Le projet de révision constitutionnelle en Côte d’Ivoire fait déjà des gorges chaudes. C’est le moins que l’on puisse dire. En effet, alors que le président de la République, Alassane Dramane Ouattara (ADO) appelle de tous ses vœux à l’organisation d’un référendum en septembre ou octobre prochain, vingt-trois partis politiques, dans une déclaration rendue publique le 30 juin dernier, appellent au retrait de ce projet de réformes. Les partis politiques signataires de ladite déclaration, « craignant que les mêmes causes produisent les mêmes effets », souhaitent que l’élaboration d’une nouvelle Constitution en Côte d’Ivoire fasse d’abord l’objet d’un « large débat politique consensuel ». Morceaux choisis : « Les dispositions annoncées constituent la négation des acquis démocratiques majeurs obtenus de haute lutte par le peuple. Le référendum ne peut se dérouler qu’à la suite d’un débat constitutionnel aussi large que possible, qui éclaire le peuple et dont notre pays a une expérience qu’il faut capitaliser ».
Ainsi donc, le ton est donné. Avant même qu’elle ne soit adoptée, la future Constitution ivoirienne fait déjà l’objet de contestations au sein de la classe politique. Ce qui n’augure rien de bon quand on sait qu’en tant que texte fondamental, la Constitution doit s’imposer à tous. Si fait que le plus souvent, on travaille à la rendre la plus consensuelle possible pour éviter toute friction de nature à fragiliser le tissu social. C’est le cas par exemple de la Constitution actuelle de la Côte d’Ivoire dont tout le monde s’accorde à dire qu’elle est crisogène, au regard des problèmes qu’elle a créés au pays. L’une d’ailleurs de ses dispositions les plus querellées est l’article 35 qui stipule, entre autres, ceci : « le candidat à l’élection présidentielle doit être âgé de quarante ans au moins et de soixante-quinze ans au plus. Il doit être Ivoirien, né de père et de mère eux-mêmes Ivoiriens d’origine ». Tout le monde est unanime qu’une telle disposition mérite d’être relue dans la mesure où dans la lettre comme dans l’esprit, elle dénie le droit à certains Ivoiriens de briguer la magistrature suprême.
La Côte d’Ivoire souffre toujours des déchirures de son tissu social
Mais là où les partis politiques de l’opposition semblent avoir raison dans leur démarche quand ils réclament un large débat politique consensuel, c’est la volonté affichée du président Ouattara d’instaurer à tout prix un régime tricéphale en Côte d’Ivoire en annonçant la création d’un poste de vice-président. A quoi cela répond-il ? Quelle urgence y a-t-il à opérer une telle réforme, si ce n’est le dessein à peine voilé de créer des postes de récompense pour ses proches ? Ce sentiment de partage de prébendes est d’autant plus renforcé que le projet de Constitution prévoit également la création d’un sénat. En tout cas, sur ce point précis, il y a lieu que ADO revoie sa copie pour éviter de mettre en place une Constitution qui explosera plus tard comme une bombe à retardement aux « conséquences imprévisibles ». Il faut donc rectifier le tir pendant qu’il est encore temps, plutôt que de vouloir opérer un passage en force. Car, savoir reculer quand c’est nécessaire, n’est pas signe de faiblesse ; c’est plutôt donner la preuve d’un homme qui sait écouter l’autre sans mépris. Or, tout ce dont les Ivoiriens ont actuellement besoin, c’est de se parler afin de se réconcilier avec eux-mêmes.
Toutefois, il ne s’agit pour l’instant que d’un projet. Et sous cet angle, la réaction de l’ensemble de l’opposition semble disproportionnée dans son contenu et dans son ampleur. Car, la phase de consultation des différentes couches sociales est toujours en cours et, qui plus est, est inclusive. Il n’y a pas d’exclusion et toutes sortes de propositions contributives devraient être les bienvenues, quelle que soit leur provenance. A vrai dire, la Côte d’Ivoire souffre toujours des déchirures de son tissu social, consécutives à la crise post-électorale qui a créé un sérieux déficit de confiance entre les acteurs politiques. Dans tous les cas, il serait bon pour la République qu’un compromis dynamique soit trouvé.
B.O