Les masques sont enfin tombés. C’est le moins que l’on puisse dire après les manifestations de rue à Ouagadougou et à Bobo-Dioulasso du parti au pouvoir au Burkina, le Congrès pour la démocratie et le progrès (CDP. Ceux qui pensaient que l’opposition politique faisait un procès d’intention au régime en auront eu pour leurs comptes. Ces manifestations du pouvoir visaient bel et bien à défendre l’idée du Sénat et la révision de l’article 37. Le frère cadet du président Blaise Compaoré, François Compaoré, lui-même aura craché le morceau. Il n’aura pas fait mystère de son exaspération contre cet article de la Constitution burkinabè qui bloque, selon ses dires, « quelqu’un ». Pauvre article 37 ! Difficile d’imaginer que François Compaoré puisse s’exprimer ainsi sans l’aval de son frère. Et quand le frère du président en appelle à l’arbitrage du peuple, on aurait presque envie de sourire si ce n’était pas dramatique. De quel peuple parle-t-il ? De ces hommes et femmes, savamment maintenus dans la misère, dont les voix sont monnayables au prix d’un bol de riz ou d’un billet de mille francs CFA ? De ces populations qui n’ont pas encore compris les enjeux d’un scrutin électoral après plus de deux décennies de vie démocratique gérée par une élite politique dont l’altruisme n’est pas la première des vertus ? De ces populations « naïves » dont on n’hésite pas à exploiter l’ignorance, qu’on ne se prive pas de mobiliser sur des bases fallacieuses ? Certainement que, si le peuple burkinabè avait la lucidité du peuple du Sénégal, si les gadgets et autres moyens d’achat de consciences étaient bannis de la campagne politique comme au Bénin et maintenant au Mali, le discours aurait probablement été tout autre.
La manifestation du parti au pouvoir en elle-même fait couler beaucoup d’encre et de salive. En effet, pourquoi manifester dans la rue pour la paix et la démocratie quand on est au pouvoir et qu’on déclare à tout bout de champ que la paix et la démocratie sont assurées dans ce pays. En le faisant, le pouvoir avoue tout simplement son échec dans ces deux domaines vitaux de la République. Mais il importe de souligner que, du point de vue légal, tout comme l’opposition politique, le parti au pouvoir a pleinement le droit de manifester. On peut cependant déplorer le manque de franchise dans les thématiques utilisées pour sonner la mobilisation et la débauche de moyens utilisés à cet effet. Ainsi beaucoup auront été « utilisés » ou mobilisés sur la base de fausses informations. Les organisateurs de ces marches de Ouaga et de Bobo auront été abusés par le clair-obscur des thématiques. On en veut pour preuve ces manifestants de Bobo-Dioulasso qui disent être sortis battre le pavé parce qu’on leur avait dit que le président du Faso, Blaise Compaoré venait à Bobo. C’est vrai qu’en politique, le sens de la dignité n’est pas la chose la mieux partagée, mais ce qu’on a pu raconter à ces populations pour les inciter à sortir pour marcher ne fait pas honneur à notre chère république. Cela achève de convaincre que mêmes les partisans du Sénat et du déverrouillage de l’article 37 sont conscients de l’impopularité de leurs desseins. Comment peut-on être fier de sa capacité de mobilisation quand on sait que tout ou presque aura été bâti sur du faux et qu’on a eu recours à une débauche de moyens du reste pas toujours traçables ? Quel mérite réel y a-t-il à mobiliser des foules, fussent-elles énormes, sur la base de faux mobiles, de contre-vérités et au prix de dépenses faramineuses ? En bon démocrate, peut-on être fier de se regarder dans une glace après cela ? On nous répondra certainement que « la fin justifie les moyens ». Soit. Mais, avec cela, on en vient à donner raison à ceux qui estiment que la peur a changé de camp, qu’elle est maintenant du côté de ceux qui nous gouvernent.
Au-délà de ce clair-obscur autour duquel le parti au pouvoir et ses soutiens ont sonné le rassemblement, c’est d’abord et surtout la violence des propos tenus au cours de la manifestation qui laisse interloqués bien des observateurs. Avec le discours volontiers guerrier, haineux de certains responsables du parti et non des moindres, il faut craindre le pire. Sans vouloir passer pour des oiseaux de mauvais augure, il y a fort à parier que nous ne sommes pas sur la bonne voie si les choses devraient continuer ainsi. Il n’est pas acceptable que l’on traite certains leaders de l’opposition d’ « étrangers ». C’est du déjà entendu ailleurs, notamment en Côte d’Ivoire voisine. Et nul n’ignore ce que l’ « ivoirité » a fait comme dégâts chez nos cousins. C’est dire que ces discours haineux, ceux qui les ont tenus après les avoir muris probablement, sont de véritables dangers pour la république, pour la paix et la démocratie qu’ils prétendent défendre. Les discours du genre sont symptomatiques d’une absence d’arguments de leurs adeptes, une sorte d’aveu de faiblesse. Quand on n’a pas d’arguments, on s’offusque pour un rien. La violence est le recours, l’argument des gens sans arguments, des esprits faibles. Et face aux « convictions » de tous ces clercs qui ont marché pour « la paix et la démocratie », on ne peut s’empêcher de se poser certaines questions : qu’est-ce qu’un charcutage de l’article 37 de la Constitution à des fins égoïstes peut apporter comme paix et démocratie dans ce pays ? Certains Etats qui n’ont pas le Sénat ou qui l’ont supprimé, comme le Sénégal, se portent-ils moins bien que le Burkina du point de vue démocratique ? Loin s’en faut. On n’a pas besoin d’être devin pour imaginer tous les remous et l’inévitable perte d’estime qu’un tripatouillage constitutionnel, qui ne serait rien d’autre qu’un refus d’alternance, pourrait causer au pays des Hommes intègres.
En tout état de cause, en insistant pour mettre en place des réformes qui divisent les Burkinabè, le pouvoir est mal placé pour être l’avocat de la paix. Au contraire, il est en train de diviser les Burkinabè. Cette fracture sociale et politique qui se dessine lentement mais sûrement, n’augure rien de bon. Avec cette sortie, on ne peut plus claire du frère cadet du président Compaoré sur l’intention du parti au pouvoir et de ses « satellites », de charcuter la Constitution à des fins personnelles et les propos pleins de haine qu’on a pu entendre, on ne peut pas dire que la quête de la paix est la chose la plus recherchée dans ce pays. C’est au contraire un mauvais présage pour la démocratie, mais aussi pour la paix au Burkina. Et il sera difficile pour le pouvoir en place, de ne pas assumer l’entière responsabilité de toute éventuelle détérioration du climat dans le pays, lui qui est, pour l’heure, le garant de cette paix et du respect des valeurs démocratiques. Il aurait tort de négliger la mobilisation de l’opposition politique. Car, il n’est un secret pour personne que ceux qui sont sortis le 29 juin dernier n’ont pas eu besoin d’attendre que l’opposition vienne les chercher, dans tous les sens du terme. La mobilisation aura été plus « sincère » et il serait étonnant que ces manifestants baissent subitement les bras. Il est dangereux de négliger tout ce qui se fait avec conviction et illusoire de croire que les crises avec leurs lots de violences n’arrivent que chez les autres. Le seul antidote, c’est la bonne gouvernance qui ne saurait faire l’économie de l’alternance dans la gestion des affaires de l’Etat. La préservation de la démocratie et de la paix est une question qui concerne toute la République et devrait mobiliser bien plus que les partis et les hommes politiques. Il faudra éviter que ces nuages qui s’amoncellent à l’horizon soient le signe avant-coureur d’un orage redoutable comme en auront malheureusement connu plus d’un pays qui nous entourent.