«Le courage des musulmans durant le mois de Ramadan montre aux non-croyants et aux croyants des autres religions l’intensité de la foi musulmane et le sens profond de l’islam.» (verset coranique). Connaît-on réellement le déroulement d’une journée de cette période si sacrée dans une famille musulmane burkinabé? Bien que le fond soit le même, les habitudes de chacun diffèrent. Voici le récit retraçant une nuit et une journée de jeûne au sein de la famille d’Hamidou Ouédraogo, le muezzin d’une petite mosquée du quartier Patte-D’Oie à Ouagadougou.
Il est 20h, le vendredi 1er juillet 2016, lorsque j’arrive dans la modeste demeure de cette famille nombreuse et chaleureuse qui a accepté ma venue à bras ouverts. Ils sont (tous) devant la maison, ils partagent, discutent, rient, mangent. L’ambiance est agréable, c’est l’heure des présentations. Hamdia, la fille d’Hamidou Ouédraogo et de Fatimata Sana (deuxième épouse de ce dernier), maîtrise mieux le français que le reste de la famille. Elle sera mon petit guide durant ce qui est, à mon sens, une aventure. Ses explications portent sur le déroulement de cette nuit de croyances que je touche au plus près. Nous sommes dans la dernière décade du mois de Ramadan. Moment spécifique puisque la prière s’effectue de minuit à trois heures trente du matin.
Après une courte phase de sommeil, Hamdia vient me réveiller dans la petite chambre où sa mère m’avait gentiment installée auparavant. Il est temps de faire les ablutions. Nous commençons par nous laver les mains, le visage avant de finir le rituel par les pieds. Je l’entends discrètement réciter une prière. Elle essaye de me couvrir les cheveux et les épaules avec une étole. Il est minuit et demi, nous voilà enfin prêtes à entrer à la mosquée. Je remarque que les hommes sont séparés des femmes. En entrant, je ressens la paisibilité du lieu. La voix de l’imam est envoûtante, apaisante. J’observe, j’essaye de ne pas trop me faire remarquer de peur de déranger dans ce moment d’intimité pour les croyants. Pendant le ramadan, les anges ne passent plus le message au fondateur. Musulmans et Musulmanes s’adressent directement par le biais de la prière au Créateur.
Suite à la prière nocturne, c’est le moment pour les femmes de commencer à préparer le dernier repas avant le lever du soleil. Elles me montrent comment le tô de maïs est cuisiné. La sauce de feuilles de baobab (l’arbre sacré) est déjà préparée. L’échange est précieux, il regorge d’explications sur des coutumes qui ne sont pas miennes. Elles se prêtent au jeu de mes questions avec joie. Nous sommes toujours entre femmes. Le moment est complice. Après s’être rassasié, il est maintenant temps d’accomplir la prière de l’aube avant de commencer les activités de la journée.
Au petit matin, lorsque le soleil est déjà haut dans ce ciel sans nuages, les femmes et les enfants se remettent à leurs tâches quotidiennes. Les bêtes sont sorties, le ménage peut démarrer, la vaisselle peut être nettoyée et surtout la préparation des galettes et des brochettes de soja peut commencer. La nuit qui s’annonce est celle du destin, différente des autres puisqu’elle est l’équivalent de mille mois d’adoration. Les voisins viendront en partie s’approvisionner chez eux. Pendant que l’une d’entre elles prépare la pâte dans l’espace faisant office de cuisine à l’arrière de la cour, la première femme du muezzin, elle, s’affaire devant la maison à les cuire. Il fait déjà très chaud, mais Fatimata Compaoré fera ça jusqu’au soir. Elle est entourée des enfants qui à tour de rôle contribuent à retourner les galettes puis à les enlever. Une véritable entreprise où l’entraide est de mise.
Hamdia m’entraîne au marché avec les enfants. Les couleurs des étalages de fruits, d’épices et de fruits à coque ainsi que les odeurs de nourritures éveillent mes sens. Les enfants me guident vers le poissonnier et vers le meunier. C’est la découverte de toute cette préparation dédiée à la coupure du jeûne qui m’inspire. Tout est fait avec cœur malgré les rudes conditions.
Au retour, l’échange est riche. Je suis avec eux, installée sur un banc en bois. Chacun leur tour, ils me parlent du carême. Fatimata Sana, deuxième femme du muezzin, m’explique : « C’est Dieu qui a recommandé le carême aux musulmans, il a des effets thérapeutiques puisqu’il donne la santé et nous rapproche davantage du Créateur. » Pour Fatimata Compaoré, sa coépouse, c’est encore différent. « Le Ramadan pour moi, c’est un mois au cours duquel le croyant ou la croyante doivent multiplier les bonnes œuvres et demander à Dieu qu’Il éponge ses péchés », déclare-t-elle. Enfin pour El Hadj (Hamidou), le mois du jeûne musulman leur permet de se rapprocher davantage du Créateur en s’appuyant sur les prescriptions du Prophète Mahomet qui nous enseigne ce qu’il faut faire ou ne pas faire pour mériter le paradis. Chacun a sa définition ; cependant le fondement de ce qu’ils pensent reste le même : c’est l’envie d’être plus près de Dieu qui domine largement. Bien que très pieux une de mes questions demeurent : ont-ils parfois remis en doute leur croyance ? La question les fait sourire et me met finalement mal à l’aise. Hamidou me répond : « Subbhanna la ! Si un jour cette pensée de quitter l’islam effleure mon esprit, puisse Dieu interrompre ma vie sur terre. » Fatimata Compaoré rétorque : «Je n’ai jamais pensé à cela, s’il y a un jour où nous ne faisons pas le carême, c’est parce que la santé ne le permet pas, mais je n’ai jamais envisagé d’abandonner l’islam. Je prie Dieu pour y demeurer jusqu’à la fin de mes jours. »
Aux alentours de seize heures, les voisins viennent acheter des galettes ou des brochettes de soja devant la maison. L’ambiance ne manque pas de dynamisme. La journée, rythmée grâce aux heures de prières, s’approche doucement de l’iftar (la rupture du jeûne). Moment attendu pour tous.
Dix-huit heures trente-six, c’est le moment où le soleil se couche. Hamdia me sert de l’eau et du zoom-koom (jus de petit mil). Elle souhaite partager une mangue avec moi qu’elle a justement achetée pour nous. Son geste, normal pour elle, est touchant. Elle m’emmène faire les ablutions pour repartir à la mosquée et tente de me faire réciter une prière en arabe, ce qui n’est pas chose facile. Suite à cette dernière oraison, je vais voir l’imam et le muezzin pour les remercier de m’avoir laissée entrer dans leur mosquée et dans leurs vies. Ils me couvrent d’une litanie de bénédictions. C’est un moment privilégié qu’ils avaient décidé de m’offrir. Après m’avoir invitée à goûter le riz gras reçu par des fidèles, il était temps pour moi de dire au revoir à cette famille. Je les quitte le cœur un peu lourd. Je fus impressionnée des efforts déployés par ces gens pour être en phase avec leur religion, évidemment centrale dans leur vie. L’islam, tant critiqué dans une grande partie de notre monde et ce principalement à cause d’idéologies politiques, a besoin que des familles comme celle-ci fassent parler de leur vécu. Cette expérience de partage au sein de cette famille est une preuve de tolérance. N’est-ce pas ce que l’on demande à toutes les religions confondues ?
Barbara Debout