Militant acharné des droits humains, le président de la Fondation pour l’étude et la promotion des droits humains et du développement en Afrique, quoiqu’affaibli aujourd’hui par la maladie, reste toujours très actif dans la lutte pour leur promotion et leur sauvegarde. C’est en homme avisé qu’il fait, avec notre reporter, un tour d’horizon de certaines questions d’intérêt national et continental. Etat des droits humains, gouvernance sociopolitique au Burkina Faso, son pays, marche démocratique du continent et bien d’autres questions sont évoqués dans cet entretien.
En tant que militant de longue date des droits humains, quelle appréciation globale faites-vous de la situation des droits humains en Afrique ?
La question des droits de l’Homme en Afrique est toujours préoccupante. Les droits humains ne sont pas protégés, la question du développement reste encore à résoudre. La liberté d’aller et de venir n’est pas évidente, malgré les regroupements sous-régionaux, malgré les promesses de nos dirigeants. Les questions de l’éducation et de la santé, de la vie, de la liberté tout court… restent toujours préoccupantes.
Prenez un pays comme le Burundi, par exemple. Rien ne justifie qu’après ce qu’a vécu le Rwanda en 1994, on puisse avoir une situation de génocide rampant dans ce pays voisin. Prenez également l’Afrique du Sud, un pays doté d’immenses richesses qui profitent peu aux populations. Vient s’ajouter la question du terrorisme qui, en fait, s’adosse à tort sur des livres religieux. En y regardant de près, on découvre que ces terroristes sont en réalité des trafiquants de drogue qui lisent les livres saints à l’envers ; ce sont des trafiquants d’êtres humains, qui n’ont aucun respect pour la vie…
C’est justement ce que dénoncent nombre d’associations. Que faire pour amoindrir les violations des droits humains sur le continent ?
Il faut renforcer les capacités des populations. Je le dis parce que presque tous les Etats ont signé et ratifié les instruments juridiques régionaux et internationaux de protection des droits humains. Les pactes de New York sont clairs. Ils contiennent par exemple la déclaration générale des droits de l’Homme, le pacte sur les droits civils et politiques, le pacte sur les droits économiques et sociaux. On a même décentralisé, déconcentré avec la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, avec le traité de Rome. Du reste, les Africains écrivent aujourd’hui leurs Constitutions, leurs textes de loi.
Le Burkina Faso est doté de plusieurs textes de loi. Nous avons un bon code de protection de la personne et de la famille, un bon code pénal, qui contient malheureusement la peine de mort. Nous avons une Constitution exemplaire, avec le titre 1 consacré aux droits humains. Il faut maintenant que les populations africaines s’approprient ces textes, qu’elles les mettent en pratique. Le jour où on comprendra effectivement cela, de l’exécutif à la justice, nous pourrons commencer à rêver de sociétés de droit, démocratiques, bâties sur des aspirations solides.
Vous avez créé la Fondation pour l’étude et la promotion des droits humains et du développement en Afrique. Quelle est la vocation de cette fondation ?
La vocation de la Fepdha est d’étudier pour comprendre les instruments juridiques de protection des droits humains et de faire la promotion de ces droits dans le sens de protéger les populations, la vie ; de faire en sorte qu’elles puissent s’impliquer dans la gestion de leur Etat de droit, seules conditions pour leur permettre de construire le développement.
De façon concrète, comment agit cette fondation ?
Elle a un statut d’observateur auprès de la Commission africaine des droits de l’homme. Elle est en passe d’obtenir un autre statut auprès de l’Ecosoc (Conseil économique et social des Nations unies, Ndlr). Chaque année, nous choisissons des dates anniversaires clés, comme celle de la déclaration universelle des droits de l’Homme en décembre, la commémoration de certains textes comme celui de l’Ungass (United Nations General Assembly Special Session, Session spéciale de l’Assemblée générale des Nations unies, Ndlr) qui concerne l’engagement contre le VIH-Sida.
Nous propageons ces textes en différentes langues. Nous choisissons des régions où nous apprenons aux populations les droits humains dans les langues locales et en français. Dans le sud-ouest du Burkina par exemple, nous travaillons beaucoup, depuis 2008, sur les violences faites aux femmes. Et l’impact est formidable !
Vous établissez donc une corrélation entre promotion des droits humains et développement…
Oui, parce que j’ai été à la conférence mondiale sur les droits de l’Homme en 1993 à Vienne. Je suis intervenu et j’ai milité pour que le droit au développement soit un droit humain. Au début, les Etats-Unis étaient contre. Mais à Vienne, ils ont accepté que le droit au développement soit un droit humain.
Le gouvernement burkinabè a décidé, en mars dernier seulement, de mettre en place une Commission nationale des droits humains. Enfin, diriez-vous !
Oui, enfin ! Parce que nous avons longtemps milité pour cela. Au moment même où j’ai créé le MBDHP (Mouvement burkinabè des droits de l’Homme et des peuples, créé le 19 février 1989, Ndlr), j’avais saisi à cet effet le président Blaise Compaoré à travers un rapport, alors que j’étais conseiller juridique de la présidence du Faso. Dans un premier temps, il n’y a pas prêté attention, mais on a fini par en écrire une version édulcorée dans les années 1990. Ces textes ne correspondaient pas aux principes contenus dans le texte onusien ni dans ce qu’on appelle les « Accords de Paris ».
Mais le récent texte adopté par l’Assemblée nationale du Burkina répond en tout point à ces qualificatifs-là. J’ai été entendu à l’Assemblée au moment de la rédaction du texte et j’ai donné mon point de vue, qui heureusement a été retenu.
Les droits humains et leur promotion ne vont pas non plus sans la justice…
La justice est le troisième pouvoir dans notre Constitution. Parler de justice amène à s’interroger sur qui contrôle la justice, qui contrôle le juge, les avocats. C’est le dernier rempart pour le citoyen à la recherche de la vérité ou qui veut résoudre un conflit dans la non-violence de façon équitable et impartiale par des juridictions appropriées, des magistrats indépendants, formés, convaincus qu’en prêtant serment ils prêtent serment de servir le peuple et la justice. C’est le domaine où l’on parle de la vie, et la vie est ce qu’il y a de plus précieux.
Les Burkinabè attendent beaucoup d’un certain nombre de dossiers en justice, comme celui de l’ancien président Thomas Sankara. Et commencent à s’impatienter…
C’est normal. Quand un dossier de justice est ouvert, les gens s’attendent à ce que l’on puisse trancher le même jour. On peut le faire dans le cadre du flagrant délit, de citation directe, quand c’est moins grave. Mais certaines affaires nécessitent une instruction, une enquête, des recherches, des interrogatoires, requièrent de la patience. C’est un long travail qu’il faut pouvoir mener pour aboutir à une justice impartiale, équitable qui satisfasse le citoyen, le justiciable.
Dans le cas du dossier Thomas Sankara, il y avait eu un espoir avec la Transition et les Burkinabè se demandent tout naturellement pourquoi les choses continuent de piétiner…
Il s’agit de remonter à 1987 ! Les faits ne se sont pas déroulés cette année. La justice avait certes les auteurs et témoins du dossier sous la main, mais elle était impuissante compte tenu de la nature du pouvoir d’alors. Il faut des juges courageux, formés, indépendants. Quand on aura ces qualités-là, vous verrez que le dossier pourra être traité avec beaucoup plus d’aisance.
Il y en a par exemple qui ne comprennent pas pourquoi on met des détenus en liberté provisoire. Mais quand on instruit un dossier, qu’on arrive à la fin de l’instruction et qu’il faut programmer le procès, on peut libérer la personne dans l’attente de ce jugement. Que fait-on de la présomption d’innocence ? Pour éviter les erreurs, il faut prendre son temps pour régler ces questions.
Pour vous, tout se passe donc normalement.
Pas comme on le souhaite, mais tout se passe comme il faut.
Vous avez longtemps battu le pavé à la tête du Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques pour réclamer justice pour Norbert Zongo. Aujourd’hui, plus de 17 ans après l’assassinat de ce célèbre journaliste, on attend toujours…
Non, on n’attend pas toujours. Lorsque Norbert Zongo a été assassiné, nous avons saisi le parquet de Ouagadougou qui a refusé de se rendre sur les lieux, en disant qu’il était victime de coupeurs de route. Nous avons porté plainte avec constitution de partie civile. Nous avons saisi la Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples (CADHP), à Banjul. Plus tard, le parquet a été obligé de s’y intéresser. Mais le dossier a fini par être classé sans suite.
Entretemps, la CADHP a condamné le Burkina Faso pour violations graves des droits humains. Mais ceux qui étaient au pouvoir à l’époque ont ignoré cet arrêt. Quand la Cour africaine des droits de l’homme et de justice a été créée à Arusha, l’actuel président du MBDHP à encore introduit la question. Cette cour a condamné l’Etat burkinabè et obligé à rouvrir le dossier et à compenser la situation des ayants-droits qui vivaient dans des conditions inacceptables.
Où en est ce dossier aujourd’hui ?
Aujourd’hui, trois de ses assassins sont sous les verrous, certains sont décédés, d’autres courent toujours. Mais le dossier est ouvert dans les juridictions de Ouagadougou.
Il faut tirer son chapeau au Collectif des organisations démocratiques de masse et de partis politiques et au MBDHP. A l’époque, nous étions l’objet de quolibets. Et même des journalistes se moquaient de nous alors que nous luttions pour leur confrère. Nous avons été arrêtés, torturés, chassés de nos postes de travail. Je pense que dans ce dossier, nous avons parcouru les trois quarts du chemin.
On parle de plus en plus d’un malaise au sein de l’Armée burkinabè en évoquant notamment des faits liés au putsch manqué du 16 septembre 2015…
Toujours est-il que l’armée s’appelle la grande muette ! Ce que nous avons vécu ici en deux ans nous a montré la nature et le caractère de notre armée. La leçon qu’il faut retenir également, c’est que ce que nous avons vécu a révélé la nature et le caractère de notre peuple. Avec l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, le peuple burkinabè s’est mobilisé comme jamais nulle part en Afrique. Il a apporté une solution à son problème en installant la transition.
La tentative de coup d’Etat du 15 septembre 2015, a tout aussi montré le caractère de notre peuple. Alors que certains croyaient qu’ils étaient puissants, c’est au sein de cette même armée que des jeunes se sont révélés pour dire non au coup d’Etat. On a même osé démentir la communauté internationale, en refusant les conclusions de ses médiateurs, amenant plusieurs chefs d’Etat de la Cedeao à venir rétablir les choses. Ce qui a permis à Michel Kafando (président de la Transition, Ndlr) de dire quelques semaines plus tard, à la tribune des Nations unies, qu’il est venu exalter la liberté. Contentons-nous d’exalter la liberté ! Et aussi, contentons-nous de dire à l’armée qu’elle doit rester républicaine, sauvegarder le territoire, protéger les populations et protéger l’Etat de droit.
Vous pensez donc que toutes ces situations ne risquent pas de plonger le pays dans une nouvelle crise ?
Cela est indépendant du désir subjectif de tout un chacun. Mais il faut souhaiter qu’une telle situation soit évitée. En tout cas personnellement, je mettrai tout en œuvre, si je peux, pour toujours le dire afin que cela ne revienne jamais dans notre pays, parce qu’il y a eu trop de morts, trop de brimades, trop de violations des droits humains…
Pensez-vous, Me Halidou Ouédraogo, que le pouvoir en place depuis le début de cette année a les capacités pour gérer au mieux la situation burkinabè d’aujourd’hui, au plan politique, économique et socioculturel ?
Actuellement, nous avons une équipe capable. Ceux qui sont au pouvoir aujourd’hui sont des citoyens burkinabè ou voltaïques qui ont beaucoup milité dans des mouvements de jeunesse dans leur pays, dans les mouvements de jeunesse dans la sous-région, et en dehors de l’Afrique, notamment en France, dans la Feanf (Fédération des étudiants d’Afrique noire francophone, Ndlr), aux Etats-Unis et ailleurs. Donc ce sont des jeunes des années 1980 à 2000, qui ont beaucoup lu, ont lutté et qui se sont formés. Vous noterez par ailleurs qu’ils étaient aux côtés de Blaise Compaoré depuis 1987, mais qu’ils ont quitté le parti majoritaire lorsqu’ils ont estimé qu’il ne faisait pas son travail.
Je pense que ce sont des personnes avisées, qui sont conscientes qu’elles doivent rester collées aux préoccupations des populations, exécuter les souhaits des populations, respecter l’Etat de droit. Le Rochmètre et le Présimètre qu’on s’apprête à publier, commence à donner des résultats : 44 % de notre population pensent que leur programme va dans le bon sens, après les 100 jours de leur exercice au pouvoir.
44 %, c’est tout de même en dessous de la moyenne…
Oui, mais c’est acceptable !
Vous venez d’évoquer le Rochmètre et le Présimètre. Qu’est-ce qui sous-tend cette initiative ?
C’est une plateforme démocratique. Une plateforme de veille destinée à cultiver la redevabilité socioéconomique au niveau des populations, pour leur apprendre effectivement à oser critiquer, à oser dire leurs aspirations. C’est également une plateforme au service des dirigeants, afin qu’ils viennent dire ce qu’ils font, en jouant la carte de l’imputabilité.
Comment l’initiative a-t-elle été accueillie par les Burkinabè ?
Nous avons présenté les enjeux de cette initiative le 18 avril dernier et la participation était impressionnante, les débats étaient vifs. Cela concerne l’apport du citoyen et il était satisfaisant.
Auparavant, nous avons, à travers un sondage, mis à la disposition des populations le téléphone, l’internet pour que chacun dise, au bout de quinze questions, ce qu’il pense de la santé, de l’éducation, de comment s’ingérer dans les 100 premiers jours du président, au niveau du Rochmètre. En fait, nous avons donné la possibilité aux populations de dire comment sont gérées, de son point de vue, les questions socio-économiques et politiques par l’équipe actuelle.
Nous avons traité toutes ces données avec les techniciens d’Ingénia, avec l’appui de Diakonia, notre interface avec les partenaires techniques et financiers, les autres membres de la société civile, le Centre pour la gouvernance démocratique. Ensemble, nous avons effectivement présenté le résultat de cette nouvelle stratégie aux populations, et nous comptons le faire pendant les cinq années qui viennent, si nous en avons la possibilité.
Vous êtes également président de l’association des parents des victimes du crash du vol AH 5017 d’Air Algérie, survenu le 24 juillet 2014, et dans lequel vous avez perdu votre fille. Avez-vous le sentiment que votre douleur et vos doléances sont prises en compte ?
J’ai beaucoup souffert dans la vie par mon engagement, et cela ne me dérange pas. Je ne suis pas masochiste. La perte de ma fille m’a achevé. Ma blessure est toujours béante et je ne pourrai pas sécher mes larmes parce que mes enfants constituent tout mon trésor. Je n’ai pas accumulé de pactole, j’ai tout sacrifié pour mes enfants et j’en suis fier.
Mon enfant qui a disparu était en Master II et en passe d’entrer dans le centre de formation d’avocats de Paris. Ce qui s’est passé me dépasse, parce que c’est un préjudice incommensurable qu’on ne pourra jamais réparer. C’est la vie.
Le terrorisme, vous en avez parlé tout à l’heure, sévit partout sur le continent. Comment y faire efficacement face ?
En éveillant les populations à l’attention de leur condition de vie. En les impliquant dans la gestion du problème et en ne cessant pas de dire que c’est un cancer. Nous n’avons pas toujours connu ce terrorisme exacerbé. Pourtant, regardez l’engouement de nos pèlerins vers La Mecque, vers Jérusalem…, où curieusement il y a beaucoup d’accidents, des chutes de grues, des bombardements à Gaza ! Le monde ne peut-il pas résorber sa fracture en prenant conscience qu’en fait ce n’est pas l’homme qui donne la vie, mais Dieu ? Nous ne donnons pas la vie, il faut la protéger.
Je pense que le jour où on cessera de faire sauter son environnement avec les bombes, de faire crasher des avions, de faire sauter des passagers qui veulent connaître le monde… on sera un peu sauvé.
Comment jugez-vous la marche démocratique sur notre continent ces dernières années ?
Il faut noter qu’il y a des avancées. Incontestablement, la conscience des populations africaines est assez éveillée. Si vous considérez les années 1990 comme un déclic moderne sur la démocratisation nécessaire de nos Etats, nous avons fait un bout de chemin.
Aujourd’hui au Burkina Faso, je pense que la question des droits humains ne se pose pas dans les mêmes termes qu’au cours de la décennie 1980 par exemple. Nous avons beaucoup avancé. Nos prisons restent toujours bourrées à cause de vols, délits, parfois des crimes, etc., mais les délits politiques ne sont pas légion, les disparitions, les assassinats, les enlèvements ne sont pas légion. Il fut un temps où on ne pouvait même pas parler à votre micro. Aujourd’hui, ce n’est plus cas.
Je pense qu’il y a eu un progrès, il faut le noter. Les élections couplées — présidentielle et législatives — du 29 novembre 2015 au Burkina Faso, ont montré que dans ce pays, il y a des hommes et femmes qui savent ce qu’ils veulent, ce qu’ils font. Je souhaite que tout cela s’intensifie à l’échelle du continent africain. Je souhaite que nous puissions continuer dans ce sens.
Propos recueillis par Serge Mathias Tomondji