Simon Compaoré doit aujourd’hui s’en mordre les doigts. Et maudire le jour où il s’est fait introniser à Zorgho président de l’association nationale des koglwéogo au cours d’une cérémonie où le burlesque du bonnet et de la canne le disputait à l’inopportun.
Alors, le ministre de l’Administration territoriale, de la Décentralisation et de la Sécurité intérieure pensait qu’on pouvait raisonner et discipliner ces groupes d’autodéfense qui ont essaimé ces derniers mois sur une bonne partie du territoire, faisant plus la pluie que le beau temps : tortures, rackets, meurtres de voleurs présumés ou avérés.
Depuis, le premier flic du Burkina en est revenu. Et tente désespérément de ramener sur le droit chemin républicain ceux qui se mettent objectivement sur la voie de la rébellion. Mais plus il bande les muscles, plus les justiciers de la brousse le narguent au point qu’ils semblent devenus des parents à plaisanterie. L’enfant terrible de Mankougdougou a-t-il, comme on dit, laissé le fantôme entrer dans la maison avant d’en refermer la porte ?
On a bien peur que oui, et ce qui s’est passé ce week-end à la périphérie ouest de la capitale est révélateur du désordre dans lequel on s’enfonce chaque jour un peu plus . Avant ce samedi sanglant à Zongo, c’est à Zaghtouli, de l’autre côté de la Nationale 1, et à Gayéri dans le Gulmu que koglwéogo et antikoglwéogo se sont affrontés à coups de gourdins et autres objets contondants. Ça ne vous rappelle rien ? Nous si !
En Afrique centrale, dans ce pays dont la carte ressemble étrangement à celle du nôtre et qui essaie tant bien que mal de sortir de trois ans de guerre civile, on a vu les Séléka et les Antibalaka s’entredéchirer sur fond de replis identitaires, et l’on avait fini par se demander si la Centrafrique sortirait un jour de l’ornière. Certes comparaison n’est pas raison et , Dieu merci, jusqu’à preuve du contraire, les miasmes des réflexes communautaires ne sentent pas (encore) trop fort chez nous, mais quand on sait que des milices du genre koglwéogo peuvent être un cheval de Troie pour toutes sortes de desseins inavoués (politiques, religieux, etc.), on aurait tort de négliger cette menace.
C’est Simon lui-même qui l’a confessé pas plus tard que dimanche au lendemain des échauffourées de Zongo, « …il y a plein de gens qui se sont infiltrés dedans et chacun joue au Zorro, chacun a son agenda, peut-être caché…les écarts ne peuvent se multiplier, alors il faut que ça cesse ». A la bonne heure ! Nous sommes heureux que la puissance publique, qui fait, hélas, bien souvent preuve de faiblesse voire de lâcheté dans la gestion de la cité, se soit enfin réveillée face à ce grave péril qui menace la cohésion nationale.
Pourquoi diable cette forme de police communautaire, qui existe depuis de longues années, notamment au nord du pays, a-t-elle du reste commencé seulement maintenant à poser problème ? En réalité, ses éléments auraient pu être de précieux supplétifs des forces de l’ordre si, de Léo à Fada en passant par Zaghtouli, Zongo, Manga, Kombissiri, Boulsa, Kaya…, ils ne s’étaient pas embarqués dans des actions inconsidérées et la défiance de l’autorité qui les disqualifient du même coup pour le rôle qu’il veulent jouer.
Dès le début de l’affaire, avant que ces structures ne commencent à se sédimenter et à se structurer telle une armée , nous avons été de ceux qui n’ont cessé d’affirmer que même si le problème auquel elles s’attaquent était réel, c’est une bien mauvaise solution qu’elles veulent y apporter et qui peut s’avérer pire que le mal qu’elles entendent soigner.
Et de prévenir que si on n’y prenait garde, ces « hors-la –loi » braillards et dépenaillés quoique populaires deviendraient très vite incontrôlables avec les conséquences qu’on peut imaginer. Nous ne pensions pas si bien dire. Mais comme toujours les Cassandre et leurs prophéties de malheur n’ont jamais eu bonne presse jusqu’à ce que…
Toutefois, une chose est de prendre conscience de la chienlit qui tend à s’installer, une autre est d’y mettre fin, et là il faudra sans doute plus que des mots, il ne suffira pas de dire « il faut que ça cesse » pour que cela soit et que les miliciens rentrent dans les rangs. Autant la force sans le droit est tyrannique, autant le droit sans la force est impuissant et, dût-on employer la méthode forte, il faut utiliser les grands moyens pour circonscrire ce cancer social avant qu’il ne prenne possession de tout le corps.
Car déjà que les terroristes sont dans la maison, que l’incivisme et les actes de vandalisme sont devenus un véritable sport national et que les conseillers municipaux se hachent à qui mieux mieux pour l’occupation du fauteuil de maire, si on doit tolérer d’autres situations susceptibles de mettre à mal la sécurité des Burkinabé, ce serait à coup sûr la ruine du pays et la déliquescence de l’Etat dont Simon Compaoré veut se convaincre « qu’il existe bel et bien ». On demande à voir.
Cela dit, en même temps que l’éradication de ces problématiques koglwéogo, et quand bien même l’insécurité zéro n’existerait nulle part, le meilleur argument à leur opposer n’est-il pas d’assécher leur fonds de commerce en s’attaquant vigoureusement au problème au lieu des solutions palliatives et des grands discours sans aucune prise sur la réalité du terrain ?
Et là, il faut reconnaître avec Salif Diallo, le président de l’Assemblée Nationale, que ce sont les carences de l’Etat qui ont fait le lit des Koglwéogo. Le problème c’est que ce sont les mêmes qui sont au sommet de cet Etat depuis une trentaine d’années, et ils sont sans doute comptables, entre autres passifs du régime de Blaise Compaoré, de ces carences étatiques dépeintes aujourd’hui.
OUSSENI ILBOUDO