Redynamiser le secteur agricole en injectant au moins 10% des budgets nationaux, assurer davantage de financement public dans l’agriculture, adopter de politiques saines de développement agricole et rural : tels sont entre autres, les engagements pris par les chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine lors de leur session ordinaire du 10 au 12 juillet 2003 à Maputo. Sur 37 pays évalués en 2012, 7 seulement ont tenu leur promesse. Le Burkina Faso, signataire de ces engagements il y a dix ans, fait partie des «bons élèves» de la classe.
Nous sommes en juillet 2003 et la deuxième session ordinaire des chefs d’Etat et de gouvernement de l’Union africaine au Mozambique «accouche» d’une décision qualifiée de petite révolution : au moins 10% des budgets nationaux seront désormais consacrés au développement agricole, dans un délai de cinq ans. Les engagements de Maputo viennent ainsi de voir le jour à la grande joie des agriculteurs de l’Afrique. En clair, sous l’égide du NEPAD, les Etats africains promettent redynamiser le secteur agricole, y compris l’élevage, les ressources forestières et les pêcheries par l’introduction de politiques et stratégies spécifiques au profit des petites exploitations traditionnelles des zones rurales. L’objectif est d’atteindre dans la plupart des pays, un taux de croissance agricole de 6%, nécessaire pour réduire de moitié l’extrême pauvreté et la faim d’ici à 2015 ou 2020 (1er Objectif du millénaire pour le développement).
Dix ans après, quelle est la situation au Burkina Faso ? «Nous avons entrepris en 2012, une revue des dépenses publiques dans le secteur rural sur la période 2004 à 2011 et il ressort qu’en moyenne 10,2% des dépenses faites par l’Etat (non pas les budgets) au cours de la période citée, l’ont été dans le secteur agricole», a expliqué le Secrétaire permanent de la Coordination des politiques sectorielles agricoles (SP/CPSA), Pascal Ilboudo. Le budget de l’Etat consacré au secteur rural, a-t-il poursuivi, a été en moyenne de 136 milliards FCFA par an entre 2006 et 2010 (environ 14 % du budget global de l’Etat), 199,5 milliards de FCFA en 2011 et 196,5 milliards en 2012.
En revanche on peut noter que l’étude sur le suivi budgétaire dans le domaine agricole au Burkina réalisé par le Centre d’information, de formation et d’étude sur le budget (CIFOEB) en mars 2010 révèle que le budget consacré à l’agriculture baisse régulièrement depuis 5 ans.
Au regard de ces chiffres, le gouvernement, la société civile et les ONG reconnaissent que le «Pays des hommes intègres» est plutôt un bon élève. Il fait partie des rares pays africains (sept au total dont 5 en Afrique subsaharienne) à avoir atteint ou dépassé la cible des 10%. Pour le secrétaire générale de l’Association pour la promotion de l’élevage au Sahel et en Savane (APESS), Ibrahima Aliou, le bilan de Maputo est «décevant» (vu le nombre de pays africains qui respecte ces engagements) mais satisfaisant pour le Burkina Faso. «Il y a eu un effort progressif au Burkina Faso», reconnaît le président du conseil d’administration de SOS Sahel international, Alfred Sawadogo. «Au niveau de la production, nous avons pu constater la distribution de semences améliorées aux ménages les plus vulnérables, des intrants agricoles ont été subventionnés à 50% pour permettre à certaines catégories d’acteurs de pouvoir augmenter leur rendement. Sans occulter la mise en place de programmes et de projets», a ajouté le président de la Confédération paysanne du Faso, Bassiaka Dao.
Un bilan satisfaisant
A titre d’exemple, le SP/CPSA indique que lors de la compagne agricole 2012-2013, ce sont environ 5 900 tonnes de semences et 18 725 tonnes d’engrais (d’un coût global d’environ 9 milliards de FCFA) qui ont été mis à disposition des producteurs. «En plus dans le cadre de l’Opération «100 mille charrues» lancée par le Chef de l’Etat, plus de 14 200 équipements (charrues, charrettes, batteuses, etc.) ont été attribuées aux producteurs», a précisé Pascal Ilboudo.
Certes, la société civile burkinabè reconna$ît les efforts du gouvernement pour le financement du secteur agricole, mais estime que l’impact des 10,2% se fait encore attendre sur le terrain. «Dix ans après Maputo et malgré le budget alloué à l’agriculture, nous constatons que la faim et la pauvreté persistent toujours, aggravées il est vrai, par des chocs climatiques tels que les inondations, les sècheresses, etc. Les défis restent donc entiers», a indiqué le Directeur pays de l’ONG Oxfam, Omer Kaboré. Il en veut pour preuve, la crise alimentaire qui a secoué durement en 2008 plusieurs pays africains du Sahel dont le Burkina Faso.
Il se pose ainsi, selon lui, la délicate question des allocations budgétaires et de leur exécution en Afrique subsaharienne en générale. Il faut noter que le calendrier budgétaire comporte trois étapes à savoir, la loi de finance initiale, la loi de finance rectificative et l’exécution des dépenses. Les écarts constatés entre les différentes étapes sont importants. En sus, selon le Directeur pays de Oxfam, Omer Kaboré, entre 2006 et 2010 71% des dépenses publiques réservées à l’agriculture provenaient des financements extérieurs. A ce titre, il mentionne que l’agriculture burkinabè demeure dans une certaine incertitude due au manque de maîtrise du financement extérieur, ce qui complique la possibilité de construire une politique d’investissement durable pour le secteur agricole . De plus, en 2008 les décaissements des ressources extérieures étaient seulement de 35%. «Ces faibles taux de dépenses sont-elles liées aux conditionnalités des bailleurs de fonds ou bien à la faible capacité d’absorption de l’Etat?», s’est interrogé Omer Kaboré, précisant qu’une chose est de prévoir, mais une autre est de voir ce qui a été effectivement dépensé. S’agissant des ressources propres de l’Etat dans le secteur agricole, le ministère de l’agriculture a signalé qu’elles sont en nette augmentation depuis les promesses de Maputo.
En s’engageant à redynamiser le secteur agricole il y a dix ans au Mozambique, les chefs d’Etat et de gouvernement africains ont promis orienter prioritairement leur budget dans les domaines de l’élevage, de la production végétale, forestière et halieutique. Le ministre des ressources animales, Tinga Jérémie Ouédraogo, a indiqué que son département a bénéficié pour l’année 2013 en cours, d’une allocation de 20,5 milliards, soit 2% des 10,2% des engagements de Maputo. «Les investissements sont de l’ordre de 15 milliards soit environ 77% du budget alloué au ministère des ressources animales», a-t-il ajouté. Les organisations de la société civile trouvent malgré tout que les lignes budgétaires affectées aux axes primordiaux ( production végétale, forestière et animale) ne sont pas clairement définies.
La «guerre» des chiffres
«Le gouvernement dit qu’il affecte aujourd’hui 14% de son budget au secteur rural, mais nous ne connaissons pas le taux des dépenses dans les domaines stratégiques», a souligné le président de la CPF, Bassiaka Dao. Pour le président du conseil d’administration de SOS Sahel, Alfred Sawadogo, la société civile n’arrive pas à vérifier les investissements réels dans ces secteurs productifs de l’agriculture qu’annonce le gouvernement, mais s’inquiète qu’une part importante de ce budget ne soit utilisée pour le fonctionnement de l’administration. «Il n’y a pas assez de communication d’éléments chiffrés si bien que les gens se basent souvent sur des bribes d’informations pour effectuer des critiques. Dans le budget du ministère des ressources animales , 2% seulement sont affectés au fonctionnement de l’administration», a reconnu le ministre Tinga Jéremie Ouédraogo, tout en indiquant que les frais du personnel constituent des dépenses incompressibles, nécessaires pour la mise en œuvre des projets.
En clair, le président du conseil d’administration de SOS Sahel, Alfred Sawadogo insiste sur le fait que le gouvernement doit avoir une vision précise «des affectations budgétaires aux différents secteurs de l’agriculture afin d’opérer des investissements pertinents». L’exemple-type de l’investissement pertinent pour lui, a été le soutien du gouvernement aux riziculteurs à l’issue des émeutes de la faim en 2008. «La production du riz a doublé l’année suivante. Or nous n’avons mis en valeur que seulement 16% de nos bas-fonds. Ce qui veut dire que nous sommes capables de produire les 400 mille tonnes de riz représentant la consommation nationale», a déclaré Alfred Sawadogo. Dans le secteur de l’élevage, a-t-il poursuivi, les investissements doivent être aussi précis : «Le Burkina Faso importe environ 10 milliards de FCFA de lait et de produits laitiers. Il faut que le financement dans ce secteur puisse permettre à nos éleveurs de moderniser leur production de lait et à partir de ce produit, créer de petites industries afin que le pays soit auto suffisant».
Un autre aspect non moins important de Maputo en 2003, a été l’engagement des chefs d’Etat africains à élaborer des politiques stratégiques spécifiques au profit des petites exploitations familiales des zones rurales. «Les engagements de Maputo sont clairs. L’appui des gouvernements devrait être orienté vers les exploitants des zones rurales, les petites exploitations agricoles familiales. Ce qui est normale. Au Burkina Faso en 2009, l’agriculture occupait 30% du PIB avec à peu près 86% de la population active. En appuyant ces populations, on ne pourrait qu’assurer la sécurité alimentaire», a soutenu le directeur Pays de Oxfam, Omer Kaboré. Abondant dans le même sens, le sécretaire général de l’APESS, Ibrahima Aliou, ajoute que les exploitations familiales constituent près de 65% des producteurs qui apportent plus de 75% de la production agricole. «Pour nous, c’est l’exploitation familiale qu’il faut privilégier comme modèle de développement, car c’est une agriculture respectueuse de l’environnement. Il suffit juste d’accompagner ces producteurs, par des services de renforcement des capacités, de gestion de leur exploitation dans la fertilisation des sols, de gestion des ressources naturelles, des services d’accès au financement», a indiqué Bassiaka Dao, reconnaissant la nécessité de la mise en place d’une comptabilité fiable pour une répartition des bénéfices au sein de la famille. Et les femmes doivent être à l’avant-garde, elles qui produisent selon Anne Bourget, conseillère en matière de justice entre les femmes et les hommes à Oxfam, 80% des denrées alimentaires de base.
Le SP/CPSA, Pascal Ilboudo, maintient que les actions des départements ministériels du secteur rural sont consacrées en grande partie aux exploitations familiales. «Le soutien de l’Etat aux exploitations familiales représente 80% environ de la dotation budgétaire», a-t-il avancé. De même, en phase avec la vision du Programme national du secteur rural (PNSR), «une agriculture fondée sur les exploitations familiales et les entreprises agricoles pouvant nourrir toute la population» à l’horizon 2025 en gestation au Burkina, la CPF selon son président entend dédier l’année 2014 à l’exploitation familiale, aujourd’hui créatrice d’emploi.
Le gouvernement compte poursuivre ses investissements dans le secteur agricole puisque la SCADD prévoit d’ici à 2015, 17% de son budget à l’agriculture. Mais les acteurs de la société civile insistent sur le fait que «ce n’est pas seulement le pourcentage des dépenses agricoles qui importe, mais l’impact de celles-ci».