinance, laquelle s’était engagée à aider ces jeunes à s’insérer professionnellement. De plus, c’était la présidente d’alors du Conseil économique et social (CES), Juliette Bonkoungou, qui était notre marraine. Lorsqu’elle n’était plus à la tête de l’institution, nous avions entrepris des démarches auprès de son successeur, mais ce dernier n’était pas trop intéressé au dossier.
Après l’échec de votre projet, l’Etat a lancé sa police de proximité, notamment à Koupéla. Pensez-vous que les autorités ont volontairement fait échouer votre projet pour se l’accaparer ?
Nous ne pouvons pas affirmer que l’Etat a tué notre projet pour le reprendre. Mais dans une certaine mesure, nous sommes sûrs qu’il a dû s’inspirer de notre expérience. Le lancement à Koupéla a été fait le 18 juillet 2005, soit une année après le nôtre. Le décret sur la police de proximité a été pris le 18 mai de la même année. Nos documents étaient assez fournis et les autorités suffisamment informées ; donc nous estimons que notre expérience a certainement servi à quelque chose.
Quel était précisément le rôle des volontaires de sécurité sur le terrain ? Est-ce qu’ils pouvaient par exemple appréhender un suspect ?
Les agents étaient organisés en groupe de 12. Dans chaque groupe, il y a deux gendarmes et deux policiers qui étaient leurs points focaux. Par exemple, la nuit, ils étaient équipés de matraques, de sifflets pour donner l’alerte, et de téléphones portables. Dès qu’ils appréhendaient un voleur, ils le remettaient aux policiers ou aux gendarmes qui relevaient de leur groupe.
Est-ce qu’avec une simple matraque on peut appréhender tout type de voleur?
Les volontaires sont d’abord des agents de renseignement qui sont présents en permanence sur les lieux. Dans chaque « six mètres », il devrait y avoir 3 ou 4 personnes éveillés toute la nuit pour donner le signal en cas de danger, sans compter les patrouilles de la police. A vu de leur collaboration avec les forces de l’ordre, ils devaient pouvoir participer à appréhender n’importe quel voleur, quel que soit leur équipement.
En tant qu’initiateur d’une police communautaire, quel regard jetez-vous sur le fonctionnement actuel des Koglwéogo qui défraient aujourd’hui la chronique ?
Nous avons vu venir l’histoire des Koglwéogo. Le réflexe individuel amène chacun à s’organiser et à prendre des précautions pour sa propre sécurité. Cependant, notre police de proximité ne devait pas fonctionner comme les Koglwéogo actuels. Nous avions voulu d’abord d’une structure communautaire forte et bien encadrée par les forces de sécurité. Ensuite, il nous fallait un ancrage institutionnel pour la police de proximité, ce qui n’est pas le cas des Koglwéogo d’aujourd’hui, alors qu’il y a des ouvertures juridiques. Un autre point non moins important, c’est la question du financement : nous avions misé sur l’autofinancement. Pour notre projet, en une semaine, on avait déjà mobilisé près de 17 millions de francs CFA qui allaient déjà servir à la formation des jeunes, à leur équipement, à leur encadrement. Ces Koglwéogo ont été créés avant qu’on pense au financement. Ce sont des groupes qui ont leur place dans notre pays, mais ils ne réussiront pas sous le format actuel. De plus, beaucoup d’entre-eux ne comprennent pas grand-chose aux questions de fonctionnement de l’institution judiciaire et de droits de l’homme tels que le Blanc nous les propose. Dans notre projet, le partenariat avec les forces de sécurité était fait de telle sorte que le processus de renseignement, d’information et d’appréhension du voleur puis sa remise aux agents de sécurité soit prédéfini.
Votre projet était parti pour réussir ; qu’est-ce qui n’a pas marché selon vous ?
Il y a eu un problème de communication comme je le disais…
Mais, est-ce qu’il ne dérangeait pas à un certain niveau ?
Non, il ne dérangeait pas puisque nous avons été félicités par les plus hautes autorités de l’époque, dans un échange de courrier entre l’ex-président du Faso, Blaise Compaoré, et notre marraine, Juliette Bonkoungou, pour l’idée de cette police de proximité qui allait participer à résoudre les questions de sécurité d’autant plus qu’on ne peut pas mettre un policier ou un gendarme devant la porte de chaque Burkinabè.
Est-ce qu’après ce problème de communication, vous avez entrepris une démarche auprès des autorités pour savoir ce qui vous était reproché au juste ?
Oui, nous avons été convoqués par les autorités, nous leur avons expliqué toutes les démarches, les autorisations que nous avons eues pour mener nos activités. Elles nous trouvaient assez jeunes, d’aucuns disaient que nous ne sommes pas du domaine de la sécurité pour réussir un tel projet. L’autorité nous a adressé une correspondance pour nous dire de surseoir au volet sécuritaire et de poursuivre avec celui de l’assainissement, or c’est le premier qui supportait le second. Cela nous a quelque peu découragés et nous avons suspendu pour voir comment est-ce que les choses allaient évoluer ? Quand l’histoire des Koglwéogo a commencé, des gens nous ont appelés pour dire qu’ils préféreraient notre formule initiale de 2004. Nous sommes fiers d’avoir eu cette vision, même si cela n’a pas abouti ; nous espérons pouvoir continuer à jouer un rôle quelconque dans ces initiatives communautaires.
Vous êtes un observateur bien avisé des questions de sécurité et les Koglwéogo existaient dans certaines localités au début des années 2 000.Concernant ces groupes, il y en a qui suspectent des personnalités d’être derrière eux. Quelle est votre lecture ?
A notre temps, il n’y avait personne derrière nous. Nous apprécions les résultats qu’ils obtiennent, par moments, mais je pense qu’il y a lieu qu’on les recadre, les réoriente. Maintenant si d’aventure il y a quelqu’un derrière ces Koglwéogo, je pense que c’est à cette personne de jouer ce rôle d’encadrement et de faire en sorte qu’ils ne deviennent pas des milices ; c’est là, la crainte de tous les défenseurs des droits de l’homme. Les Koglwéogo doivent être encadrés au niveau de leurs communes. De nos jours, nous avons vu certains quitter un point A pour aller à 200 km arrêter des voleurs, c’est cela qui amène les dérives. Ils imposent ensuite des amendes parce qu’ils n’ont pas d’autres sources de financement ; Nous, on avait prévu la participation communautaire. Si nos communautés acceptent les intégrer, les financer, il n’y a pas de raison qu’ils ne réussissent pas. Tant que nous ne résoudrons pas cette question de prise en charge, nous ne pourrons pas les ramener dans la République. Ce sont des gens qui se nourrissent, qui se déplacent,… les Koglwéogo considèrent les amendes comme d’abord une sanction pour les voleurs et ensuite ça leur permet de subvenir à leurs besoins.
Et quelle serait, selon vous, la formule appropriée pour résoudre cette équation de prise en charge ?
Il faut une participation communautaire comme je le disais ; cela peut se faire à deux niveaux. D’abord les ménages contribuent et à l’époque nous avons fait une étude qui a démontré que les ménages étaient prêts à casquer parce qu’il s’agissait d’une question de sécurité ou d’assainissement de leur milieu. Ensuite, les communes peuvent prévoir quelque chose dans leur budget pour désintéresser ces agents de sécurité communautaires. Sous la Transition, je crois qu’il y a eu une loi pour récompenser les personnes qui dénoncent ou arrêtent des voleurs. On peut également primer ces agents pour le travail qu’ils abattent à chaque fois qu’ils feront des prises ; si les enquêtes prouvent que la personne est effectivement coupable. L’Etat peut aussi prévoir une taxe de sécurité communautaire qui sera prélevée sur un produit donné. Cela peut être perçu par exemple sur l’activité des sites miniers. Les membres composant la majeure partie de ces groupes sont des agriculteurs ou des éleveurs, l’Etat peut organiser annuellement des récompenses, notamment des outils de productions, donc il y a beaucoup de pistes de financement qui peuvent être explorées si ces Koglwéogo sont bien organisés. En tout état de cause, l’Etat doit rester intransigeant, rester le seul maître du jeu et faire en sorte que chacun joue bien son rôle.
Les Koglwéogo ont acquis une certaine liberté, il y a eu une rencontre entre eux et le ministre Simon Compaoré pour essayer de les « republicaniser », est-ce qu’à l’heure actuelle, il n’est pas trop tard ?
Il n’est jamais trop tard pour bien faire, le dialogue que le ministre a initié avec les Koglwéogo doit d’abord être maintenu et on peut, par la suite, convoquer des états généraux sur la police de proximité. Cette tribune va permettre de recadrer un certain nombre de choses, accoucher d’un plan de communication pour pouvoir insérer les Koglwéogo dans la République ; si la volonté y est et que l’Etat décide de mettre tous les moyens qu’il faut, il n’est jamais trop tard.
Un tandem entre policiers/gendarmes et Koglwéogo, ça peut marcher ?
C’est un schéma que l’on devait imaginer au départ et non à l’arrivée. Maintenant que le problème est posé, il faut beaucoup de communication d’autant plus que beaucoup ne comprennent rien à ces questions de droits de l’homme. Si j’étais à la place du ministre de la Sécurité, j’allais demander une trêve, on me dira que les questions de sécurité n’attendent pas, mais je la demanderais pour qu’on puisse mieux coordonner, mieux s’organiser et se comprendre avant de repartir sur de nouvelles bases. Le nom Koglwéogo pourrait être changé, qu’on leur définisse des thèmes de formation (droits de l’homme, organisation de l’appareil judiciaire, comment ils doivent se protéger eux-mêmes), mener au préalable une enquête de moralité,., le processus est certes long, mais on doit pouvoir trouver le juste milieu pour que les questions de sécurité soient résolues.
Récemment des Koglwéogo qui poursuivaient des présumés voleurs ont été interpelés au Niger puis remis aux autorités burkinabè ; quel commentaire faites-vous de cet incident ?
Il s’agit toujours de la question de formation, ces personnes ne connaissent pas les questions de frontières, le droit international, ils ne savent pas que quand ça se passe sur un autre territoire, il y a d’autres démarches à suivre. C’est vrai que nos frontières sont assez poreuses, mais il peut même y avoir une collaboration avec d’autres structures du même type venant de pays voisins. En Côte d’Ivoire, il y en a, même si on n’en parle pas ; au Niger également il y a des tentatives. J’ai même appris qu’il y a eu un voyage d’études d’une communauté de ce pays pour s’inspirer des Koglwéogo du Burkina Faso, bien que ces groupes ne fonctionnent pas bien.
Pourquoi vous ne ravivez pas votre projet, puisque la question sécuritaire demeure ?
Nous étions douze membres fondateurs de l’ABVD. C’est mon cousin Ousmane Nadié qui coordonnait les activités. Il a été fauché par la mort et cela nous a quelque peu refroidis. L’association existe toujours, elle n’a pas été dissoute, on nous a permis de continuer avec le volet assainissement, mais on n’avait pas assez de perspective d’évolution pour atteindre des résultats probants. Nous retiendrons cette idée, puisqu’il n’est jamais trop tard pour bien faire ; cependant si l’autorité demande notre avis en fonction de notre expérience, nous le partagerons, nous serons toujours présent dès lors qu’il s’agit de discuter pour le bien-être des Burkinabè.
Propos recueillis par
Aboubacar Dermé, Hugues Richard Sama