Le directeur général de l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF), Amadou Yaro, est à couteaux tirés avec le comité de la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGT-B) dudit établissement. Le syndicat lui reproche d’être «illégalement revenu» à la tête de l’ENAREF après la suspension de son contrat consécutive à sa nomination au gouvernement de la Transition. Pour les syndicalistes, l’ancien ministre du Développement de l’économie numérique et des postes doit rendre le tablier. Car, en plus d’être dans l’illégalité, ils affirment que sa gestion financière est « opaque ». Le directeur réfute toutes ces accusations.
Le 23 novembre 2014, le Directeur général (DG) de l’Ecole nationale des régies financières (ENAREF), Amadou Yaro, est appelé à servir dans le gouvernement de la Transition en qualité de ministre du Développement de l’économie numérique et des postes. Le nouveau ministre doit, selon les usages, «abandonner» son fauteuil de DG afin de siéger au sein de l’exécutif burkinabè. Le Conseil d’administration (CA) de l’ENAREF, présidé par Ramata Sakandé, lui donne donc quitus pour rejoindre l’équipe gouvernementale de Yacouba Isaac Zida. Son contrat obtenu après un appel à candidature et confirmé en conseil des ministres en octobre 2011 est ainsi suspendu. L’intérim est assuré par le Secrétaire général (SG) dudit établissement, Mohamed Zongo. Après 13 mois d’exercice au sein de l’exécutif, Amadou Yaro retrouve le 14 janvier 2016, son fauteuil de DG de l’ENAREF.
Le comité de la Confédération générale des travailleurs du Burkina (CGTB) de ladite école s’interroge sur ce retour. C’est le début d’une « guerre froide » entre les syndicalistes et le DG Yaro. Selon le secrétaire général du comité CGTB de l’ENAREF, Seydou Guira, le décret N°2008-891/PRES/PM/MEF portant rémunération du Premier ministre, des présidents d’institutions et des membres du gouvernement sur lequel le CA s’est fondé pour suspendre le contrat de leur DG, en son article 4 est précis : « Lorsque la personne, avant sa nomination, est employée dans une société d’Etat, une société d’économie mixte ou dans un établissement public de l’Etat, elle est d’office mise à la disposition de l’Etat et retrouve son emploi d’origine à la fin de sa fonction politique ». Il commente : « On a bien dit emploi. Un emploi est différent d’une fonction. DG est une fonction ou un poste. Mais aucunement, ce n’est un emploi. Tous les spécialistes le savent, il n’y a aucune confusion qui puisse se faire entre un emploi d’origine et une fonction issue d’une nomination». Pour lui, les emplois sont permanents et les fonctions précaires. M. Guira affirme que l’article 4 ne souffre donc d’aucune ambiguïté. « S’il (le DG) était professeur permanent à l’ENAREF, il doit revenir comme professeur permanent, mais pas comme DG », estime-t-il. Au sein du mouvement syndical, la contestation se durcit davantage, les uns et les autres exigent que les textes soient « respectés ». « Nous avons attaqué, au niveau du ministère de l’Economie et des finances, cette décision du CA de faire revenir M. Yaro comme DG. Une rencontre entre le comité CGTB, le conseiller technique Patèméma Kalmogo, la présidente du CA et le DG par intérim a eu lieu le 5 février 2015. Nous avons encore fait savoir qu’il n’y a pas d’emploi de DG au Burkina Faso. Ensuite, nous avons demandé de nous donner un seul exemple de ministre burkinabè qui a suspendu son contrat dans une société, un établissement public ou un organisme international pour servir dans un gouvernement et retourner pour récupérer sa fonction d’origine», argumente-t-il. Cela suppose, à ses dires, que le poste pourrait rester vacant une dizaine d’années quand on sait que sous nos tropiques, il y a des ministres qui restent longtemps à leur poste. A l’issue de cette rencontre, par voie de presse, un avis de recrutement d’un nouveau DG est alors lancé, le 27 mai 2015 par le ministre Sanon. «Ce que nous avons démontré les avait convaincus. Le ministre m’a convoqué et c’est lui-même qui nous a rassurés publiquement que l’ENAREF allait avoir son nouveau DG avant les vacances ministérielles. Il m’a montré trois dossiers en me précisant qu’après avoir lancé l’avis de recrutement, le DG de l’ENAREF sera choisi parmi ces trois personnes», relate Seydou Guira. Aucune suite ne sera donnée à l’appel à candidature pour succéder au «DG-ministre». Au contraire, à l’issue de la Transition politique, le CA a levé la suspension du contrat de l’ex-ministre du Développement de l’économie numérique et des postes.
Violation des textes ?
Tout en brandissant ledit contrat, Seydou Guira persiste que nulle part, il n’est écrit que le DG peut partir et revenir quand il le souhaite occuper le poste «abandonné». Pour le cas de l’ENAREF, soutient-il, les textes ont été bafoués à tous les niveaux. Il en veut pour preuve, l’intérim de la DG qui a été assuré pendant 13 mois par le SG. Or, selon les textes en la matière, l’intérim ne saurait excédé six mois, c’est-à-dire trois mois renouvelables une fois. Pour lui, il y a une volonté délibérée de la plupart des membres du conseil, dont le mandat a expiré, de maintenir « leur DG » à son poste en violation des textes en vigueur. « Le mandat de la PCA a expiré depuis plus de 8 mois, après avoir passé six ans au sein du CA. En outre, voilà un an, qu’elle ne relève plus du ministère en charge de l’économie. Or, selon les textes, le PCA est le représentant du ministère de tutelle. Certains membres du CA sont aussi dans l’illégalité, et on les autorise à siéger et à prendre des décisions au nom de l’ENAREF », s’insurge-t-il.
Selon le DG incriminé, son retour à la tête de l’école ne souffre d’aucun débat. « Je suis dans la légalité », se défend-il. Il soutient que, tout député, membre du gouvernement…qui va à l’Assemblée nationale ou au gouvernement est autorisé par les textes à suspendre son contrat, si celui-ci est de droit privé. Au cas où, il s’agit d’un fonctionnaire, il est placé en position de détachement. «J’ai signé un contrat avec le CA. Je lui ai demandé de le suspendre pour aller au gouvernement. Même en étant membre du gouvernement, je n’étais pas le seul à être dans cette situation. Ceux qui étaient dans ce cas sont répartis normalement occuper leur poste », détaille Amadou Yaro. Pour trancher sur son cas, dit-il, l’avis juridique de l’Agent judiciaire du trésor (AJT) a été clair : « ce qu’ils (les syndicalistes) disent n’est pas clair et non conforme au droit ». Selon l’avis n°2015-000039/MEF/SG/ENAREF/DG/SG du 12 février 2015 de l’AJT, Bruno Bamouni a indiqué au DG par intérim Mohamed Zongo, que les suspensions de contrat sont bien possibles conformément aux dispositions de l’article 86 de la loi 033-2008/AN du 22 mai 2008 portant régime juridique applicable aux emplois et aux agents des Etablissements publics de l’Etat (EPE). Toujours selon cet avis, M. Yaro qui est un contractuel de l’ENAREF, recruté pour le poste de DG suivant un contrat de travail en date du 9 novembre 2011, peut de plein droit obtenir une suspension de son contrat au regard des dispositions de l’article 86 ci-dessus cité. Et vu le mode de recrutement, le poste de DG dans le cas d’espèce est bien un emploi au regard de son contrat et non un emploi au sens des textes régissant la fonction publique. Cependant, au vu de sa nomination à la fonction de ministre, M. Yaro devait plutôt bénéficier d’un détachement plutôt que d’une suspension de contrat (…). A en croire l’agent judiciaire du trésor, Bruno Bamouni, le DG de l’ENAREF ayant été nommé pour une fonction politique, si tant il est vrai qu’une suspension est possible jusqu’à la fin du mandat ou de la fonction politique d’un agent, il est important de s’interroger sur comment concilier cette suspension d’avec les modalités de fonctionnement de l’intérim au niveau de l’administration publique qui ne peut excéder le délai de trois mois. Deux possibilités s’offraient donc à l’ENAREF dans le cas d’espèce pour surmonter cette situation. La première consistait en la confirmation du SG qui assurait déjà l’intérim au poste de DG pour une durée déterminée. Dans ce cas, un contrat à durée déterminée dont la fin coïncidera avec la cessation de fonction du ministre Yaro devait être signé entre l’ENAREF et ce nouveau DG. Pour M. Bamouni, la seconde possibilité était de recruter un nouveau DG avec également un contrat à durée déterminée qui, lui aussi, concordera avec la cessation de fonction de ministre de M. Yaro. Au final, aucune des deux éventualités ne sera exploitée.
Pour le SG de la CGTB-ENAREF, Seydou Guira, leur ministère de tutelle doit prendre ses responsabilités. Car, des dossiers ont été déposés pour briguer le poste. Il faut donc en donner une suite. « Quel a été la suite réservée à ces dossiers ? », s’interroge-t-il.
Une gestion financière décriée
Outre la question de la direction générale, Seydou Guira estime que la gestion financière de l’ENAREF mérite un regard particulier des services du contrôle financier. Pour lui, l’école qui est censée enseigner l’orthodoxie financière ne donne pas le bon exemple. C’est ainsi que des comités fictifs ont été mis en place et les membres ont été payés conformément aux dispositions du décret N°2012-729/PRES/PM/MEF portant règlementation des rétributions des prestations spécifiques des agents des administrations publiques au Burkina Faso. A titre d’exemple, il se réfère à deux décisions créant ces comités. Il s’agit de la décision (la 1re) n°2015-082/MEF/SG/ENAREF/DG/SG/DAAF/SB, portant nomination des membres du comité chargé de la gestion et du management de l’ENAREF, gestion 2015. Si un tel comité a été créé pour que les membres soient payés pendant 21 jours, à quoi sert la direction générale, s’interroge-t-il ? Dans l’année, le management et la gestion de l’ENAREF se font-ils pendant 21 jours seulement ? Dans la décision, en faisant cas de la gestion 2015, M. Guira estime qu’ils sont en droit de se poser d’autres questions : ce genre de comités avait-il existé au cours des années antérieures ? Y aura-t-il ces comités les années suivantes ? Concernant la décision (la 2e) N°2015-083/MEF/SG/ENAREF/DG/SG/DAAF/SB portant nomination des membres du comité de rédaction du rapport de formation sur le budget programme gestion 2015, il indique : « j’ai été l’un des formateurs et le contrat que nous avons signé avec l’ENAREF nous imposait de déposer un rapport de formation ». « Pourquoi alors créer un comité composé de 15 personnes pour un travail déjà fait ? Pourtant, la formation a été dispensée en juillet 2015 et le comité a été créé en décembre 2015. Il y a quelque chose qui ne va pas », proteste le leader syndical de l’ENAREF. Il poursuit en disant qu’un comité de gestion et de management de l’école en 2015 a également été créé dans l’intention de « bouffer » des fonds. «Le management de l’ENAREF, c’est quelque chose qui se fait de façon courante. On n’a pas besoin de créer un comité qui est rémunéré pour cela. Dans leur comité, il y a des gens qui sont de catégorie C, comment peuvent-ils manager ? », dit-t-il?
L’ENAREF, une caverne d’Ali Baba ?
Au total, persiste-t-il, six comités fictifs ont été créés pour se donner des durées de travaux de 15 à 21 jours. « Tous ces comités ont été créés à la fin de l’année 2015, juste pour se faire de l’argent. Par exemple, le superviseur de chaque comité touchait 25 000 F CFA par jour. Si vous multiplier cette somme par 21 jours, cela fait de gros sous », déclare Seydou Guira. Selon lui, « Le DG par intérim a fait venir son DAF qui a tenté d’expliquer, mais ils n’ont pas été convaincants. A la limite, ils ont reconnu que ce sont de faux comités puisqu’ils n’ont jamais existé de par le passé. Il y a un vrai problème de gestion de fonds dans cette école».
Face à toutes ces accusations, la Direction des affaires financières (DAF) et l’Agence comptable (AC) sont montées au créneau. Elles soutiennent que Seydou Guira est l’enseignant le moins placé pour parler de mauvaise gestion des fonds et de tentative pour se « sucrer » sur le dos de l’ENAREF. Les responsables des deux structures informent qu’au titre des honoraires perçus lors de la 1ère et la 2ème certification en marchés publics du 9 au 20 mai 2016 et du 23 mai au 3 juin 2016, le syndicaliste Guira a perçu pour le 1er semestre de 2016, 1 100 000 F CFA et 54 000 F CFA de paiements pour les masters en cours du soir à l’ENAREF. Pour les frais des cours du master convention ENAREF, CERPAMAD et Université Senghor, il a reçu 3 150 000 F CFA, et 1 370 000 F CFA pour le rappel des indemnités de responsabilité financière. En ce qui concerne les avantages liés à sa fonction de chef de département finances, il a touché 231 000 F CFA comme frais de carburant pour le semestre. Seydou Guira a touché en 2015 la somme de 1 432 500 F CFA pour les heures supplémentaires (soit 286,5 heures). « Il a été l’enseignant qui a le plus touché d’heures supplémentaires en 2015. Et tout porte à croire que ce chiffre sera battu en 2016 », ironise la DAAF de l’ENAREF. «Outre les avantages l’intéressé n’a pas encore terminé ses cours pour lesquels, il a été détaché comme enseignant et risque de ne pas les finir dans les conditions propices pédagogiques. Mais ils donnent des cours ailleurs », affirme la DAAF. Selon l’agent comptable, cela a pour conséquence, le retard en termes d’évolution des cours du département finances, dont il a la charge. « Au regard des avantages perçus et/ou à percevoir, il est l’agent le mieux rémunéré de l’ENAREF », disent-ils. Et M. Yaro de renchérir : « Une heure de cours fait 5 000 F CFA. Donc, il est inconcevable que des enseignants touchent des millions de F CFA en heures supplémentaires. Cela a toujours été ainsi. Et, il faut mettre fin à cet état de fait». « Quand je suis arrivé à l’ENAREF, il y avait un certain nombre de problèmes liés à l’enseignement, aux heures supplémentaires, aux relations coupables entre enseignants et élèves. J’ai essayé de mettre fin à tout cela. J’ai l’impression que les mesures que je prends mettent en cause les avantages de certaines personnes », s’explique Amadou Yaro.
C’est pourquoi, rassure-t-il, sous son égide, une commission a déjà été mise en place pour relire un certain nombre de textes dont ceux concernant, les heures supplémentaires. Pour M. Guira, son DG joue la carte de la diversion. « Ce n’est pas un avantage particulier que l’ENAREF m’accorde. J’ai été formateur depuis longtemps. C’est un travail clair que je fais. Les gens sont satisfaits de moi, c’est pourquoi, on me fait appelle dans ces écoles. Cela n’a rien à avoir avec leurs comités fictifs », se dedouane le syndicaliste. Concernant les heures supplémentaires, il explique que normalement un professeur a l’obligation de dispenser 180 heures de cours dans l’année. Et pour les chefs de service, il y a un abattement de 25%. « Donc, je me trouve dans l’obligation de dispenser 135 heures. Au-delà de ce volume horaire, c’est considérer comme des heures supplémentaires », souligne M. Guira, précisant qu’à chaque évaluation, les élèves sont satisfaits de ses prestations. « Je donne des cours dans plusieurs établissements, mais j’ai toujours privilégié l’ENAREF. Sans les heures supplémentaires, j’ai des compétences à donner ailleurs », ajoute le responsable syndical.
Une inspection infructueuse…
Pour le DG de l’ENAREF, toutes ces accusations sont une cabale menée contre sa personne. Ses détracteurs, dit-il, sont des personnes qui n’ont jamais organisé une AG du personnel pour s’assurer de leur représentativité, ni déposé un cahier de doléances à son bureau. « Si c’est ma personne qu’ils ne veulent pas, qu’ils me le disent ouvertement. Je ne resterai pas éternellement à l’ENAREF. Je respecte les textes. À la fin de mon mandat, je vais partir. Ils m’ont même contourné pour aller solliciter des inspections auprès des structures de contrôle. Pourtant ce n’est pas leur rôle », regrette le DG Yaro. Dans une structure organisée, il y a des étapes à suivre, affirme-t-il. Leur démarche, révèle-t-il, s’est soldée par un échec, car I’inspection venue pour le contrôle des marchés publics n’a rien trouvé d’anormal. Chaque année, ajoute-t-il, à sa demande, un audit financier comptable et organisationnel de l’école est commandité. « Les rapports sont là. Que mes détracteurs me donnent les résultats des investigations qui disent qu’il y a une mauvaise gestion. Ce sont des affirmations gratuites. J’aurai préféré qu’ils me demandent une audience pour me dire : ‘’DG voilà ce qui se passe. Il y a des audits, voici les résultats. Voilà un chèque qui a été signé en votre nom avant votre prise de fonction. Qu’est-ce que vous dites ?’’ Mais, ce n’est pas juste qu’on me livre à la vindicte des médias », déplore l’ex-ministre du développement de l’Economie numérique et des postes.
Concernant le mandat expiré de certains des membres du CA, réagit-il, il les renvoie à l’autorité compétente, parce que ce n’est pas lui qui les a nommés. Sur la question de la création des comités, il est formel : « je n’étais pas là en 2015. Il y avait un DG par intérim. Que chacun s’assume. Je n’étais pas mêlé aux problèmes de l’ENAREF à cette date. Je ne peux pas assumer ce que le DG par intérim aurait fait parce qu’il avait tous les pouvoirs.
Qu’on ne vienne pas me faire porter un chapeau qui n’est pas le mien ». Se prononçant sur l’ordonnancement d’un chèque, le 8 janvier 2016, avant sa nouvelle prise de fonction, le DG jure qu’il n’a pas souvenance d’un chèque qu’il a signé avant sa prise de fonction. « Qu’il me le montre.
Je suis un juriste, je ne vais pas prendre des décisions avant ma prise de fonction. Je sais ce que cela vaut », se défend t-il. Cette situation n’aura-t-elle pas des conséquences sur la qualité de la formation et la renommée de l’école sur le plan international ? Pour Amadou Yaro, il n’en sera rien. A l’en croire, les programmes d’activités de l’ENAREF se déroulent normalement. L’établissement dont il a la charge est certifié ISO, et continue de bénéficier de la confiance de ses partenaires nationaux et internationaux. Là encore, les syndicalistes émettent des doutes sur la transparence du processus de certification notamment, l’avis à manifestation d’intérêt qui a été lancé pour le choix des consultants, leur identité et le coût supporté par l’ENAREF.
Abdel Aziz NABALOUM