Nul ne peut parier sur la situation politique en Egypte. Mouvementée, elle l’est. Depuis la destitution du président démocratiquement élu, Mohamed Morsi, le mercredi 3 juillet 2013 par l’armée, deux camps se regardent en chiens de faïence. Et chacun entend maintenir la pression de la rue pour ou contre le renversement de M. Morsi. Que c’est inquiétant ! Allons-nous vivre une partition sanglante du pays ? L’Egypte ne va-t-elle pas s’enfoncer dans une guerre civile ? Ces questions sont légitimes d’autant plus que la situation est très explosive. Les anti-Morsi sont sur la place Tahrir, dans le centre-ville, tandis que le camp du président déchu assiège depuis plusieurs jours, les abords de l’Université du Caire, dans le quartier de Guizeh. Les pro-Morsi sont également présents sur une grande place devant une mosquée de Nasr City. L’inquiétude est réelle étant entendu qu’il serait étonnant que les Frères musulmans acceptent aussi facilement perdre le pouvoir d’Etat, après avoir mis du temps à asseoir une organisation pour le conquérir. Le risque d’affrontement n’est pas nul et il faut craindre le pire. On annonce hier dimanche, dans le Nord-Sinaï près de la ville d’El-Arich, un attentat à la bombe perpétré sur un pipeline acheminant du gaz vers la Jordanie. Le spectre de la violence plane sur ce grand pays de 80 millions d’âmes, ravagé par la crise économique et sociale, et par la pauvreté. La flambée des violences a déjà fait 37 morts vendredi, dont plusieurs policiers et un militaire dans le Sinaï. Les heurts vécus depuis le 26 juin, auraient fait plus de 80 morts dans le pays. C’est préoccupant. Les islamistes, qui dénoncent un "coup d’Etat militaire" et l’instauration d’un "Etat policier" promettent de rester dans les rues jusqu’au retour de M. Morsi. La division du pays est donc visible et chacun retient son souffle.
Un influent prédicateur, Youssef al-Qaradaoui, un des guides des Frères musulmans a déclaré "nulle et non avenue" la destitution de M. Morsi dans une fatwa. C’est donc un bras de fer pharaonique qui inquiète même la première puissance du monde, les Etats-Unis, principal partenaire de l’Egypte. Barack Obama, tente de clarifier la position de son pays dans cette crise inattendue en ces termes « les Etats-Unis ne (...) soutiennent aucun (...) groupe égyptien particulier ». Mais quelle est l’origine de cette tempête ?
L’on retient qu’à la chute du président Hosni Moubarak en février 2011, le pays était exsangue. Jadis exportatrice de blé, l’Egypte était devenue importatrice. Le budget de l’Etat était bouclé par les USA, l’économie étant devenue stagnante et le niveau de vie très bas. A ces causes se sont ajoutées d’autres, en l’occurrence, la trop forte présence de l’armée dans l’appareil politique, la destruction des forces politiques d’opposition.
Le salut attendu des Frères musulmans au lendemain des élections ne s’est pas produit. Ceux-ci ayant montré leur limite dans le traitement des questions économiques et sociales. Inflation, chômage, pouvoir autoritaire, marchandage sans fin avec l’armée, crise avec la magistrature ayant conduit à un blocage institutionnel constituaient autant d’ingrédients, générateurs de l’actuelle préoccupante situation. Même au sein de l’armée, la situation est loin d’être apaisée. Celle-ci étant composée de l’état-major, s’estimant très proche de Washington, malgré le démenti des Etats-Unis, une partie proche des islamistes et une dernière, composée d’officiers et sous-officiers nationalistes. Le nouveau président par intérim, Adly Mansour, nommé par les militaires a du pain sur la planche. Selon les analystes, l’ancien directeur de l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et prix Nobel de la paix en 2005, Mohamed El Baradei pourrait devenir le Premier ministre.
Agé de 71 ans, il avait été choisi par l’opposition laïque pour être sa "voix" dans la transition post-Morsi. D’aucuns pensent que sa nomination à la tête du gouvernement apporterait à la transition, la caution d’une personnalité internationalement connue, aux fermes convictions démocratiques. Cependant, cela risque de braquer les islamistes qui lui reprochent notamment d’être plus populaire dans les salons du Caire que dans les campagnes égyptiennes.
En tous les cas, le prochain chef de gouvernement héritera d’un pays au bord de la faillite et devra œuvrer à faire baisser les tensions pour réussir la préparation des élections législatives et présidentielle. En outre, l’issue heureuse de cette crise dépend de l’attitude des pays arabes et de la politique américaine. Le président Obama menace d’ailleurs de suspendre les aides financières si des institutions démocratiques ne sont pas mises en place dans un délai raisonnable. « J’appelle maintenant le pouvoir militaire égyptien à rendre toute l’autorité rapidement et de manière responsable, à un gouvernement civil démocratiquement élu selon un processus ouvert et transparent », a lancé Obama aux autorités égyptiennes. L’appel de Barack Obama pourra-t-il franchir les eaux du Nil et parvenir à ses destinataires ?
Il y a toutefois une certitude, quel que soit l’homme qui dirigera l’Egypte dans les prochains mois ou années, il devra prendre en compte cette vérité de Antoine Basbous, directeur de l’Observatoire des pays arabes (OPA), « les Egyptiens n’ont pas besoin qu’on leur apprenne à prier. Ils ont besoin d’un meilleur niveau de vie : de pouvoir d’achat, d’une meilleure couverture de santé, d’infrastructures ».
Mais le plus urgent, c’est d’éviter la guerre civile et apaiser le climat pour la tenue des élections. En attendant, formulons en ce début du jeûne musulman, le vœu que la paix soit sur l’Egypte. Amen !