Dire qu’il y avait urgence, cela va de soi. Quand trois hautes personnalités d’un Etat effectuent un aller-retour dans un pays voisin pour un entretien qui n’aura duré que quelque une heure et demie, c’est qu’Abidjan valait vraiment le déplacement de ce commando diplomatique.
En effet, hier mardi 31 mai 2016, le président de l’Assemblée nationale du Burkina, Salifou Diallo, le ministre d’Etat, ministre de l’Administration territoriale et de la Sécurité intérieure, Simon Compaoré et son homologue, en charge des Affaires étrangères, de la Coopération et des Burkinabè de l’extérieur, Alpha Barry, se sont rendus à Abidjan. Trois heures après son atterrissage à l’aéroport Félix Houphouët Boigny, le jet de la délégation burkinabè a repris son envol vers Ouagadougou.
Qu’est-ce qui a pu bien nécessiter ce voyage-éclair ? Devant les caméras, la même rengaine : accolades, discours convenus et phrases ampoulées.
Pour le président ivoirien, Alassane Ouattara, qui a reçu la délégation, ce fut « un plaisir et un honneur de recevoir son cher frère Salif Diallo ». Evoquant les relations séculaires entre le Burkina et la Côte d’Ivoire, il a annoncé la reprise bientôt des « préparatifs du Sommet pour le Traité d’amitié qui devrait avoir lieu en fin juillet à Yamoussoukro ».
Pour sa part, le chef de la délégation burkinabè, Salifou Diallo, a dit être porteur d’un message du président Roch Marc Christian Kaboré à son aîné, à son grand-frère, le président Ouattara ». Avant Au-delà des mandats d’ajouter qu’il a été chargé de «venir remercier le président de la Côte d’Ivoire pour sa contribution à la paix au Burkina Faso, d’une manière particulière, et dans la sous-région, d’une manière générale».
Quid de Guillaume Soro, le président de l’Assemblée nationale ivoirienne ? Etait-il absent du pays ? La question mérite d’être posée quand on sait que lors de ce bref séjour, il n’a pas été fait mention d’une rencontre entre ce dernier et son homologue burkinabè. Loin des caméras, le plus important : ce qui n’a pas été dévoilé, mais que tout le monde subodore. Comme le dit un adage mossi « sur ce qui est évident, tu n’as pas besoin de l’aide d’un devin ». Sans nul doute que la nécessité de la décrispation de la situation actuelle entre le Burkina et la Côte d’Ivoire a été au centre de ce voyage au bord de la lagune Ebrié.
Comme on le sait que trop, depuis l’insurrection des 30 et 31 octobre 2014, un froid sibérien s’est installé sur les relations entre les deux pays. En accordant gîte et couverts à l’ex-chef d’Etat burkinabè, Blaise Compaoré, Alassane Ouattara s’est mis à dos nombre d’insurgés et même des autorités de la Transition, dont le président, Michel Kafando ne cachait pas ses ressentiments envers « notre pays frère ». N’avait-il pas un jour déclaré que « nous n’avons pas que des amis en Côte d’Ivoire » ? Et depuis, de gros nuages ont continué de s’amonceler sur l’axe Ouagadougou-Abidjan. Ainsi de la fuite vers ce pays d’éléments du Régiment de sécurité présidentielle après le putsch du 17 septembre 2015 contre la Transition et surtout de cette ténébreuse affaire d’écoutes téléphoniques entre Djibril Bassolé et le président de l’Assemblée nationale ivoirienne, Guillaume Soro. La suite on la connaît : l’émission d’un mandat d’arrêt international contre ce dernier.
Il n’en fallait pas plus pour qu’Abidjan, qui avait déjà les nerfs en pelote, finisse par s’agacer des « agitations et des provocations de la justice militaire de Ouagadougou », laquelle a émis cette notice rouge à l’encontre de la deuxième personnalité de l’Etat, le tout « au mépris des règles en la matière ». Les plus hautes autorités des deux Etats pouvaient-elles rester indifférentes à cette détérioration continue des liens séculaires qui les unissent ? Pas le moins du monde. Quitte à courir le risque, comme c’est le cas au Burkina, de se voir instruire un procès en immixtion dans les affaires judiciaires. Et le président Roch Marc Christian Kaboré, qui n’a pas été informé au préalable de l’émission de ce mandat d’arrêt, n’a cessé de jouer la carte de l’apaisement. En effet, à plusieurs reprises, il a toujours exprimé sa volonté d’explorer la voie diplomatique dans ce différend qui empoisonne la coopération entre les deux Etats.
Même son de cloche du côté d’Abidjan Bonne pioche, messieurs les présidents. Une volonté de désescalade qui s’est traduite, entre autres, par l’extradition vers le Burkina de « Rambo », un des hommes de main du cerveau du coup de force, naguère réfugié en Côte d’Ivoire et l’annulation des mandats d’arrêt pour vice de forme par la Cour de cassation. Tout n’est pas que judiciaire. Et les flics du tout juridisme ont tout faux qui s’indignent ou affectent l’indignation face au choix, ô combien judicieux, du locataire de Kosyam de jouer la carte de l’apaisement en lieu et place de celle du bras de fer que certains voudrait voir s’installer entre lui et « ADO le traître ».
Comment alors, dans ce dossier du putsch du 17 septembre, ne pas saluer le pragmatisme, le courage, la sérénité et surtout la hauteur de vue de celui-là même qui fut l’un des hommes à abattre des séides de Diendéré ? Etre homme d’Etat, c’est aussi gouverner sans ses états d’âme. Certes, l’affaire du coup d’Etat relève désormais de la justice. Certes la justice doit être rendue. Mais la diplomatie ne saurait être de trop dans un dossier qui menace les relations entre deux pays qui ne peuvent se payer le luxe d’une guerre froide.
Alain Saint Robespierre