Ouagadougou - Les attaques jihadistes meurtrières de janvier au Burkina ont fait fuir les touristes et par contre-coup sinistré le secteur de l'artisanat qui emploie quatre des 19 millions de Burkinabè.
Le 15 janvier, le Burkina Faso, pays sahélien pauvre d'Afrique de l'Ouest jusque-là épargné par les attentats, a été attaqué par un commando jihadiste qui a ouvert le feu sur les clients de restaurants et hôtels du centre ville, faisant 30 morts et 71 blessés, majoritairement des étrangers.
Selon le ministère du Tourisme, ce raid meurtrier a "sapé" les efforts pour relancer un secteur déjà "durement éprouvé" par la crise sécuritaire dans la sous-région, la conjoncture économique difficile et l'instabilité politique du Burkina (insurrection populaire qui a renversé le régime Compaoré en octobre 2014, coup d'Etat manqué en septembre...).
Le ministère relève dans son "Baromètre du tourisme" que les attaques ont conduit de nombreux voyageurs internationaux à "se détourner" du Burkina Faso. Selon ce rapport trimestriel, dans le secteur de l'hôtellerie, on a enregistré au premier trimestre 2016 une baisse de 8,92% des arrivées de touristes, surtout internationaux.
Les attentats ont fait perdre, en trois mois, 883 millions de francs CFA, soit 1,3 million d'euros, rien que pour les établissements de Ouagadougou.
- Marché naze -
Dans ce pays sans ressources naturelles notables, l'apport du tourisme mais aussi des conférences et séminaires était capital. Or, avec la peur des attaques, pas moins de 68 manifestations de ce genre ont été annulées au premier trimestre.
Réputés en Afrique, les artisans du bronze qui travaillent au Centre national d'artisanat d'art (CNAA) touchent presque le fond, faute de clients. Des milliers d'articles sont invendus.
"Le marché est naze", dit Eric Kaboré, la quarantaine. "On a très peu de visiteurs cette année à cause des crises, les troubles politiques et surtout des jihadistes. Les touristes ont fui le Burkina", se lamente ce père de trois enfants.
"J'ai perdu 60 à 80% de mes clients depuis les attentats", témoigne le bronzier Siénou Ouakilou, 38 ans, chef d'un foyer de huit personnes, en retournant un feu de charbon de bois à l'aide d'un long fer pour faire fondre du bronze. "J'avais des commandes en Belgique, en France, en Suisse. Toutes ont été annulées. Les partenaires ont dit qu'ils ne peuvent pas venir à cause des jihadistes".
"En trois mois, je n'ai pas vendu dix pièces. Je ne peux même pas parler de chiffres d'affaires. Comment faire pour nourrir ma famille ? On a souvent envie d'abandonner, mais pour faire quoi ? Il n'y a pas de travail ici", déplore-t-il.
"Ça fait plus de 15 ans que je fais ce métier. Ces derniers temps, c'est difficile de vivre", reprend Eric, concentré sur ses oeuvres : des figurines de femmes africaines portant un bébé au dos et une jarre d'eau sur la tête.
- Têtes brûlées -
Eric et Ouakilou accusent aussi le CNAA qui "ne fait rien pour (les) aider dans cette période difficile". Pour eux, les clients occidentaux aurait pu être remplacés par les acheteurs burkinabè si les autorités avaient fait de la promotion de leurs produits.
"Les Burkinabè qui ont l'argent ne viennent jamais. On ne les voit que quand les objets d'art qu'ils ont achetés en Asie se gâtent. Ils viennent pour qu'on les répare", peste Salif Ouédraogo, un autre bronzier.
"L'Etat a mis en place un fonds pour acquérir les oeuvres auprès des artisans pour décorer les édifices publics et nos ambassades afin que cela attire des clients pour nos artisans", souligne toutefois Souleymane Palenfo, du département en charge des Arts, du Tourisme et de l'Artisanat.
"En 2015, l'Etat a acheté pour la première fois pour plus de 100 millions de francs FCA (150.000 euros) d'oeuvres. Le mécanisme suit son cours. Le budget va augmenter chaque année", précise-t-il pour montrer que l'Etat soutient la filière.
"Il faut que ça reparte sur les bons rails sinon ce serait la catastrophe. Si on produit et on n'arrive pas à vendre...", analyse Salif Ouédraogo.
"On a quelques touristes qui viennent et qui disent qu'il y a des attentats partout, même en France. Mais ce qu'on souhaite, c'est que tout redevienne normal", commente M. Ouakilou, qui poursuit: "Il ne faut pas que ce soit seulement les têtes brûlées qui viennent. Le terrorisme, c'est la même chose partout!".
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