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Indépendance de la justice burkinabè : le procureur général en parle
Publié le mardi 28 juin 2016  |  L`Observateur Paalga
Le
© Autre presse par DR
Le procureur général de la République du Burkina Faso, Laurent Poda




Les critiques qu’essuient la justice et ses acteurs, les conditions de travail des magistrats, les menaces vis-à-vis du palais de justice, l’indépendance des juges, la justice et la corruption, etc. Le procureur général, Laurent Poda, nous a accordé une interview. Non sans écarter les questions relatives à la justice militaire qui, dit-il, ne relève pas de la juridiction ordinaire.



La justice est sous les feux de critiques pour ses décisions et ses hommes aussi bien du côté du pouvoir que d’acteurs de la société civile. Comment réagissez-vous à tout ça ?



Pour ce qui est des critiques des décisions de justice, je voudrais dire que toute œuvre humaine est critiquable, or notre justice est rendue par des hommes ; il est donc normal que ces décisions fassent l’objet de critiques. En tant que magistrat, je pense que ce qui est souhaitable pour que ces critiques puissent être bénéfiques aussi bien aux justiciables qu’aux juges eux-mêmes, c’est que celles-ci se fassent dans le cadre de recours formés contre les décisions incriminées et que les juridictions supérieures nous fixent par des décisions qui feront jurisprudence afin que les magistrats qui ont rendu ces décisions puissent s’en inspirer pour les cas futurs. Je pense également que ces critiques peuvent être faites dans des revues de droit qui sont des cadres propices à une exploitation constructive.

Concernant les critiques faites aux acteurs de la justice, je dirais simplement que les magistrats qui exercent dans nos juridictions sont tous issus de la même société dans laquelle nous vivons tous ; leurs familles sont connues et leur cursus également connu. Cela étant, je pense que ces comportements déviants de la part de certains acteurs de la justice, dénoncés çà et là, peuvent résulter notamment de l’éducation de base reçue, du milieu d’évolution des mis-en-cause, des difficultés sociales auxquelles ils font face au quotidien et de leur capacité à résister aux solutions de facilité qui s’offrent à eux, etc.

Je voudrais enfin relever que les cas que vous évoquez ne datent pas d’aujourd’hui. C’est donc un phénomène qui commande que des responsabilités soient prises de la part de ceux qui ont le pouvoir de sanction lorsque ces faits sont avérés.



Certes les conditions de travail de la justice ne sont pas toujours optimum, mais est-ce normal de réclamer plus, toujours et toujours sans que le citoyen perçoive en retour une amélioration quelconque dans l’administration de la justice ?



Lorsque vous parlez d’amélioration dans l’administration de la justice, je vois les problèmes de délais de traitement des affaires et la qualité des décisions de justice. Que ce soit l’un ou l’autre aspect de la question, je trouve qu’ils sont tous liés aux conditions dans lesquelles travaillent les acteurs de la justice. Je voudrais sur ce point que vous sachiez que la lenteur dans le traitement des dossiers est due à plusieurs facteurs notamment :

le fait que le nombre de dossiers à traiter est très souvent élevé par rapport au personnel chargé de le faire ;
le fait que plusieurs corps de personnel interviennent dans la chaîne du traitement des dossiers, et lorsqu’un seul de ces corps est en grève ou interrompt le travail pour quelque raison que ce soit, la chaîne est bloquée, et cela constitue un retard ;
le fait que certaines procédures impartissent elles-mêmes des délais dans leur traitement : délais de comparution, de renvoi ou de conclusion, etc. ;
le fait que pendant les vacances judiciaires le rythme du travail est réduit.
Pour revenir aux conditions de travail, je crois que l’état physique des bâtiments qui abritent la plupart de nos juridictions laisse à désirer, et cela a pour conséquence de réduire énormément l’engouement pour le travail.

En ce qui concerne les conditions de vie des acteurs de la justice, je crois qu’avec les nouvelles réformes en cours, les choses devraient aller mieux. Je demande donc qu’il soit accordé un délai d’observation à la justice pour faire le constat de ses résultats.



Il y a de cela quelques jours, une activiste de la société civile, Safiatou Lopez en l’occurrence, a menacé de faire subir au palais de justice le même sort que l’Assemblée nationale. Le parquet avait réagi en promettant d’analyser la suite judiciaire de ces propos… incendiaires. Où en est-on ?



En tant que Procureur général, ma mission est de veiller à la bonne application de la loi pénale dans le ressort de ma compétence. Seuls les Procureurs du Faso ont le quasi-monopole de l’action publique, c’est-à-dire qu’eux seuls ont le pouvoir de décider de poursuivre un individu lorsque celui-ci se met en marge de la loi pénale. Pour le cas dont vous parlez, le procureur est dans son bon droit d’avoir réagi et de donner une suite aux propos incriminés. Laissons-lui le temps d’apprécier.



Une autre polémique vient de naître, sur les réseaux sociaux notamment, avec la déclaration du Président du Faso à New York qui affirme que des juges ont refusé de lui faire le point des dossiers pendants en invoquant la séparation des pouvoirs. Qu’en pensez-vous ?



Sur ce point, je voudrais affirmer qu’il ne s’agit sûrement pas de dossiers relevant des juridictions de droit commun. Il se pourrait que cela se soit passé devant une juridiction d’exception et dans ces conditions, je n’ai aucun commentaire à faire.



Le chef de l’Etat a aussi affirmé qu’« une justice où les juges sont leurs propres patrons pose beaucoup de problèmes ». Votre commentaire ?



Il ne me revient pas en tant que Procureur général de commenter les déclarations du chef de l’Etat. Le respect de l’obligation de réserve du magistrat que je suis me le commande.



Soit ! Mais à l’évidence le torchon brûle entre l’institution judiciaire et le premier magistrat. Les juges seraient-ils devenus « trop indépendants » aux yeux de l’éxécutif ?



Sur cette question non plus je n’ai pas de commentaire à faire par rapport à votre conclusion. Ce que je peux dire par rapport à l’indépendance de la justice, c’est que celle-ci est conçue notamment pour garantir les droits des justiciables dans le cadre de sa saisine.



Où en est-on avec les différents dossiers judiciaires où des magistrats seraient mêlés dans les actes de corruption ? Par exemple, le Centre pour l’éthique judiciaire a dénoncé des juges dans des actes de corruption, et récemment le journal le Reporter a fait cas de magistrats qui ont extorqué de l’argent à des justiciables.



S’agissant de la plainte pour extorsion de sommes d’argent contre des magistrats, avocats, agents de la garde de sécurité pénitentiaire, elle est en cours. Le ministre de la Justice sous la Transition a demandé que l’affaire soit confiée à l’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) ; ce qui a été fait. L’Autorité supérieure de contrôle d’Etat et de lutte contre la corruption (ASCE-LC) a bouclé son enquête et nous en a transmis les résultats ; l’entier dossier a été acheminé au Procureur général près la Cour de cassation qui est seul habilité en la matière à y donner une suite judiciaire ou pas.

Pour le dossier de dénonciation du Centre pour l’éthique judiciaire, une procédure disciplinaire est en cours, et le Conseil supérieur de la magistrature se penchera certainement sur cette affaire lors de ses prochaines sessions.



Toutes ces affaires discréditent la justice aux yeux de l’opinion publique. Si ceux-là qui sont censés sanctionner les acteurs de la corruption sont eux-mêmes cités dans des affaires de corruption, reconnaissons qu’il y a problème.



Je crois que tout le monde est d’accord que le secteur de la justice n’est pas épargné par le phénomène de la corruption. Ce qu’on doit se dire cependant, c’est que, lorsque des personnes sont mises en cause, tant qu’une décision définitive n’intervient pas, elles bénéficient de la présomption d’innocence qui doit être respectée. Attendons donc la suite et après on pourra apprécier.



Certes, mais ces dernières années, on n’a jamais entendu dire qu’un magistrat a été poursuivi ou sanctionné pour des actes délictueux dans l’administration de la justice alors que, entre vous-mêmes, vous vous connaissez et savez qui est une brebis galeuse ou pas.



Si ce que vous dites peut être vrai, il demeure que les magistrats sont des citoyens comme tout le monde, et à ce titre sont justiciables de nos juridictions aussi bien pour répondre d’actes correctionnels que criminels qu’ils viendraient à commettre tant dans l’exercice ou à l’occasion de leurs fonctions qu’en dehors de l’exercice de leurs fonctions.



Le justiciable a souvent l’impression que les magistrats forment une caste de personnes intouchables qui peuvent tout se permettre sans risquer quoi que ce soit.



Je crois que j’ai déjà répondu à cette question. Nul n’est au-dessus de la loi ici au Burkina Faso. Si des actes répréhensibles sont posés, qui que vous soyez, vous devriez en répondre devant les juridictions compétentes.



Des dignitaires de l’ancien régime écroués dans des affaires de parcelles ou de détournement de deniers publics ont été libérés. Des voix se sont élevées pour dénoncer ces libérations provisoires sans explication. Qu’est-ce qui a prévalu à toutes ces libérations : raison de santé ou simplement leurs dossiers sont vides comme cela se susurre ?



Je ne peux répondre que pour les cas qui concernent les juridictions de droit commun relevant de ma compétence. Pour les autres cas, je vous suggère de vous adresser au Tribunal militaire et à la Haute Cour de Justice.

Les cas dont vous parlez concernent essentiellement les maires et leurs adjoints qui font l’objet de procédures ‘’particulières’’ dans des dossiers au nombre de cinq (05) pendants devant les Tribunaux de Grande Instance de Ouagadougou, Ouahigouya, Yako, Kaya et Ziniaré.

Sous la Transition, j’en ai eu à faire le point au ministre qui nous l’avait demandé à l’époque. Je sais également que le gouvernement actuel a fait un communiqué sur certains de ces dossiers.

Globalement ce que nous pouvons dire, c’est que la majeure partie des inculpés a bénéficié de liberté provisoire quelquefois pour raisons de maladie dont le traitement en milieu carcéral s’avère difficile ou incompatible et pour lesquelles le parquet ne s’est pas opposé, ou parce que le juge d’instruction et par suite, la Chambre d’accusation, ont estimé que la procédure d’instruction a atteint un stade où il n’y a plus de nécessité de garder l’inculpé en détention.

Ce qu’il faut dire de ces libertés qui font polémique, c’est que le ministère public, que je représente à la Chambre d’accusation, a toujours pris des réquisitions allant dans le sens des intérêts de la société. Ce qui nous semble le plus important, c’est que les juges en charge de ces dossiers travaillent à les boucler en vue de leur jugement pour que tout le monde soit situé. Et pour ce faire, la présidente de la Chambre d’accusation leur a adressé une note les invitant à faire du traitement de ces dossiers une priorité absolue. De mon côté, j’ai instruit également les procureurs des juridictions concernées de régulièrement se faire communiquer lesdits dossiers pour requérir les actes qu’ils jugent nécessaires en vue de parvenir à leur règlement définitif.

Le souci de tout le monde est que la vérité sur ces affaires soit faite le plus rapidement possible, et là-dessus, je ne pense pas que les magistrats en charge de ces dossiers aient d’autres visées que le règlement définitif et à bref délai de ces procédures. En tout état de cause, si nous avons le moindre doute par rapport au traitement d’un de ces dossiers, nous n’hésiterons pas à demander le dessaisissement du juge en cause parce que la loi nous autorise à le faire.

Pour terminer sur ces dossiers ‘’sensibles’’, je voudrais dire qu’il s’agit de dossiers d’instruction qui sont couverts par le sceau du secret et dans lesquels il est difficile d’entrer dans les détails sans courir le risque de violer ce secret de l’instruction.



Récemment la gendarmerie a dit avoir procédé à l’interpellation de six suspects dans le cadre des enquêtes sur les attentats du 15-Janvier. Plus de cinq jours après le délai de garde à vue, ont-ils été inculpés, et qui sont-ils au juste ?



D’abord je voudrais signaler que le délai de garde à vue en cette matière est de quinze (15) jours susceptible d’être prolongé de dix (10) autres ; ensuite, il est recommandé par les bonnes pratiques en cette matière de terrorisme la discrétion. La raison serait qu’il s’agit d’un domaine sensible qui touche à la sécurité, et la divulgation de la moindre information peut compromettre la suite du dossier. Permettez-moi donc de ne rien dire à ce sujet. Je voudrais plutôt demander à la population d’être toujours vigilante, et de signaler aux forces de défense et de sécurité tout ce qui lui paraît suspect.



Propos recueillis par

Mohamed Arnaud Ouédraogo
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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