Selon l’Union pour le progrès et le changement (UPC), si l’espoir d’une justice indépendante est né de la réouverture des dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo sous la Transition, six mois après l’installation du régime du président Roch Marc Christian Kaboré, le parti se dit préoccupé de la situation de la justice. Au regard de la lenteur constatée dans le traitement de ces dossiers et d’une « immixtion » dans certaines procédures, l’UPC s’inquiète de la volonté du gouvernement de rester en phase avec les aspirations des Burkinabè.
Peuple du Burkina Faso, La justice de notre pays traverse les pires moments de son histoire. Le brave peuple burkinabè a marqué son désaccord total avec la mal gouvernance, la corruption, l’impunité, l’injustice et la démocrature en mettant fin au régime de Blaise Compaoré, les 30 et 31 octobre 2014. Des élections couplées présidentielle et législatives ainsi que celles municipales ont été organisées pour un retour à la normalisation des institutions républicaines et la consolidation de notre démocratie. L’espoir d’une justice indépendante était né avec la réouverture sous la Transition, des dossiers Thomas Sankara et Norbert Zongo qui étaient venus rappeler aux adeptes de l’amnésie que l’impunité était à jamais bannie au Burkina.
C’est dans ce même élan que les anciens dignitaires du régime Compaoré poursuivis pour malversations dans la gestion de la chose publique ont été pris dans les mailles de la justice et leurs dossiers sont dans des cabinets d’instruction. De même, des procédures judiciaires ont été engagées contre X dans le cadre de l’affaire dite des « victimes de l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014 » et contre les commanditaires, auteurs et complices du coup d’Etat du 16 septembre 2015. Cependant, six mois après l’installation du régime du Président Roch Marc Christian Kaboré, notre parti est fortement inquiet de la situation de la Justice, en raison des dérives dangereuses qu’il constate. En effet, les différentes déclarations et manœuvres du nouveau régime, la lenteur constatée dans le traitement de certains dossiers emblématiques, et les immixtions graves observées dans certaines procédures, nous inquiètent profondément quant à la volonté réelle de ceux qui nous gouvernent, de rester en phase avec les aspirations de notre peuple. Un malaise judiciaire s’est installé dans notre pays, nourri par le traitement réservé à plusieurs affaires qui étaient au cœur des plus grandes mobilisations citoyennes de notre histoire. En seulement six mois de gestion des affaires publiques, il est aisé de constater que notre pays s’écarte des principes qui fondent l’Etat de droit et la bonne gouvernance. L’on assiste à des « catastrophes » judiciaires qui achèvent de convaincre que notre justice marche à pas forcés et à reculons. Les affaires Thomas Sankara, Norbert Zongo : qui bloque ces dossiers ? Il y a de cela plusieurs décennies que Thomas Sankara, Norbert Zongo et leurs compagnons d’infortune attendent que justice leur soit rendue.
La Transition est venue donner espoir au peuple en rouvrant ces dossiers. Cependant, depuis l’avènement du « nouveauancien » pouvoir, ces dossiers semblent renvoyés aux calendes grecques et « plus rien ne bouge ». Qui bloque les dossiers ? Certains anciens défenseurs de ces dossiers ont même choisi le chemin du raccourci, abandonnant « veuves et orphelins » à leur sort. Ces deux dossiers ont nourri l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014 ayant abouti à la chute du régime Compaoré, et les autorités actuelles doivent comprendre qu’elles ne pourront jamais les enterrer. Il est temps que ces dossiers connaissent un dénouement. Or, notre inquiétude est d’autant plus grande que certains acteurs de notre vie politique n’ont pas forcé- ment intérêt à ce que la vérité se sache dans cette affaire Thomas Sankara. Avant d’être physiquement assassiné par un commando dont il ne sera pas difficile d’identifier les commanditaires, Thomas Sankara a d’abord été politiquement assassiné par certaines composantes du CNR dont des membres éminents animent toujours notre vie politique. Le complot est donc plus profond qu’il n’y paraît, et la vérité pourrait emporter beaucoup de monde. C’est sans doute pour cela que le dossier tourne en rond. Un autre dossier «séculaire», qui attend jugement depuis plusieurs années et qui avait connu un début de dénouement sous la Transition avant de s’étouffer sous le régime de nouveau-ancien pouvoir, est sans doute celui de Norbert Zongo et ses compagnons d’infortune. Un espoir était né pour les victimes et l’ensemble du peuple burkinabè qui réclament justice. Cependant, depuis l’arrivée au pouvoir de Monsieur Roch Marc Christian Kaboré, les « catastrophes » judiciaires se sont multipliées, et l’on assiste à des comportements inadmissibles et intolérables.
Le peuple doit rester vigilant et être aux aguets afin que ces dossiers connaissent enfin un dénouement judiciaire rapide. Justice pour Thomas Sankara ! Justice pour Norbert Zongo ! Justice pour leurs compagnons d’infortune ! Justice pour tous les martyrs! Les martyrs de l’insurrection et du putsch : le silence coupable ! Le combat du peuple contre l’impunité, pour la démocratie et la bonne gouvernance a coûté un lourd tribut. De nombreuses personnes, jeunes pour la plupart, ont trouvé la mort, fauchés par les balles de la soldatesque du régime Compaoré, pour que notre patrie soit libre. Depuis lors, leurs parents, leurs proches et tous les Burkinabè s’impatientent et réclament vérité et justice. Or le dossier piétine ! Qui fait obstacle ? Dans quel but ? Le traitement de ce dossier est plus que jamais urgent et notre parti regrette que la Transition ne lui ait pas accordé toute l’attention qu’il méritait. Aujourd’hui, un dossier plus récent comme celui du putsch du 16 septembre 2015 semble paradoxalement plus avancé, puisque le ministre de la Justice annonce un procès avant décembre 2016. Des moyens conséquents ont-ils été donnés aux cabinets d’instruction saisis de ces dossiers pour accomplir leurs missions avec célérité et professionnalisme ? Dans tous les cas, le gouvernement, dont la mission première est de procurer la sécurité et la justice aux populations, est fortement interpellé sur ce sujet. Le peuple s’impatiente et notre parti s’indigne devant ce silence coupable. L’annulation des mandats d’arrêt par la Cour de cassation : scandale judiciaire Le putsch manqué du 16 septembre 2015 a conduit à l’émission de mandats d’arrêt contre des « cerveaux » en fuite ou résidents à l’étranger, par la justice militaire.
Mais l’évolution récente du dossier laisse songeur. Ainsi, la Cour de cassation, la plus haute juridiction nationale, a été saisie d’un pourvoi relatif à la régularité querellée de mandats d’arrêt émis par la justice militaire dans le cadre de la procédure du putsch de septembre 2015, contre les fugitifs. Dans cette affaire, la Cour a rendu deux décisions incongrues et ambivalentes qui troublent manifestement la quié- tude du peuple burkinabè qui a soif de justice. D’abord dans un premier temps, elle a rendu une décision de rejet dans la matinée du 28 avril 2016 ; ensuite, dans la même journée, elle est revenue dans des conditions très floues et incompré- hensibles, sur sa décision pour dire que le pourvoi était bien fondé et a, par conséquent, annulé les mandats querellés. A ce jour, aucune explication n’est donnée, ni par la juridiction concernée, ni par le ministère de la Justice, ministère de tutelle. Ces volte-face, sont d’une extrême gravité et n’honorent pas la Cour de cassation, qui est la plus haute juridiction nationale. Face au tollé et à l’indignation provoqués par ce scandale, le Directeur de la justice militaire s’était empressé de rassurer que de nouveaux mandats allaient être réintroduits « très rapidement dès le mardi 3 mai ». A ce jour, nous sommes toujours dans l’attente.
On l’aura compris, le traitement par voie « diplomatique » de l’affaire des mandats d’arrêt promis par le Président Roch Marc Kaboré à son homologue ivoirien a donc été un franc succès ; la justice burkinabè a « diplomatiquement » annulé les mandats querellés. Le récent déplacement d’une délé- gation gouvernementale à Abidjan, dont le Président de l’Assemblée nationale, semble bien confirmer que nos autorités vont sacrifier notre justice sur l’autel de la diplomatie et d’une prétendue réconciliation nationale. Les remaniements à la justice militaire : « la quête des juges faciles ou acquis» Alors que l’on n’avait pas encore fini de dénoncer le scandale dit des mandats d’arrêt annulés par la Cour de cassation, voilà que le gouvernement, comme pour siffler la « fin de l’indépendance retrouvée » de la justice militaire, prenait des décrets mettant fin aux fonctions de trois magistrats en charge du dossier du coup d’Etat : deux juges d’instruction et le commissaire du gouvernement près ce tribunal. Cette intrusion de l’exécutif dans les fonctions judiciaires n’est rien d’autre qu’une atteinte grave à l’indépendance de la justice. Quel message les autorités ont-elles voulu donner aux acteurs de la justice, les magistrats, si ce n’est l’aveu d’injonction, de subordination et de soumission du pouvoir judiciaire à la volonté du pouvoir politique ? Ces décisions constituent une intrusion grave et inacceptable de l’exécutif dans les fonctions judiciaires. En effet, au sens de l’article 20 du Code de justice militaire, lorsque des personnes non militaires sont impliquées dans des affaires pendantes devant la juridiction militaire, des magistrats civils peuvent être nommés aux fonctions de ministère public et de juge d’instruction. Pour garantir leur indépendance, le Code de justice militaire prévoit qu’ils sont nommés par décret pour un (01) an et ne cessent leurs fonctions « que lorsqu’il a été procédé à un renouvellement ». En l’espèce, ces décisions mettant fin aux fonctions de ces magistrats ne reposent sur aucun fondement légal. Elles visent tout simplement à écarter de la gestion de ce dossier des magistrats visiblement “non acquis” en vue de contrôler et de régler “diplomatiquement”, et non judiciairement, le dossier du coup d’Etat. Pour s’en convaincre, le ministre de la Justice, répondant à une question qui lui a été posée sur cette ténébreuse affaire, a déclaré que le Président du Faso souhaite avoir des «juges avec qui il peut travailler facilement», donc des «juges faciles». Or, c’est cette génération de «juges faciles» ou «acquis» que le peuple burkinabè, notamment sa jeunesse, a combattue sous le régime Compaoré, qu’il a renversé par l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014. Ce retour aux anciennes pratiques judiciaires achève de convaincre, même les plus optimistes, que le pouvoir actuel ne peut répondre à la soif de justice du peuple burkinabè. La libération des anciens dignitaires du régime COMPAORE, « rumeur d’un complot ».
Des personnes arrêtées dans le cadre du putsch et pour des faits de malversations dans la gestion des deniers publics sous l’ancien régime ont été libérées, pour la plupart dans des conditions que l’on ignore et sans que la moindre explication soit donnée au peuple. Si la justice est vraiment indépendante et gère les dossiers en toute indépendance, c’est le droit du peuple d’être informé sur les affaires d’importance capitale et pour lesquelles il a payé de son sang. Les conséquences douloureuses de l’insurrection et du putsch manqué sont encore très vivaces pour que, par inadvertance, des bourreaux soient mis en liberté sans qu’aucune explication ne soit donnée au peuple. La justice semble d’ailleurs être très loquace au moment des arrestations, mais curieusement muette au moment des libé- rations. Si après enquête, il s’avère que rien n’est reproché aux personnes détenues, que la justice le fasse savoir haut et fort afin que leur honneur soit lavé. S‘ils sont coupables, qu’elle le dise aussi. Certes, nous convenons que la détention doit être l’exception, et nous saluons toute mesure de liberté provisoire réellement fondée. Ce que nous redoutons, c’est que notre justice devienne un instrument de « deal politique », de chantage aux mains des puissants du moment. Or, dans ce contexte, il se murmure des tentatives d’arrangements entre le parti au pouvoir (MPP) et certains dignitaires de l’ancien régime incarcérés ou susceptibles de l’être. Déjà à l’approche des élections municipales, des maires avaient été élargis et certains d’entre eux se sont retrouvés à battre vigoureusement campagne pour le MPP. Des menaces à peine voilées sont proférées à l’encontre de certains anciens ministres, que l’on intimide ainsi pour acheter leur passivité. Un des objectifs du MPP serait de ramener à lui certaines franges du régime défunt. Cela permettrait d’élargir la majorité présidentielle, de ne plus rien devoir au PAREN, à l’UNIR/PS et autres RDS et, surtout, d’affaiblir le chef de file de l’Opposition. C’est un complot dangereux synonyme de «vente» de la lutte de plusieurs années.
Alors que nous n’avons même pas encore fini de pleurer nos morts, les victimes de l’insurrection, du putsch manqué, et de manière générale les victimes du régime Compaoré, voilà que le «nouveau-ancien» pouvoir compromet dangereusement les acquis du peuple, en nouant des pactes avec les bourreaux du peuple victime. C’est pour cela que notre parti exhorte vivement le gouvernement à mettre à la disposition de la justice tous les moyens dont elle a besoin pour que les procès se tiennent le plus tôt possible, qu’il s’agisse des accusations de détournements, ou du putsch du 16 septembre. De tels procès permettront à tout le monde de dire sa vérité, et le peuple sera situé. Autrement, on nage dans un flou artistique, source de toutes les combines possibles ; chose qui ne fait ni l’affaire des prévenus ni celle du peuple burkinabè. Autrement, à cette allure, il ne serait pas du tout étonnant que l’on nous serve une farce judiciaire, pour protéger des intérêts insoupçonnés. Des signaux doivent être donnés dans le sens de la lutte contre l’impunité, la corruption et la mal gouvernance électorale. La quête d’une nouvelle gouvernance fondée sur la transparence, l’intégrité, la probité, le sens de responsabilité, et la reddition de compte, doit être poursuivie afin d’imprimer la marche à suivre aux autorités qui président aux destinées de la nation. Ces questions interpellent tous les acteurs, qu’ils soient politiques, civiles ou militaires. Mobilisons-nous contre l’instrumentalisation de notre justice !
Ouagadougou, le 06 juin 2016
Le Secrétariat national chargé de la justice et des droits humains de l’UPC