Alors que ses partisans et ses soutiens croyaient dur comme fer que Djibril Bassolé serait libéré suite à l'audience en annulation contre les présumées écoutes téléphoniques dans l'affaire du coup d'Etat de septembre 2015, la Chambre de contrôle du Tribunal militaire en a décidé autrement, en déclarant irrecevable la requête de ses conseils. C'était le 24 juin dernier. Dans l'entretien qu'il nous a accordé le lendemain du verdict qui se voulait celui de l'espoir, l'un des avocats du général de gendarmerie, Me Dieudonné Bonkoungou en l'occurrence, estime que son client est un prisonnier politique juridiquement malmené.
Quelle est votre réaction face à la décision de la Chambre de contrôle de la Justice militaire qui a déclaré votre requête irrecevable, le 24 juin dernier, dans le cadre de la procé- dure en annulation des écoutes télé- phoniques ?
Il faut d’abord rappeler que le 15 janvier 2016, le juge d’instruction a rendu une ordonnance, refusant de mettre les écoutes téléphoniques hors du dossier. C’est de cette ordonnance que M. Bassolé a relevé appel devant la chambre de contrôle. Nous avons démontré que leurs sources étaient jusque-là inconnues ; donc nous ne savons pas d’où elles viennent. C’est un secret de Polichinelle que vous dire qu’elles ont été diffusées sur les réseaux sociaux pour la première fois du côté d’Abidjan, par une personne qui « aime » bien Guillaume Soro, après que Yacouba Isaac Zida, suivant ses propres déclarations eût tenté, en vain, de rallier celui-ci à sa cause. Nous avons aussi démontré qu’elles sont contraires aux textes internationaux ratifiés par notre pays, à la Constitution et aux dispositions pénales du Burkina. C’est une liberté individuelle valable pour chacun de nous ! Sans se prononcer sur ces questions, la Chambre de contrôle a déclaré, contre toute attente, l’appel irrecevable. Nous poserons les mêmes questions au juge de Cassation.
Et que dire de la nouvelle charge du 21 juin 2016 contre Djibrill Bassolé ?
Cette nouvelle charge, à savoir l’incitation à commettre des actes contraires au devoir et à la discipline militaire, tout comme les précédentes avaient-elles lieu d’être ? De toute évidence, non ! Et je voudrais, à la faveur des débats actuels, appeler les Burkinabè à une démarche honnête et à un désir réel pour la vérité, le changement et la réconciliation. L’on ne peut pas vouloir d’une chose et de son contraire ! Les faits peuvent toujours être présentés sous un jour accablant par ceux qui ont à leur disposition tous les moyens de communication, avec toutes les confusions volontaires possibles. L’opinion peut donc être ainsi manipulée. Mais il y a les faits constants, ceux qui sont publics, médiatisés et que tout le monde et chacun peut analyser avec la lumière qu’il a. Cependant, vous comprendrez que les faits qui sont au dossier échappent au public et qu’il faut faire confiance au mécanisme judiciaire.
Que voulez-vous dire ? Que votre client est injustement poursuivi ?
Je voudrais d’abord inviter l’opinion à dissocier les faits des 30 et 31 octobre 2014, c’est-à-dire l’insurrection populaire, de ceux du 16 au 23 septembre 2015, le coup d’Etat manqué. Il y a eu des morts et des blessés, des dégâts matériels lors de l’insurrection qui ne peuvent pas être mis sur le compte des faits du 16 septembre 2015. L’amalgame est vite fait avec cette volonté de soulever davantage d’émotions et crier à l’injustice ou à la manigance politicienne ou judicaire au mépris des droits des victimes. Pour le cas qui nous concerne, il faut rappeler, que c’est un communiqué du Gouvernement de Transition, au soir du 28 septembre 2015, qui a incriminé Djibrill Bassolé pour que, le 29 septembre au matin, il soit arrêté sous le pré- texte qu’il se serait entendu avec le Général Gilbert Diendéré pour faire appel à des djihadistes. Le CND (Conseil national pour la démocratie, NDLR) avait rendu le pouvoir depuis le 23 septembre, le RSP (Régiment de sécurité présidentielle, NDLR) avait été dissout le 25 septembre et ses militaires affectés. D’ailleurs, nous savons tous qu’au Camp Naaba Koom II, il n’y avait presque plus de militaires du RSP, puisque le désarmement avait commencé selon un protocole d’accord convenu chez le Moro Naaba. Et il n’y avait ni armes, ni djihadistes chez Bassolé, dont le domicile avait été cerné la veille par les forces de l’ordre et perquisitionné après son arrestation tout comme ses autres maisons. Même la maison natale a été fouillée de fond en comble. Face à ce vide factuel contre Bassolé, il ne restait qu’une solution : médiatiser à son détriment toute la procédure.
C’est ainsi qu’on en est venu à mettre en ligne, le 12 novembre 2015, soit un mois et demi environ après son arrestation, des écoutes supposées, sur une conversation supposée, avec Monsieur Guillaume Soro (Président de l’Assemblée nationale ivoirienne, NDLR). Alors, nous avons démontré l’irrégularité et l’illégalité des prétendues écoutes téléphoniques. Nous avons, en toute logique, remis en cause, par voie d’expert et pas des moindres, l’intégrité et l’authenticité de ces éléments sonores, pour lesquels nous sommes dans l’attente de décisions définitives des juges, tant au plan interne qu’international. Rappelons que le Général Gilbert Diendéré, lui, a plusieurs fois déclaré que Bassolé n’avait rien à voir dans cette affaire. Et lorsque nous regardons les faits et l’état de la procédure, nous avons plus que le sentiment que M. Bassolé est un prisonnier politique juridiquement malmené, que des gens ont peur qu’il sorte de la prison. On ne peut que s’interroger : pourquoi ont-ils peur que M. Bassolé recouvre la liberté ? Quels éléments peut-il modifier dans la procédure en cours ? Que peut-il changer dans la configuration politique actuelle ?
A vous écouter, il y a comme une instrumentalisation de la justice contre le général de gendarmerie ?
(Rires…) Je sais qu’une nouvelle terminologie est en vogue : les « juges faciles et dociles » ont remplacé les « juges acquis »… (Rires)… mais j’ai une autre lecture de la situation. Bassolé est un prisonnier politique juridiquement malmené. En ce qui concerne le Commissaire du Gouvernement, il est constant qu’il est sous une hiérarchie à même de lui donner des instructions claires et précises, auxquelles il doit se soumettre. Mais en tant que magistrat, il garde une liberté de parole dans ses réquisitions. De manière générale, il faut rappeler que l’affaire a été initiée sur fond de forte pression médiatique et une récupé- ration politique de la douleur des victimes. J’allais même dire que la médiatisation du dossier a été un des éléments essentiels sinon un élément de conception de l’accusation. Isaac Zida voulait non seulement anéantir ses adversaires politiques, mais aussi un certain nombre de ses camarades au sein du RSP, ou en dehors, qui le dérangeaient. L’occasion était belle pour exécuter son plan. Dans ce contexte, lorsque les magistrats qui se croyaient sortis de ces pressions font de nouveau face à des appréciations « qui font sursauter et qui font mal », sur leurs décisions par l’Exécutif, avec encore pour relais des OSC (Organisations de la société civile, NDLR), le juge peut être entraîné dans une rigueur ou une prudence excessive qui servira peu ou prou la cause de ceux qui crient ou s’agitent. Par exemple, face à des gens qui crient haro sur les libertés provisoires, s’ils ne prennent pas du recul, le Commissaire du gouvernement s’opposera systématiquement et le juge refusera de libérer, même s’il sait que sa motivation est fortement critiquable. De toutes les façons, il n’y aura aucune polémique sur des demandes de liberté provisoire rejetées sans motifs pertinents ; sauf nous autres bien sûr. Mais nous, ça ne compte pas !
Revenons sur le casus belli, les fameuses écoutes téléphoniques ; si la Chambre de contrôle ne vous a pas donné raison, c’est peut-être que vos arguments juridiques ne sont pas pertinents.
Chaque fois que l’on me pose cette question, je suis étonné, tellement le droit à la protection du secret de la correspondance est évident et vécu tous les jours par chacun de nous, que je crois que ce débat n’avait pas lieu d’être.
Soyez plus explicite car ce n’est pas évident pour tout le monde…
C’est pourtant évident même pour le citoyen lambda au fin fond du Burkina Faso, qui possède un téléphone et qui ne veut pas que sa femme ou son mari décroche les appels ou lise ses sms… N’est-ce pas évident !? Je le dis et le répète, ce débat ne concerne pas Bassolé uniquement. Tout le monde est concerné. De toutes les façons Bassolé s’en sortira ; mais demain, il peut s’agir de vous et de moi et de tous ceux qui ne pourront pas se défendre utilement contre un puissant du moment, qui se donne le loisir de vous écouter matin, midi et soir pour en faire ce qu’il veut le moment venu ! La question se pose même au regard du principe d’indépendance de la magistrature. Que restera-t-il de la liberté, de l’obligation de loyauté du magistrat, s’il peut se faire imposer (entre guillemets) des éléments illégaux dans une procédure judiciaire, à force de manipulations ?
Mais là il est question de sûreté de l’Etat. Ne pensez-vous pas qu’il peut y avoir ici une exception au principe ?
Tout d’abord la Sûreté de l’Etat est différente de la procédure judiciaire. Ensuite, la Sûreté de l’Etat repose, en premier, sur des règles fondamentales, qu’il faut rigoureusement respecter. Sinon, cette liberté de pratiquer des écoutes sauvages, se retournera même contre ceux qui la défendent, un jour ou l’autre. Enfin, il n’y a aucune base juridique, même pour la raison d’Etat, d’écouter un citoyen sans procédure. S’il y a de justes et sérieux motifs de craindre pour la sécurité de l’Etat, je crois que le magistrat peut être mis à contribution. C’est lui qui est le gardien des libertés individuelles. Et si malgré tout, comme c’est de coutume, une catégorie de la population est écoutée pour une raison x ou y (bien des fois pour des bassesses), il faudra avoir l’intelligence, la décence, la délicatesse de travailler sur cette base pour réunir des faits qui établissent clairement l’intention criminelle de la personne mise en cause, et, sur la base de ces faits avé- rés, saisir le juge. Pas l’inverse ! On ne peut pas, à bon droit, juger quelqu’un, uniquement et exclusivement, sur la base d’une conversation téléphonique, même si elle est avérée ! C’est pour ça qu’il faut partir des faits, pour saisir le juge qui, lui, s’il estime indispensable de violer cette liberté individuelle, l’ordonne, par une décision motivée ! C’est vrai que même là, il n’y a pas de textes juridiques, mais là au moins, l’on pourra se prévaloir d’un cadre régulier et protecteur !
La justice burkinabè a finalement décidé d’annuler le mandat d’arrêt qui frappait Guillaume Soro dans cette histoire des écoutes, préférant s’engager dans une procédure dite de dénonciation. Quelle lecture faites-vous de ces petits arrangements diplomaticojudiciaires ?
Au-delà de la question de forme sanctionnée, à bon droit, par la Chambre criminelle de la Cour de cassation, le mandat d’arrêt contre Monsieur Soro, tout comme la question de l’éviction des avocats étrangers, posaient des questions de légalité et d’opportunité. Sur la question de forme, la loi est édictée pour être respectée, surtout lorsqu’elle touche une liberté individuelle. Si donc le juge ne la respecte pas, ses actes doivent pouvoir être annulés sans complaisance. En ce qui concerne la base légale, je voudrais rappeler que des dispositions pertinentes de conventions internationales en matière de coopération judiciaire, prévoient qu’aucun de nos deux pays n’extrade son national, et donnent aux infractions politiques et aux juridictions d’exception un régime qui peut faire dire qu’elles sont quasiment exclues du champ de cette coopération. En outre, les irrégularités et l’illégalité de ces écoutes téléphoniques supposées, déjà dénoncées par M. Bassolé, les prises de positions publiques et frontales contre M. Soro par M. Zida, alors Premier ministre et qui personnellement a un intérêt dans la procédure en cours, le tout avant même l’émission du mandat, selon moi, étaient des indicateurs qui laissaient percevoir toute la problématique juridique de la mise en cause dans cette affaire de Guillaume Soro, deuxième personnalité de l’État ivoirien. Rappelez-vous cette expression selon laquelle, « lorsque la Côte d’Ivoire éternue, le Burkina est enrhumé… » Je ne sais plus de qui elle est, mais les liens socio-historiques, politiques, et économiques ne devaient-ils pas primer sur des intrigues politiques ? Gardons toujours à l’esprit que le but de la justice, c’est la quiétude de la société. Nous verrons la suite qui sera réservée par les instances judiciaires de la Côte d’Ivoire à cette dénonciation, qui, si elle repose uniquement et exclusivement sur les écoutes téléphoniques supposées, n’aura pour fondement que des éléments dont la légalité et l’authenticité sont mises à rude épreuve, se heurtant à des violations de droits et libertés individuelles fondamentaux et à des questions de procédures. On ne saurait, avec bon sens, violer la loi pour faire respecter la loi ; c’est absurde ! Vous comprendrez au total que ni Guillaume Soro ni Djibrill Bassolé ne peuvent pas sérieusement être inquiétés dans cette affaire!
Que pensez-vous donc du principe de la séparation des pouvoirs et de l’indé- pendance de la magistrature au centre des débats ces jours-ci ?
C’est un principe fondamental de l’Etat de droit. C’est aussi une des revendications essentielles de l’insurrection ! J’invite les acteurs de la vie politique à la raison. J’invite tous les acteurs du monde judiciaire de quelque bord qu’ils soient à se donner la main pour lutter pour l’affirmation de ce principe et de son effectivité. Vous savez, l’indépendance de la magistrature, c’est pour le peuple au nom de qui la justice est rendue. C’est donc à nous tous que cela profite ! Même à ceux qui, aujourd’hui, veulent lui trouver des leviers de contrôle ! Il faut que le juge puisse agir de sorte à garantir sans aucune influence, ni des puissances financières ni des forces politiques, le droit du plus faible. Le corollaire c’est un juge indépendant réellement, indépendant de lui-même, de sa propre personne, je veux dire, indépendant des autres, intègre et compétent.
Pensez-vous que le procès de l’affaire du coup d’Etat aura lieu bientôt même si le chef de l’Etat a déjà donné une date : le dernier trimestre de l’année 2016 ?
C’est une projection comme celles qui l’ont précédée. Tout dépend de l’avancement de la procédure. Et c’est une excuse fallacieuse que de soutenir que ce sont les avocats qui bloquent la procédure. L’avocat défend la cause de son client par les moyens de droit que la loi lui confère. Il appartient au juge de trancher. A ma connaissance aucune des contestations initiées par nos soins, ne pouvaient emporter blocage général de la procédure. Par ailleurs, je ne vois aucun sens à reprocher aux avocats d’exercer les droits reconnus aux justiciables, sauf à dire à ceux-ci de se taire et de suivre docilement la procédure.
Au-delà des questions judiciaires concernant notamment votre client, quelle appréciation d’ensemble faites-vous de la situation sociopolitique ?
Je vous invite tous à une réflexion honnête sur la situation de notre pays, et à rechercher la paix et la réconciliation, la cohésion nationale. Voici un petit aperçu, de manière télé- graphique, qui constitue pour moi, des éléments sur lesquels nous devons constamment réfléchir. Au départ, il y a eu l’insurrection. Alors que le pouvoir était remis entre les mains du chef d’état-major des Armées, un lieutenant-colonel est sorti du rang et a opéré un coup de force pour s’imposer à la tête de l’Etat. Puis s’en est suivie une Transition parsemée de soubresauts, avec des zones d’ombre et dont le bilan, mis sur la place publique, remet fortement en cause les bonnes intentions et promesses d’intégrité de certains de ses acteurs. Bref, beaucoup d’éléments sont aujourd’hui révélés et il faut en tenir compte dans nos analyses et critiques. Ne regardons pas seulement les effets sans rechercher et analyser les causes. Cessons donc les manipulations et regardons la vérité en face. Allons à l’essentiel : recherchons la paix sans laquelle même la vérité ne sert à rien. Souvenons-nous que d’autres peuples ont été éprouvés plus que nous, mais s’en sont sortis grâce au pardon, à la réconciliation, à la recherche de cette paix existentielle. Atitre d’illustration, il y a l’Afrique du Sud, le Rwanda, le Libéria, la Sierra Leone … Souvenons-nous aussi que l’objectif de la justice, c’est la paix sociale.
Interview réalisée par
Abdou Karim Sawadogo