Ce vendredi 15 juillet 2016 en rappelle un autre, dramatique celui-là, de janvier. Six mois après, que sont devenus les établissements qui ont été la cible de l’attaque terroriste et, par-delà eux, quel est l’avenir de l’avenue, autrefois très animée Kwame-N’Krumah.
Nous sommes un vendredi 15. La dernière fois que c'est arrivé, c'était en janvier 2016. Ce jour-là la soirée promettait d’être belle et chaleureuse comme toujours sur la plus belle avenue de la capitale, qui plus est en cette veille de week-end. Sitôt la nuit tombée, les terrasses des maquis qui ont pignon sur rue commencent à se remplir Ici des couples d’amoureux qui se caressent des yeux ; là des hommes d’affaires attablés avec au menu un projet porteur ; plus loin des voyageurs en attente de leur vol profitent une dernière fois des poulets bio qui font la réputation de Ouagadougou.
Un vendredi comme un autre donc. Sauf que ce vendredi-là n’allait pas être comme les autres. Six mois, jour pour jour, se sont donc écoulés depuis les terribles attaques qui ont endeuillé Ouagadougou. En cette triste soirée, des assaillants avaient mitraillé la terrasse du restaurant «le Cappuccino» avant de se retrancher avec des otages dans l’hôtel Splendid pour finir au Taxi Brousse, au centre de la ville. Sur le carreau : 30 morts et près de 70 blessés, soit le plus meurtrier qu'ait connu le Burkina Faso. Dès le lendemain, le groupe Al-Qaida au Maghreb islamique (AQMI) avait revendiqué ce carnage. Jusqu'à l'attentat et nonobstant quelques incursions terroristes à Tembao, Oursi et Samorogouan tout au long de 2015, le pays passait encore pour un îlot de stabilité dans une zone sahélienne gangrenée par les groupes djihadistes.
Propriétaires déboussolés et avenir compromis
Six mois après, la tension des chefs d’établissements qui ont été touchés est toujours palpable. Chacun à son niveau et à son rythme essaye de se relever de cette période, mais ce n’est pas si simple. La fréquentation de cette rue autrefois très animée est devenue faible. Zeïnatou Kontogomdé, la propriétaire du Taxi Brousse, établissement où les assaillants ont été tués lors de cette macabre nuit, confie «La clientèle se fait plus rare, heureusement à mon niveau je n’ai pas eu à licencier mes employés, nous avons seulement discuté afin de baisser les salaires. Cependant, ça ne fonctionne pas comme avant, la rue n’est plus du tout animée ». Gaëtan Santomenna, propriétaire du restaurant «Le Cappuccino», qui a perdu son quatrième fils, sa femme ainsi que plusieurs de ses proches lors du drame, sur l’avenir de son maquis : « Aucune décision n’est encore prise pour le Cappuccino, mais une chose est sûre, tant que la rue ne sera pas sécurisée, il ne sera pas question de réouverture. Les commerçants de la rue doivent s’impliquer pour avancer. Un seul commerce ne peut pas remettre en cause l’activité de toute une rue, autrement c’est qu’il y a un véritable problème de fond ». Madeleine Zongo, épouse du P-DG du Splendid Hôtel, au chevet de son mari souffrant, n’a pu nous recevoir. Tout ce que nous savons, c’est que l’hôtel est encore en chantier. Outre les dégâts matériels causés par les terroristes et les forces de défense et de sécurité durant l’assaut, et dont les réparations vont coûter beaucoup d’efforts et d’argent aux propriétaires principalement pour le Splendid et le Cappuccino, c’est la fréquentation des endroits de détente et d’approvisionnement jouxtant la rue qui en souffre. Kwame-N’krumah, c’était l’avenue des affaires, le symbole de la modernité qui faisait la fierté des Ouagalais. Depuis que des terroristes ont décidé d’ôter l’âme de cette avenue en massacrant des innocents pendant qu’ils vaquaient paisiblement à leurs occupations, le commerce y est devenu difficile y compris pour les marchands ambulants ayant perdu une grande partie de leur clientèle.
Les petits commerçants attendent un signe de l’État
C’est à la table de la proprio du TB comme l’appellent les initiés que deux des commerçantes dont les échoppes jouxtent le bistrot se sont exprimées. Ce qu’elles attendent ? Un Etat qui leur parle et les soutiennent. Elles ont été victimes d’impacts de balles sur la devanture de leurs magasins. L’une d’elles soupire : «Pendant trois semaines ils ont bloqué le passage qui conduit aux boutiques ; ils n’en ont même pas parlé à la télé. Une fois le passage libéré, ils ne m’en ont pas avertie, et des bandits sont venus dans mon magasin puisque je n’avais pas eu le temps de baisser la grille de sécurité. Ce sont les forces de l’ordre qui ont tiré ici, on devrait avoir quelque chose. On n’a vu aucun responsable pour nous demander ce qui s’était passé. Au niveau de la gendarmerie, c’est pareil, on ne savait pas à qui s’adresser pour faire notre déposition». Zeïnatou Kontogomdé poursuit : «Depuis que l’attaque a eu lieu, aucun officiel n’est venu vers moi me demander comment ça se passe et dire si nous allons être dédommagés ou pas. Donc ce que l’on devient, ils s’en foutent. Nous on essaye d’avancer, de nous relever, c’est tout. Si l’Etat fait quelque chose tout ira mieux, mais là ce n’est pas le cas et après 22h la rue est vide ». D’après les différents témoignages, il est clair que la politique sécuritaire du pays est à repenser. La lutte contre le terrorisme concerne tous les Burkinabè. Il s’agit d’éviter le repli sur soi et la fragmentation des sociétés distillée par la peur. Seuls la coopération scientifique, culturelle, humanitaire, les échanges économiques sont à même de répondre aux stratégies des djihadistes visant à installer la peur, le repli identitaire, la xénophobie et à créer des territoires de danger. Six mois seulement, six mois déjà et le centre des affaires de Ouagadougou ne retrouve toujours pas son activité d’antan. Y parviendra-t-il seulement un jour ?
Barbara Debout
Encadré
Qu’en est-il de la clientèle?
Lorsque l’on se promène un mercredi soir sur l’avenue, il est aisé de se rendre compte du manque de clients. Ce soir-là, il est 21h et il y a une coupure d’électricité. L’avenue est plongée dans le noir pendant presque 40 minutes. Ce qui est loin d’être rassurant dans cette zone spécifique. Cependant, il est possible d’apercevoir quelques clients en terrasse. Sami Oudréaogo, 27 ans, un habitué de Kwame-N’Krumah, explique : « Peur de revenir sur cette avenue, c’est un terme fort, je préfère dire que l’on essaie d’être prudent, mais avant les attaques on passait la journée ici. A l’heure actuelle, ce n’est plus le cas et nous faisons attention à tout puisque des gens sans foi ni loi peuvent être partout ». Pour Sana Eboussa, 25 ans, c’est différent : «Je n’ai pas peur de revenir, c’est arrivé et c’est triste, mais c’est comme ça. Si demain le Cappuccino rouvrait, je redeviendrais cliente». Lorsque nous demandons à Thierry Boulos, propriétaire du restaurant La véranda, il confie : « Partout l’activité se porte bien sauf ici, les gens prennent à emporter mais c’est rare qu’ils viennent s’installer comme avant. Les gens ont moins peur, mais ils sont tout de même vigilants ». Bien que les témoignages diffèrent, 6 mois après, la méfiance de la clientèle est indéniable. L’ambiance d’autrefois attirant les foules sur l’avenue Kwame-N’Krumah s’est transformée en un souvenir agréable teinté d’amertume.
B.