Le procès de Laurent Gbagbo et celui de son épouse pour crimes contre l’humanité et crimes de guerre commis lors de la crise post-électorale de 2010-2011, se rejoignent sur le point suivant : le déni systématique des éléments à charge. En effet, depuis le 31 mai dernier, date à laquelle la Cour d’assises d’Abidjan a commencé à juger Simone Gbagbo, l’ex-Première dame n’a eu de cesse de nier avoir une quelconque responsabilité dans les évènements douloureux qui ont endeuillé bien des familles ivoiriennes en 2010 et 2011. Tout se passe comme si les 3 000 personnes qui ont été tuées l’ont été par des êtres mystérieux débarqués d’une autre planète. Le déni a pris des proportions effarantes au point que certains parents et proches des victimes en sont arrivés, peut-on dire, pour soulager leur douleur en ce bas monde, à compter sur la Justice immanente. Mais depuis le 28 juin dernier, Simone Gbagbo et ses avocats se retrouvent dans une situation inédite face à laquelle ils pourraient avoir du mal à se tirer d’embarras. Ce jour-là, un ex-membre et pas des moindres du système Gbagbo, s’est fendu de déclarations accablantes contre l’ancienne Première dame. En effet, Moise Metcho Harolde Metch alias « colonel H » puisque c’est de lui qu’il s’agit, a asséné ses vérités devant la Cour d’assises d’Abidjan face aux jurés et à seulement quelques petits centimètres du box où se trouvait Mme Gbagbo. Morceau choisi : « Oui, pendant la crise, nous étions armés, oui notre rôle, c’était de défendre Laurent Gbagbo. Nous étions en charge de la répression, notamment contre les manifestants d’Alassane Ouattara ».
Il est fort probable que le témoin ait voulu décharger sa conscience
Et la personne qui finançait leurs activités, selon « le colonel H », n’était autre que Simone Gbagbo en chair et en os. Ce témoignage qui est une première du genre au regard du profil de son auteur et du rôle que l’intéressé a reconnu lui-même avoir joué dans la répression des pro-Ouattara lors de la crise post-électorale, paraît vraisemblable. En effet, le colonel H est loin d’être un élément négligeable du Gbagboland puisqu’il était, à l’époque des faits, le chef du « Groupement des patriotes pour la paix (GPP) », une des nombreuses milices de la galaxie patriotique dont le grand sachem était Charles Blé Goudé. Ses déclarations valent donc leur pesant d’or et il est fort probable que le témoin, pris de remords, ait voulu décharger sa conscience en apportant sa part de vérité. Cette hypothèse est d’autant plus à envisager que ce monsieur n’agissait pas sous le sceau de la clandestinité. Il était connu dans bien des milieux pro-Ouattara pour la cruauté dont il faisait montre dans la répression des hommes et des femmes censés rouler pour le camp de l’enfant de Kong. Et cela, il l’a reconnu devant la Cour d’assises en des termes qui ne souffrent d’aucune ambiguïté. Et s’il l’a dit à visage découvert, qui plus est, devant Simone Gbagbo qu’il accuse d’ailleurs d’avoir été leur « financière », c’est qu’il pourrait se sentir capable de faire face à tout débat contradictoire tendant à démonter son témoignage. De ce point de vue, l’on peut dire que les déclarations de l’ancien chef du GPP contre dame Gbagbo, sont un témoignage « caillou », c’est-à-dire un témoignage très accablant et face auquel l’ex-Première dame pourrait beaucoup transpirer avant de trouver des contre-arguments pour se tirer d’affaire. En tout cas, le moins que l’on puisse dire, c’est que ce témoignage est loin d’être du « maïs », pour reprendre ce terme beaucoup usité à l’époque de Laurent Gbagbo et qui signifie inconsistant, vide, qui n’est pas digne d’intérêt.
Après ce coup de massue porté à l’anciene Première dame par un de ceux qui lui ont juré loyauté sous le règne de son mari, l’on pourrait s’attendre à d’autres témoignages du même genre qui pourraient fuser de toutes parts. C’est pourquoi l’on peut se demander si les déclarations du 28 juin dernier, sonnent comme le début de la saison des témoignages à charge contre l’ex-Première dame. Et cette saison pourrait être bien arrosée tant du point de vue de la quantité des témoignages que de celui de leur qualité. La grande question que l’on peut se poser dès lors est de savoir si Simone Gbagbo va poursuivre sa défense dans la dynamique du déni systématique des charges contre elle, ou si elle va courageusement faire face à son passé en assumant tous les actes qu’elle a posés ou fait poser lors de la crise post-électorale 2010 et 2011. A cette question, il n’est pas permis de douter un seul instant avant de répondre. La tradition sera respectée religieusement. Simone Gbagbo, tout comme son mari à La Haye, va balayer du revers de la main, toutes les déclarations du « colonel H ». Elle le fera d’autant plus à l’aise que le témoin s’est présenté à la barre de la cour d’assises d’Abidjan, menotté. Il est vrai que même si le Colonel « H » s’était présenté sans menottes, Simone Gbagbo aurait toujours trouvé à redire dans le sens du déni. En tout état de cause, ce statut de prisonnier incarcéré à la Maison d’arrêt et de correction d’Abidjan, qui accepte de témoigner contre Simone Gbagbo, peut laisser perplexe, et ce pour les raisons suivantes.
Le témoignage de « colonel H » pourrait avoir été suscité
Premièrement, le colonel H, conscient que les carottes sont déjà cuites pour lui et conformément à l’adage selon lequel « cabri mort n’a pas peur de couteau », peut choisir de ne pas couler seul. De ce fait, il peut avoir fait le choix d’entraîner avec lui dans sa chute, d’anciens camarades de la galaxie des patriotes.
Deuxièmement, le témoignage de « colonel H » pourrait avoir été suscité par les autorités ivoiriennes pour neutraliser un adversaire politique de taille. En contrepartie de cela, bien des choses intéressantes pourraient avoir été promises à l’ancien chef milicien. La réduction de sa peine avec en sus, des espèces sonnantes et trébuchantes, pourrait être l’une d’elles. A propos justement de témoignage suscité dans le cadre de la crise post-électorale, l’on peut être tenté de citer celui de Sam l’Africain. Malheureusement ou heureusement, c’est selon, ce dernier, parti à La Haye pour charger Laurent Gbagbo et Charles Blé Goudé, s’est empêtré dans des contradictions au point de donner l’impression qu’il avait fait le déplacement pour apporter un coup de main à ses anciens mentors. Cela dit, les Ivoiriens qui sont à la barre aujourd’hui, que ce soit à la Haye ou sur les bords de la lagune Ebrié dans le cadre de la crise post-électorale, n’éprouvent aucun scrupule à adopter la posture du déni. Et ce n’est pas demain la veille qu’il faut s’attendre à ce qu’ils modifient d’un iota cette position. Cette posture, à la fois facile et lâche, est à déplorer. Fort heureusement que le verdict des juges auxquels ils font face aujourd’hui, se fondera beaucoup plus sur la base de leur conviction intime et profonde que sur autre chose.
« Le Pays »