Quelque part dans la province du Kouritenga, il se vit un phénomène. Les gens se suicident par pendaison. Du moins, on a constaté que plusieurs décès enregistrés dans cette localité sont liés à des pendaisons. Que se passe-t-il ? Quelles explications ? Et quelles solutions ? Nous y sommes allés pour comprendre.
D’abord la position géographique et les données démographiques. Andemtenga est une commune rurale du Burkina Faso, située dans la région du Centre-Est, précisément dans la province du Kouritenga. C'est une commune qui s'étend sur 6 080 m² avec une population totale de 54 044 habitants. Elle fait frontière avec d'autres communes, notamment les communes de Bilanga et de Gounghin à l'Est, les communes de Kando et Pouytenga à l'Ouest, celles de Koupèla et Baskouré au Sud et les communes de Boulsa et Dargo au Nord. De toutes les communes de la province, celle d’Andem, comme on l’appelle affectueusement, est la plus vaste avec une population plus active dans l'agriculture comme activité de base et dans le commerce. Il y a deux ethnies principales : les Mossis et les Peuls.
C’est là, sur ce territoire, que le phénomène de pendaison se passe. Situé à quelques 15 km de Pouytenga ou de Koupèla, on a qu’une vingtaine de minutes pour s’y rendre à partir de ces points respectivement. Le 22 janvier 2015, Ibrahim Koussé, nommé préfet, débarque dans cette commune située à 15 kilomètres de la ville de Koupèla. Notre ami « samo », comme nous l’appelons, parenté à plaisanterie oblige, ne s’imaginait pas faire le tour de certains quartiers ou villages de la commune pour constater des actes de suicide par pendaison. Mais, c’était sans compter avec les « imprévus ». En 2015, il est interpellé pour constater au total la mort par strangulation de quatre personnes. En 2016, les choses ne changent pas puisque entre mars et avril de cette année, deux femmes sont venues allonger la liste des pendus.
Depuis son arrivée, la première autorité administrative du département aura constaté la pendaison de 6 personnes dont l’âge, dans la majorité, est compris entre 30 et 32 ans. Les dernières fois où il est sorti pour la même raison, c’était le 23 mars et le 6 avril 2016 où les deux femmes se sont respectivement pendues. Une 7e personne était sur le point de connaître le même sort mais, il nous semble qu’elle y a renoncé. En effet, pour une histoire de sorcellerie, notre individu a tiré à balles réelles sur son frère après avoir incendié deux cases. Sa prochaine étape était d’aller se pendre, loin des yeux de ses proches.
Du jamais vu à Andemtenga. Conséquence, une grande psychose s’est installée au sein d’une population qui, d’ailleurs, ne souhaite pas en parler ouvertement. « Tout le monde regarde les choses et tout le monde se tait, comme si personne ne voit rien», déclare, fataliste, un infirmier du village. Mais quelque part, des gens s’activent. Le Président de la délégation spéciale de la commune, par exemple, n’en dort pas. Il cherche la solution. La situation est telle qu’effectivement, Ibrahim Koussé, le préfet du département et en même temps Président du Tribunal départemental et de la délégation spéciale communale, s’en est référé au chef coutumier de la localité. « Il a été constaté depuis le début de l’année 2016 un certain nombre phénomènes : un certain nombre de personnes se pendent dans la journée ou dans la nuit. La majorité des cas sont des femmes », indique le chef qui reconnaît avoir été alerté par le préfet. Une fois informé, le chef va, à son tour, contacter les autres. Et cela va dans l’ordre normal des choses. « Une fois que quelqu’un s’est pendu, en tant que chef, je dois en être informé. C’est cette année seulement que le préfet m’a interpellé sur des cas de pendaison récurrents. J’ai alerté à mon tour tous les chefs coutumiers du département d’Andemtenga pour une réunion afin d’en comprendre les raisons. Nos grands-pères et nos pères nous ont légué le pouvoir de protéger la population », ajoute le chef.
Une administration impuissante, une population désemparée, des causes insaisissables !
« Le phénomène crée la psychose dans la ville. C’est triste, mais on essaie de voir avec les coutumiers et l’Action sociale comment trouver des solutions. On travaille à dégager les causes et les solutions ». Ces propos du chef du Tribunal départemental cachent, en réalité, les difficultés qu’ont les différents acteurs à appréhender le phénomène. Dans les différents cas, la gendarmerie procède à des enquêtes. La réalité est que celles-ci ne vont jamais loin. En fait, il n’y avait pas de rapports d’enquête disponibles au niveau du préfet. La gendarmerie met-elle tout l’entrain nécessaire pour élucider les cas de pendaisons ou a-t-elle les moyens pour faire la lumière sur un phénomène que d’aucuns qualifient de métaphysique ? Plusieurs acteurs sont impliqués dans la recherche de solutions : les forces de sécurité, la préfecture, l’action sociale, les coutumiers, les religieux, le service de l’environnement, le service de santé.
Pourquoi des « enquêtes impossibles » ? Parce que « l’administration ne peut pas, à elle seule, éclaircir ce mystère ». « Mystère » ! Et le mot est laché. Concrètement, peut-on expliquer rationnellement ces pendaisons ? Des réponses nous ont été données. Selon l’ancien maire de la commune d’Andemtenga, Oumdambé Inoussa, « pour les causes, il faut échanger avec les familles des victimes ». Des familles que nous ne pourrons rencontrer. Selon le maire, les morts par pendaison ont souvent des prémices que les proches des victimes peuvent savoir. « Souvent, c’est suite à un problème que la personne n’arrive pas à partager qu’elle se suicide. Mais en règle générale, cela n’échappe pas totalement aux proches. Dans certaines familles, il y a des problèmes dont la solution tarde à être trouvée ». Pour sa part, le préfet évoque un problème, « peut-être » de « cohésion sociale » et « d’isolement ».
Le chef d’Andemtenga, lui aussi, a ses explications. « Le pendu, dès qu’on coupe la corde, il tombe. Ce n’est pas n’importe qui, qui peut couper la corde d’un pendu. Il y a des gens indiqués pour ça. Dès que le cadavre tombe, il y a des rites à faire. Une fois enterré, il y a aussi des rites à faire. Nous remarquons que les pendus, les accidentés, quand ils meurent, on les lave, les nettoie, on les transporte et on va les enterrer. Nous avons dit que nous ne sommes pas contre les religions mais nous disons que nous aussi, nous avons nos coutumes et nous ne pouvons pas nous en départir ». Est-ce à dire que les suicides dans cette localité sont liées au non-respect d’un certain nombre de procédures ou de codes ? L’autorité administrative explique que « personne ne peut répondre à la question de savoir pourquoi certains se pendent ». Pour leur part, les chefs de cantons ont une idée de ce qu’il faut faire : « les chefs coutumiers ont demandé à ce que dans le département, plus jamais un pendu ne soit lavé et enterré hors de là où il s’est pendu. Qu’un pendu n’ait plus de funérailles, qu’on n’organise plus des funérailles pour tuer des moutons, des chèvres pour faire manger les gens comme dans le cas d’une personne décédée naturellement. Dès qu’on enterre un cadavre, il y a des grains qu’il faut mettre sur la tombe. Cela préserve pendant longtemps la communauté de la pendaison », rapporte le chef d’Andemtenga. A noter que dans tous les cas de pendaison, le préfet, dans ses constatations, se fait assister par les garants de la tradition de la commune. Dans la plupart des cas de pendaison à Andem, la corde utilisée est brulée et l’arbre ayant servi de support abattu. Celui qui coupe la corde exige souvent qu’elle lui soit remise. Mais la question qui se pose est celle de savoir, encore une fois, si les causes et les solutions sont rationnelles.
La nécessité d’une étude ?
Pour un ressortissant d’Andemtenga vivant dans la ville de Koupèla, « il faudrait, psychologiquement, faire une étude » afin de comprendre le phénomène pour mieux agir. Dans cette optique, les coutumiers comptent sur l’Etat. « C’est inadmissible de voir des femmes se pendre. C’est un phénomène. Nous en appelons à l’administration et aux autres acteurs pour qu’ils nous aident avec des enquêtes car les pendaisons ne peuvent pas être le fait du hasard. Coutumièrement, nous essayons de voir ce qui se passe », commente un leader d’opinion d’Andem. En fait, au niveau des coutumes, des enquêtes sont initiées. « Pour le moment, nous n’avons rien à dire. Mais croyez-moi, c’est très dangereux, non seulement pour la commune mais aussi pour la province et la nation. Car dans l’histoire du royaume mossi, il a été rare de constater des décès par pendaison dans un village du genre. Et si cela arrivait, il y a des rites à faire », explique le chef d’Andemtenga.
Que faire donc ?
Le 12 avril dernier par exemple et lors de la session de la délégation spéciale de la commune, le sujet est évoqué par le président, Ibrahim Koussé, en vue de trouver une solution. Mais une partie des membres de la délégation n’a pas voulu en parler. Autrement dit, il y a une opinion dans cette commune qui estime que le sujet est tabou ou qu’il n’est pas normal de l’aborder. On comprend peut-être pourquoi, dans le village, c’est presque le silence total. En parler pourrait attirer le malheur, dit-on. Se taire aussi pourrait ne pas être la solution. Donc, des actions sont menées. « Pour le moment, nous avons des sensibilisations en projet. Il faut que les associations féminines puissent échanger avec les femmes. J’ai vu deux cas de femmes qui, avant de se pendre, ont commencé par une petite crise de folie. Il y a toujours des prémices », fait savoir le chef d’Andemtenga, affecté par ce qui arrive dans son village. Lors d’une de leurs rencontres, la chefferie coutumière a échangé et des consignes ont été données à tout chef de village de faire en sorte que dans chaque concession, des cas où il y a des petits problèmes, ils discutent avec les gens et les sensibilisent. Il s’agit par exemple de réunir les femmes d’une part, les hommes de l’autre, pour échanger avec chaque groupe pour connaître les problèmes et proposer des solutions communautaires. « Je demande aux ressortissants d’Andemtenga en général de nous aider. Aucune femme qui donne la vie ne doit mourir par pendaison. Nous demandons à ce qu’on nous accompagne. Nous connaissons des phénomènes comme la pauvreté, l’ignorance, la polygamie. Selon moi, pauvreté plus polygamie égal à massacre », a conclu le chef ci-dessus cité.
Michel NANA
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1- Le préfet d’Andemtenga
2- et… le chef de canton.
3- Les pendaisons inquiètent la population
4- Couper la corde est un acte sensible
ENCADRE 1
« La pendaison est souvent perçue comme une faiblesse, soit une malédiction, soit un sort jeté sur l’individu », dixit Dr Bidima
Dr Bidima Yampa est enseignant-chercheur au département de sociologie à l’Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo. Nous l’avons rencontré pour mieux appréhender le phénomène du suicide, notamment la pendaison.
Comment définit-on la pendaison ?
La pendaison peut se définir comme l’acte de se donner la mort par strangulation à l’aide d’une corde, d’une ceinture ou de tout autre objet permettant de se suspendre pour se donner la mort.
Est-ce que historiquement, la pendaison a une explication dans nos sociétés ?
La pendaison est un phénomène que l’on rencontre dans toutes les sociétés mais elle n’a pas la même signification partout. En Asie par exemple, la pendaison, d’un point de vue sociologique, est rangée dans la sphère des suicides. Il y a des théories sociologiques qui expliquent le suicide. Le suicide est plus développé dans les sociétés où il y a un dérèglement social ; une anomie dans les sociétés traditionnelles.
En Afrique, quelles sont les raisons du suicide par pendaison ?
D’abord, la pendaison est un fait social révélateur de crise que traversent nos sociétés contemporaines. A Andemtenga où vous avez constaté une fréquence de suicides, cela peut s’expliquer par le fait que la société traverse une crise. Maintenant, quelles sont les raisons de cette crise ? On peut rentrer dans le système de représentations sociales de cette population pour tenter de comprendre la signification de la pendaison et également les changements sociaux qui induisent cette crise.
Les raisons varient-elles selon les catégories de personnes et des tranches d’âge ?
Déjà, si je me réfère à l’une des théories sociologiques, les suicides évoluent à proportions inverses des relations de l’individu dans le groupe social. C’est-à-dire que plus il est intégré dans le groupe social, moins il se suicide. Moins il est intégré, plus il se suicide. Des recherches récentes qui ont été faites en Afrique, à Dakar plus précisément, ont montré que les hommes se suicidaient plus que les femmes et que parmi les modes de suicides par strangulation, la pendaison était plus utilisée par les hommes et l’intoxication par les femmes. Le cas d’Andemtenga peut être expliqué, à mon avis, par le système de représentation que la société moaga se fait du phénomène de pendaison ou de suicide. Globalement, dans les sociétés orientales et asiatiques, on voit le suicide comme un acte de bravoure. C’est l’exemple des kamikazes. Dans les sociétés occidentales, le suicide est la résultante d’une désocialisation, d’une non-intégration de l’individu au groupe social et d’une crise socio-économique. Dans nos sociétés africaines, je ne dis pas que ces éléments n’existent pas, mais ce qui est à mon avis prédominant, c’est que la pendaison est souvent perçue soit comme une faiblesse, soit une malédiction, soit un sort jeté sur l’individu de sorte qu’il est amené à commettre des actes dégradants, déshonorants, soit qu’il est habité par un esprit maléfique. Donc, on peut rentrer dans le système de valeur de nos sociétés pour expliquer le phénomène de la pendaison.
Quelles sont les conséquences de la pendaison ?
Les conséquences sont que lorsqu’un individu, dans nos sociétés africaines et burkinabè en particulier, se suicide, il y a des instances d’intervention. Ce sont des personnes qui sont compétentes pour approcher les pendus. Tout le monde n’a pas cette puissance. Il faut non seulement connaître tous les codes de la société, mais aussi être mystiquement « blindé » pour éviter que la pendaison ne se répète dans le groupe social. Il y a des rituels qui doivent permettre d’exorciser le mal. C’est pourquoi tout le monde n’est pas habilité à célébrer les funérailles d’un pendu. Dans certaines sociétés, on ferait appel aux forgerons, dans d’autres, c’est aux autochtones comme chez les Lobis.
Que doit-on faire dans un contexte de pendaison comme à Andemtenga ?
Les représentations sociales de la pendaison sont perçues à l’aune de la faiblesse, de la malédiction ou le fait d’être habité par un mauvais esprit. Le caractère répétitif de la pendaison atteste de son caractère de malédiction. Ce qui est fait d’habitude, ce sont des rites pour conjurer le mal. Les théories sociologiques ont classé les suicides sous plusieurs formes : la forme du suicide égoïste qui résulte de la rupture du lien social, de l’isolement et de la désocialisation de l’individu. Pour le suicide altruiste, l’individu est sur-socialisé et bénéficie d’une forte intégration sociale. C’est parce qu’il est fortement intégré qu’il se suicide. C’est en cela que chez les mossis, on dit que « mieux vaut la mort que la honte ». Il y a aussi le suicide anomie qui résulte du dérèglement même de la société, des transformations rapides de nos sociétés, de sorte que les individus perdent tout repère. A ce niveau, il faut agir sur une amélioration des conditions de vie des populations et agir sur tous les facteurs qui déterminent la pendaison ou le suicide.
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Dr Bidima Yampa, enseignant-chercheur à l’Université Ouaga 1 Pr Joseph Ki-Zerbo
ENCADRE 2
Liste des villages de la commune d’Andemtenga
Le département comprend un village chef-lieu (populations actualisées en 2012)
Andemtenga (2 120 habitants) et 26 autres villages :
Andemtenga-Peulh (810 habitants)
Boto (1 308 habitants)
Doundoudougou (4 811 habitants)
Firougou (1 429 habitants)
Guéfourgou (3 450 habitants)
Kindi (1 633 habitants)
Koboundoum (2 306 habitants)
Koénd-Zingdémissi (385 habitants)
Kombéolé (1 264 habitants)
Kougouré (1 767 habitants)
Koulkienga (1 007 habitants)
Koundi (1 379 habitants)
Mokomdongo (1 279 habitants)
Ouenga (5 241 habitants)
Sabrabinatenga (2 034 habitants)
Sabrouko ou Sabtenga (267 habitants)
Silenga (1 365 habitants)
Simba (3 914 habitants)
Somdabésma (322 habitants)
Songrétenga (1 832 habitants)
Tambella-Mossi (1 929 habitants)
Tambella-Peulh (186 habitants)
Tambogo (2 403 habitants)
Tampella (1 491 habitants)
Tanga (1 781 habitants)
Tantako (1 749 habitants)