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Art et Culture

Soirées de contes dans le Sanguié : une "école" en voie de disparition
Publié le jeudi 16 juin 2016  |  Sidwaya




Jadis, dans les villages, à la faveur de la clarté des nuits étoilées, autour des feux de bois, enfants, adultes et vieillards se retrouvaient pour écouter avec joie et enthousiasme des contes. Cette école où, de façon ludique, les tout-petits étaient initiés aux rudiments de la vie sociale semble, de nos jours, est reléguée aux oubliettes face à la «suprématie» de la modernité. Dans la province du Sanguié, les soirées de contes sont devenues un lointain souvenir dans les villages. Mais pourquoi l’abandon d’une pratique aussi importante? Un séjour dans quelques localités de la province nous a permis de cerner les contours de la question.

La famille Bationo, habitant à Essouson, au secteur n°1 de Réo dans la province du sanguié, est surprise de la visite nocturne de l’équipe de reportage. En effet, il est 20h 05 mn le mardi 5 avril 2016 quand nous sommes arrivés sur les lieux. Après des salutations d‘usage à l’entrée de la concession, nous sommes invités à prendre place à l’intérieur de la cour en face du chef de famille, Ozoro Bationo. Ce qui frappe de prime abord, c’est le calme plat dans lequel est plongée toute la famille. Les enfants semblent déjà dans les bras de morphée. Le chef de famille, Ozoro Bationo veut comprendre la raison de la visite. La question est posée pour savoir où sont passés les enfants et les jeunes à cette heure-ci. Nous ajoutons que nous espérions venir trouver la famille autour d’un feu pour une soirée de contes. Ahuri, M. Bationo souligne qu’aujourd’hui, il est quasi difficile surtout, la nuit tombée, de voir les jeunes près des vieux pour des veillées de contes. Par conséquent, il ne peut pas conter pour lui-même ni aux greniers ou dans le vide. «Voyez-vous, les enfants dorment déjà, les jeunes sont allés rejoindre leurs copines en ville, d’autres sont dans les vidéoclubs. Ils n’ont vraiment plus le temps des parents pour prendre des conseils «,confie-t-il, dans une sérénité où pointe un tantinet de regret. Son fils, père de famille de deux femmes, apparemment vieux pour son âge, assis à côté de lui, constate pour sa part : «Nous désirons de tout notre cœur avoir nos enfants près de nous à ces heures pareilles pour leur inculquer des valeurs par le biais de contes. Mais hélas. Ils nous abandonnent souvent dans la nuit sans même nous avertir de leur absence».
Avant de prendre congé de lui, M. Bationo nous gratifie d’un conte qu’il narre avec un plaisir inouï. Plus loin à quelques pas de chez lui, dans les autres concessions alentours, c’est un silence de cimetière qui y règne aussi. Les maisons baignent dans une obscurité totale.

Les veillées de conte n’existent pratiquement plus dans cette bourgade. Un constat que confirme le chef coutumier de la localité, Aimé Bassolé. Il est nostalgique de cette époque où tous les âges se réunissaient chaque soir pour bercer les enfants dans les racines de leur culture.

Mettre l’accent sur la sensibilisation

Il pense que les veillées de contes peuvent être ressuscitées au profit des tout-petits. Aujourd’hui, déplore-t-il, le comportement de la jeunesse est décriée partout, parce qu’ils n’ont plus de repères. Les soirées de contes étaient, précise-t-il, une véritable école, où tout leur était enseigné, dans une ambiance de détente. « Nous, adultes et vieillards, sommes responsables de cette situation d’autant plus que nous regardons notre culture avec mépris. Nous avons capitulé devant les vagues de la modernité en laissant nos enfants sans boussole», argue le vieux, Aimé Bassolé. Pour lui, il faut sensibiliser les gens sur la portée profonde des soirées de contes dans l’éducation des enfants. Au secteur n°9 de Réo, chef-lieu de la province du Sanguié, Inoussa Kinda tente de sauver les meubles en narrant des contes à la radio locale, «La voix du Sanguié«, les mercredis de la semaine. Quand il n’arrive pas à se déplacer jusqu’à la radio, les techniciens le rejoignent à son domicile pour enregistrer les contes. M. Kinda pense que la radio peut pallier un tant soit peu l’inexistence des soirées de contes. C’est pourquoi, il prend ce plaisir à se servir de ce canal pour s’adresser à la population.

Avant de quitter le vieux conteur Kinda, il nous narre deux contes en présence de son épouse.
Après Réo, cap sur Ténado, une commune rurale située à une vingtaine de Km de Réo. Là, les vieux Touguié, Olima, Obou Baziomo acceptent volontiers de nous entretenir sur la disparition des soirées de contes. Le soleil est au zénith dans ce mois caniculaire d’avril. Nous prenons place sous un arbre ombragé. Les trois sexagénaires nous avertissent que les contes sont narrés la nuit, mais on peut le faire à titre exceptionnel la journée.

Les contes se disent la nuit

«La nuit, parce que ce moment était bien propice pour le repos après une longue journée de dur labeur. Cette période était également bien indiquée parce que tout est calme et la concentration des uns et des autres est soutenue, parce que chacun a, au moins, mangé un plat de tô bien chaud ’’, soutient Obou Baziomo ; car, poursuit-il, c’est quand le ventre est plein que les oreilles peuvent vraiment entendre. Pour lui et ses camarades, les soirées de contes étaient une vénérable institution scolaire dans la mesure où ne prenait pas la parole qui le voulait, mais qui le pouvait.

« C’est au regard de l’expérience acquise auprès des anciens et la bonne maîtrise de la langue qui accordait l’approbation générale de narrer un conte au cours d’une veillée. La personne qui prenait la parole jouait le rôle de guide, d’éducateur et de moralisateur pour la communauté réunie », étayent les trois vieux. Tougouié Baziomo raconte avoir eu toutes les peines à convaincre ses petits-fils récemment de rester à ses côtés pour leur narrer des contes. L’un a préféré aller jouer au football et l’autre est allé rejoindre simplement ses camarades de jeu. A l’entendre « les contes constituent un pan de notre identité culturelle. De plus, ils font passer beaucoup de messages et sont bénéfiques à ceux qui en tirent des enseignements».

Quant au vieux Olima, il nous confie avoir vécu également une expérience similaire avec son arrière-petite-fille âgée de six ans. Il rapporte sa réponse lorsqu’il voulait conter des histoires :«laisse-moi tranquille, grand-père, je vais allumer la radio et me trémousser au son de la musique. Je n’ai pas de temps à t’accorder».

Ces contes, se remémorent les vieux Baziomo, se déroulaient autour d’un feu entretenu par des tiges de mil, dont la cendre servait à faire de la potasse, le lendemain.

Tout comme, Souleymane Bakouam et Boukary Badolo, des vieux rencontrés dans les villages de Lapio et Kwen situés, à quelques encablures de la commune rurale de Didyr, à une quarantaine de kilomètre de Réo, ils partagent également les mêmes raisons avancées par les vieux de Ténado.

Le vieux Bakouan de Lapio, quant à lui, promet de faire renaître sans problème les contes dans son village. Il confie avoir pris conscience qu’il faut « réveiller » les soirées de contes après notre passage. « Les contes sont les vecteurs de notre identité culturelle. Ils font passer beaucoup de messages et de leçons à l’endroit de tous, plus particulièrement les enfants », relève Souleymane Bakouan.

Elélé KANTORO
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