Sorti d’une insurrection populaire, notre pays veut passer à une autre République pour marquer la rupture avec la quatrième et les débats ne font que commencer sur cette question d’importance. Le 16 juin à Ouagadougou le Centre pour la gouvernance démocratique (CGD) a organisé une formation à l’intention des journalistes autour de cette actualité sous la facilitation du constitutionnaliste Séni Ouédraogo.
Une Commission constitutionnelle de 92 membres issus de la société civile et des partis politiques et dirigée par Me Halidou Ouédraogo a été mise en place par les nouvelles autorités pour la rédaction de la Ve République. Est-il nécessaire de passer à une autre République ? Affirmatif selon le formateur qui pense qu’après les soubresauts politiques ayant abouti à une insurrection, il faut marquer les esprits de manière symbolique en passant à une autre république. “Une nation se construit aussi à travers des mythes fondateurs”, a-t-il relevé. Toutefois, il a fait remarquer que ce n’est pas le chiffre de la République qui compte mais son contenu. La loi fondamentale actuelle a, selon lui, pas mal de problèmes dans son articulation institutionnelle avec la pré- sence en son sein des organes administratifs comme l’ASCE, le CSC, la CENI...
Mais qui peut rédiger une Constitution ? Il n’a pas de modèle parfait : une assemblée constituante issue des législatives, une équipe d’experts comme c’est le cas actuellement en Côte d’Ivoire ou une Commission constituante en cours dans notre pays. Même chose pour son mode d’adoption : la ratification peut se faire de manière populaire à travers un réfé- rendum populaire, par les députés ou les deux à la fois. Dans tous les cas, la Constitution ne doit pas être seulement l’affaire des juristes puisque c’est un instrument d’organisation de la société. Ce qu’il faut, c’est bien la rédiger pour éviter les interprétations erronées. Le passage à une autre république peut-il permettre au président du Faso actuel de faire un troisième mandat ? “Le président Roch sait qu’il ne peut pas oser vouloir faire un troisième mandat de façon continue ou discontinue, ça au moins, c’est un acquis”, a-t-il assuré. Citant le discours de Bayeux prononcé par le général de Gaulle, qui expliquait qu’une Constitution doit être proche du peuple et permettre au président de la république d’être la clé de voûte des institutions, le Pr Seni Ouédraogo estime à son tour qu’«une Constitution ne peut pas être neutre, c’est une vision irréaliste du droit, un peu trop angélique et naïve », explique le constitutionnaliste avant d’apporter un bémol : « elle ne doit non plus être imposée pour un groupuscule.
On n’écrit pas une Constitution pour soi (…) elle doit être impersonnelle». La tendance actuelle, c’est de réduire le pouvoir du chef de l’Etat mais le confé- rencier pense que tant qu’on élira un pré- sident au suffrage universel, il aura toujours une légitimité dans ses actions. Au sujet des débats sur l’indépendance de la justice, il a admis que la justice ne peut pas vivre en cloison puisqu’il faut que l’exécutif fasse appliquer ses décisions. Pour lui, l’indépendance de la justice ne se limite pas à la composition du Conseil supérieur de la magistrature, mais c’est ce qui se donne à voir au quotidien à travers une justice qui protège le citoyen contre l’arbitraire des gouvernants, rendre les décisions dans de meilleurs délais. Pour l’indépendance du judiciaire, il faut revoir les conditions d’accès à cette profession en relevant le niveau, en adoptant le système anglo-saxon de sorte à ne pas en faire la chasse gardée de ceux qui ont étudié le droit à l’université et en revoyant les conditions d’âge. “Si quelqu’un qui n’a pas fini de téter peut être un magistrat ça pose quand même un problème”, a t-il conclu.
Abdou Karim Sawadogo