Le plus sublime et le plus fantastique des boxeurs de tous les temps et de toutes les latitudes, pourrait reprendre à son compte, ce légendaire constat d’un éminent conquérant des siècles passés : « veni vidi vici ». En effet, Cassius Clay alias Mohamed Ali est venu au monde en 1942. Il a vu et il a vaincu. Il a combattu et vaincu Sony Liston, terrassé Joe Frazier et infligé une humiliation planétaire à George Foreman au sein du désormais éponyme stade, Tata Raphael, au Zaïre, qui avait refusé du monde, une certaine nuit d’octobre 1974. Le 3 juin dernier, ce combattant de la liberté, de cette liberté dont il a reçu la médaille présidentielle en 2005, a passé l’arme à gauche, perdant ainsi le dernier round d’un combat que lui a imposé cette impitoyable maladie de Parkinson. Depuis son très célèbre combat au Zaïre, cet homme au verbe haut, doté d’une extraordinaire puissance physique et d’une ruse peu commune sur le ring, est entré de plain-pied dans la mythologie de la boxe mondiale. 42 ans de vie, 32 de maladie, cette force de la nature qui « vole comme un papillon et pique comme une abeille », aura donné au monde ce qu’il avait de meilleur : la beauté et la joie du spectacle, la générosité de son engagement en faveur du juste et de l’acceptable, sa solidarité avec sa communauté de base. Cet homme qui, au crépuscule de sa vie, réalise que face à la mort, il est logé à la même enseigne que Socrate, était profondément pétri de foi religieuse, croyait en l’homme, à la fraternité entre les races humaines. Il refuse de prendre part à la guerre du Vietnam contre « les Viêt-Cong, ces frères asiatiques noirs », mais accepte d’apporter sa contribution à toute libération de soldats américains sur les théâtres des opérations du monde. L’Amérique peut s’honorer d’avoir porté sur son sol, un homme d’une si grande stature, un Noir d’une telle ampleur humaniste qui, partout sur la terre, aura fait le plus d’unanimité sur sa personne. Sous cet angle, l’oraison funèbre que l’ancien président, Bill Clinton prononcera à l’occasion de son inhumation, témoigne à l’envi, de la force de la symbolique que renferme la trame de vie de cet enfant de Louisville dans le Kentucky.
Cassius Clay laisse quelque chose de plus précieux que l’argent dans l’imaginaire du monde
Il voltigeait sur le ring un peu comme il le faisait sur la scène de combat contre tous les racismes et leurs nauséabonds corollaires. Sur ce dernier point, il aura répudié la gloire parée de tous ses atours pour épouser le juste et l’équitable. Toute chose qui lui fera perdre son titre de champion parce qu’il aura refusé d’aller casser du Vietnamien nordiste.
Mohamed Ali termine son voyage sur la terre comme il l’avait commencé. Il apprend très jeune à boxer pour bien cogner sur les voleurs de vélos parce que son vélo à lui, aura été chapardé par un malfrat. Mais le ring lui offrira bien davantage que des vélos. Il sera couvert, à partir de cette nuit d’octobre 1974, de gloire. Mais il s’en va sans avoir ressemblé à Crésus, (l’a-t-il d’ailleurs jamais voulu ?) au contraire des Messie, Ronaldo, etc. Mais il est vrai que la boxe n’a jamais rendu riches ceux qui la pratiquent. C’est un constat qui, hélas, semble se revêtir des oripeaux de la fatalité. Toutefois, dans le cas de Cassius Clay, le natif de Louisville laisse quelque chose de plus précieux que l’argent dans l’imaginaire du monde : un gigantesque et inoxydable mémorial de sa vie. Avec lui, ne s’illustrera peut-être jamais l’aphorisme « Sic gloria mundi ». Car, à l’image de la liberté elle-même, les grands combattants de cette valeur théologale ne meurent jamais. Cet homme ne peut donc être enfermé dans un cercueil.
« Le Pays »