Après une semaine d’interruption, le procès en assises de l’ex-Première dame de la Côte d’Ivoire, a repris le lundi dernier sur les bords de la lagune Ebrié. Avec la même verve qu’on lui connaît, Simone Gbagbo est restée fidèle à elle-même et à sa ligne de défense face à la partie civile à laquelle elle était confrontée pour la première fois. Déniant toute responsabilité tout en réclamant des preuves, l’ex-Première dame qui n’a pu contenir sa colère à un moment donné face au déluge de questions et de charges, s’est dit choquée par la gravité des faits dont on l’accuse. Et de poursuivre : « Je n’ai envoyé personne faire la guerre, les combats je ne les ai menés qu’avec ma bouche ».
Clair comme de l’eau de roche ! Simone Gbagbo n’aurait donc rien à voir avec les tueries de la crise postélectorale ! Toutefois, elle reconnaît avoir pris part aux combats, par sa bouche qui l’a certainement trahie. Car, en tentant de minimiser son rôle dans le drame ivoirien voire de le réduire à sa partie la plus inoffensive possible, Simone Gbagbo se dévoile et se trahit à la fois. En effet, cela peut être vu comme un aveu de sa participation active aux combats, que ce soit par des prières, des conseils ou des ordres qui ont pu sortir de sa bouche. Et quand on sait qu’elle était une éminence grise du pouvoir d’alors, l’on peut aisément imaginer que le poids de sa parole se mesurait à l’aune de sa personnalité et du rang qu’elle occupait. Et comme dit l’adage, ce que femme veut, Dieu le veut et l’homme l’exécute. Du reste, l’histoire de l’humanité foisonne de ces exemples de femmes qui ont toujours su obtenir ce qu’elles voulaient des puissants. A l’image de la princesse Salomé qui a obtenu la tête de Jean-Baptiste sur un plateau, du roi Hérode Antipas qui, charmé par sa danse, décida de lui accorder tout ce qu’elle lui demanderait. Par ailleurs, ne dit-on pas que la bouche d’une femme est son carquois ? Et du carquois de Simone Gbagbo ont bien pu sortir des flèches empoisonnées qui ont pu contribuer à entraîner le pays dans la situation que l’on sait. Tout comme les balles assassines de ceux qui ont fini par triompher d’elle et de son mari, ont aussi ôté la vie à d’innocents Ivoiriens. Il est clair que Simone Gbagbo n’est pas la seule responsable et ne devrait pas être seule à payer.
La Côte d’Ivoire a besoin de se regarder dans la glace
Mais ce qui est regrettable dans cette tragédie ivoirienne, c’est que l’on a l’impression que personne ne se sent coupable, que personne ne se sent responsable de quoi que ce soit, comme si tous ces morts avaient été happés par une main invisible ou s’étaient simplement noyés dans la lagune Ebrié. Et pourtant, il y a eu des scènes atroces, dues à la barbarie humaine, avec des commanditaires, des donneurs d’ordre, des exécutants et des victimes. A ce rythme, saura-t-on jamais un jour toute la vérité sur ce qui s’est réellement passé en Côte d’Ivoire? Rien n’est moins sûr. D’autant plus que dans ce feuilleton politico-judiciaire, l’on a le sentiment que l’on s’acharne sur un seul camp dont tout porte à croire qu’il a, lui aussi, choisi comme arme principale de défense le déni total et le rejet systématique. Aussi pourrait-on parvenir à des condamnations de principe sans véritablement connaître le fin mot de l’histoire, si les jurés eux-mêmes ne s’en remettent finalement pas plus à leur intime conviction qu’aux véritables preuves matérielles pour prendre leur décision. Et pourtant, la Côte d’Ivoire a besoin de se regarder dans la glace, dans toute sa laideur, pour pouvoir se refaire une beauté et parvenir à une réconciliation véritable de ses fils et de ses filles. Cela passe par la reconnaissance des responsabilités dans les deux camps. Autrement, l’on risque de se retrouver dans une logique de vengeance, au gré de l’évolution et de la dévolution du pouvoir politique.
Finalement, c’est l’histoire de la Côte d’Ivoire même qui serait le plus à plaindre. Tant les accusés semblent rejeter la justice des Hommes et se réserver pour la justice immanente. Sans doute se disent-ils que s’ils venaient à reconnaître leurs torts, il serait difficile pour eux de supporter le regard des autres Ivoiriens. Mais cela est quand même malheureux, car les victimes ne sont tout de même pas des OVNI. A la limite, Simone Gbagbo fait pitié. Surtout quand le recours au déni est aussi flagrant pour une personne de son âge (elle vient de fêter ses 67 ans) et de son statut. De quoi a-t-elle finalement peur ?
Outélé KEITA