Le dimanche 22 mai 2016, les Burkinabè se sont rendu aux urnes pour élire les conseillers municipaux. La Commission électorale nationale indépendante (Ceni) a même déjà procédé à la proclamation des résultats. Mais trois communes rurales (Béguédo, Bouroum et Zogoré) sont restées en marge de cette consultation électorale à la base. Pour le cas de Béguédo, dans la région du Centre Est, après les violences qui ont opposé les partis politiques en compétions lors de la campagne, les mêmes acteurs exigent désormais la tenue rapide du scrutin dans la commune. Nous revenons sur les causes dont la politique semble n’être que la partie visible de l’iceberg.
« On veut élection à Béguédo !!! On veut élection à Béguédo !!! On veut élection à Béguédo !!! » C’est ce refrain que des militants de partis politiques, notamment le MPP, l’URDB, le PDS/Metba et l’ODT, ont scandé en battant le macadam pour exiger de la Ceni l’organisation rapide de l’élection municipale dans la commune de Béguédo le lundi 23 mai 2016.
En effet, suite aux violences qui ont émaillé la campagne électorale dans cette commune rurale, le président de la Ceni, Me Barthélémy Kéré, annonçait le 21 mai 2016, le report des élections municipales, entre autres, à Béguédo pour des raisons de sécurité. Mais que s’est-il passé exactement dans cette petite commune située à environ 150 km de Ouagadougou ? Il faut retenir quatre dates clés pour comprendre la crise.
Deux partis frères s’entre-déchirent au sujet de deux listes électorales
En 2014, le ministère de l’Administration du territoire décide d’ériger quatre quartiers en villages administratifs. Il s’agit des villages de Gnitala, Kièflè, Diara Peuhl et Tombéyao.
En 2015, quelques mois après l’insurrection populaire, la Ceni décide de procéder à un nouvel enrôlement biométrique. Ce nouveau recensement électoral est brutalement stoppé dans ces quatre villages suscités. En effet, des citoyens autochtones desdits villages contestent l’inscription de certains individus qu’ils accusent de n’avoir aucun lien avec leur village. Les élections couplées de novembre 2015 se déroulent sans accrochage dans ces villages avec ces listes «incomplètes».
En mars 2016, la procède à un «réajustement» des listes électorales dans les quatre villages concernés. Après la publication des nouvelles listes, deux partis politiques se mettent à avant-garde de la contestation. Le MPP réfute l’appartenance effective aux dits villages, de certains noms figurant la liste. Le NTD quant à lui se plaint du fait que certains de ses militants se sont inscrits dans ces villages mais que leurs noms n’apparaissent pas sur la liste.
Sur ces entre-faits, la Ceni décide alors de s’en tenir à la liste de 2015 qui a, du reste, servi aux élections de novembre 2015. Ce qui provoque une colère noire des militants qui se rendent le 12 mai au siège de la Commission Electorale Communale Indépendante (Ceci) qu’ils mettent à sac. La suite est connue. Le samedi 21 mai 2016 après recommandation des services de sécurité, la Ceni décide de reporter les élections à Béguédo «pour des raisons de sécurité».
Les deux partis ne comprennent pas cette décision
Au MPP comme au NTD, on ne comprend pas cette option de l’institution chargée de l’organisation des élections au Burkina Faso. Dans les deux camps, on est déterminé à aller aux élections et l’on clame d’ailleurs qu’il n’y a aucun problème à Béguédo. Pour Idriss Sagné, secrétaire général de la sous-section NTD de Béguédo, «C’est un devoir pour nos dirigeants (NDLR : dirigeants du MPP et du NTD) de nous asseoir pour gérer cette question dans la mouvance. Puisque c’est une honte pour les partis de la mouvance de laisser leurs militants se quereller de la sorte. »
Au MPP, on pointe du doigt les autorités locales et régionales de n’avoir pas su assumer leurs responsabilités pour que le scrutin soit organisé à Béguédo. « J’accuse les autorités locales d’empirer la situation à Béguédo », peste Moussa Bara, secrétaire général adjoint du MPP de Béguédo, car, dit-il, «c’est l’impunité qui règne ici. Ceux qui ont tiré à balle réelles sur nous courent toujours en liberté ici.» Au MPP, on estime que force doit rester à la loi et que l’Etat doit imposer son autorité pour organiser les élections car, affirme Moussa Bara, «on ne peut pas nous rendre tous heureux. Même si c’est le MPP qui ne respecte pas la loi, qu’on l’écarte». Les responsables communaux de ce parti accusent le NTD d’avoir convoyé ses militants d’autres quartiers pour aller les inscrire dans les villages suscités lors du réajustement et qu’il est tout à fait normal que ces derniers soient écartés de la liste.
Le Préfet, Président de la délégation spéciale de Béguédo, que nous avons joint au téléphone n’a pas souhaité nous rencontrer. Cependant, les positions restent tranchées sur la liste électorale à utiliser. Le MPP estime que celle de 2015 est valable pour cette consultation électorale. Au NTD par contre, il faut utiliser la liste de mars 2016 qui prend en compte le réajustement. Mais avant tout, le parti estime qu’une soixantaine de ses militants ne figurent pas sur la liste réajustée.
A la Ceci de Béguédo, on dit attendre sereinement que les «cœurs désarment». «Lorsque nos responsables sécuritaires estimeront que la situation est favorable, la Ceni décidera d’une date pour les élections ici», nous a-t-on laissé entendre.
Malaise social
Mais à quand le désarmement des cœurs à Béguédo ? De l’avis de plusieurs citoyens que nous avons rencontré dans ce village et qui ont requis l’anonymat, cette crise politique ne serait que la partie visible de l’iceberg d’un malaise social qui a ses répercussions sur la vie socio-économique et politique du village.
La fratrie CFDB-CDP en son temps, qui se serait muée aujourd’hui en NTD-MPP et connait une déchirure ne serait que l’ombre de la division qu’il y aurait au sein d’une grande famille majoritaire dans la commune. Au MPP et au NTD on réfute avec énergie cette considération.
Qu’en est-il au juste ? Béguédo est une commune à tradition d’émigration vers l’Italie. Selon toujours ces citoyens dont nous taisons les identités, la tradition impose à chaque fils du village qui parvient à cet Eldorado occidental fasse venir le fils du voisin en priorité avant d’entreprendre quelque projet que ce soit. Mais il se serait trouvé un des émigrés qui aurait rompu cette chaine. Ce qui divisa la famille en question en deux camps qui se disputent tous les espaces et tribunes publiques de Buéguédo.
Nos tentatives pour rencontrer un notable du village pour vérifier cette hypothèse sont restées sans fruits. Quoi qu’il en soit, la situation à Béguédo ne fait que ralentir le développement d’une commune à l’économie pourtant prometteuse. Certains fonctionnaires nous ont confié qu’ils travaillent à Béguédo mais ils préfèrent habiter à Niaogho, l’autre commune située juste à la rive droite du fleuve Nakambé. Et pour résumer le climat social dans la commune, un citoyen nous a affirmé : « Avant de commencer la prière à la mosquée, à Béguédo, il vaut mieux s’assurer que ses voisins de gauche sont du même bord que vous».
Ezéchias Ouédraogo (collaborateur)