En prêtant serment le vendredi 20 mai 2016, Tsai Ing-wen est devenue la première présidente de Taiwan depuis le début du processus démocratique dans l’île. Outre les relations délicates avec le grand-frère pékinois qu’elle devra gérer avec doigté, elle doit relancer une économie en berne et s’attaquer à de nombreuses difficultés sociales qui assaillent ses compatriotes. Membre d’un groupe de journalistes d’une vingtaine de pays invités par les autorités taiwanaises, nous étions ce jour-là à Taipei au milieu des quelque 20 000 personnes venues assister à cette investiture.
On avait beau venir de Ouaga où, ces dernières semaines, le thermomètre tournait invariablement autour des 40 degrés celcius, il faisait quand même chaud ce matin du vendredi 20 mai 2016 sur Ketagalan boulevard face au palais présidentiel à Taipei où s’est officiée la prestation de serment de la nouvelle présidente, Tsai Ing-wen, et de son vice-président, Chen Chien–jen.
Si chaud que nombre de personnes sont obligées de tomber la veste pour se retrouver en bras de chemise. Les éventails, ces accessoires qui ont le vent en poupe par-ici, sont de sortie. Fort heureusement, les organisateurs qui avaient sans doute pris soin de regarder la météo du jour ont eu la bonne idée de déposer devant chaque chaise un petit kit comprenant notamment un couvre-chef et un bidon d’eau minérale.
De quoi aider à supporter les rayons du soleil sur cette place découverte où, dès les premières lueurs du jour , ont convergé des milliers de Taiwanais ainsi que de nombreux chefs d’Etat et gouvernement étrangers parmi lesquels le Premier ministre, Paul Kaba Thiéba, arrivé le 18 à Taipei.
De temps à autre, quelques rares et fugitifs coups de vent viennent soulager les participants et leur donner l’illusion de la fraîcheur. Le chaud et le froid donc. Comme à l’image des relations entre Taipei et Pékin qui sont entrées depuis ce vendredi dans un nouveau cycle. La nouvelle chef de l’Etat et sa formation politique, le Parti démocratique progressiste (PDP), qui a gagné face à Eric Chu du Komintang (KMT) l’élection présidentielle du 16 janvier 2016 avec 56,1% des suffrages ainsi que la majorité absolue des sièges au Parlement (68 sur 113), avaient en effet battu campagne sur le thème de la fierté de Taiwan.
Et sa prise de fonction intervient après un quasi-monopole du KMT sur la scène politique (exception faite des deux mandats de Chen Sui-Bian entre 2000 et 2008) et surtout après les deux mandats de Ma Ying-jeou marqués par un rapprochement jamais égalé entre la République de Chine et son encombrant et menaçant voisin. Entre 2008 et 2016, ce ne sont pas moins de vingt accords de coopération socio-économiques qui ont été signés entre l’île et le continent, rapprochant plus que jamais les deux rives du détroit de Formose.
Main tendue à Pékin
Beijing qui n’a jamais fait le deuil de la dérive de cette « île merveilleuse » (1) quand, battu par les communistes de Mao, Tchang Kai-chek s’y est refugié avec ses troupes, ne désespère pas de ramener ce bout de terre dans son giron. Pour cette raison, le discours d’investiture de la première chef d’Etat du pays était particulièrement attendu. Et c’est à un grand écart diplomatique que s’est adonnée la dame de Taipei, appelant « les deux parties gouvernantes sur les deux rives du détroit à laisser de côté le poids de l’Histoire et à s’engager dans un dialogue positif ».
Tout en refusant de reconnaître le consensus de Pékin conclu entre les deux capitales en 1992, elle parle néanmoins du « maintien du statu quo ». La real politik est passée entre-temps par là, la charte du PDP, parlant explicitement d’une « république de Taiwan souveraine et indépendante ». Pas folle donc la guêpe taiwanaise, qui tend la main à Beijing tout en ménageant son propre électorat visiblement conquis en cette journée ensoleillée de mai par cette célibataire de 59 ans sans enfant, tailleur écru, chemisier blanc posé sur un pantalon noir, qui vient de prêter serment main droite levée et de recevoir les Sceaux de la République et de la présidence.
Economie en berne
Mais en attendant les nouvelles vagues qui ne manqueront pas entre les deux frères ennemis, l’urgence pour celle qui vient de prendre les rênes du pouvoir est ailleurs. Sur le terrain économique notamment. Vu de Ouaga, la situation de ces arpents de terre, sous-développés dans les années 60 et aujourd’hui l’un des dragons de l’Asie, est plus qu’enviable, mais là-bas, la situation économique est de plus en plus préoccupante.
Selon les spécialistes, le PIB qui avait progressé de 6,7% entre 2000 et 2008, a chuté à 3,3% de 2008 à 2013, le pays frôlant même la récession lors de deux derniers trimestres de 2015. Les clignotants, pendant de longues années au vert virent progressivement au rouge, de sorte que la relance économique est l’une des principales priorités de la présidente Tsai qui parle de « transformer la structure de l’économie nationale par un nouveau modèle économique et un développement durable basé sur l’innovation , l’emploi et la redistribution équitable ».
Autre défi assumé de Hsiao Ing (la petite Ing) comme on la surnomme, les réformes sociales dans les secteurs de l’éducation, de la santé, du système de pension dans un pays où la population vieillit et…et…la mise en place d’une « Commission Vérité et Réconciliation » rattachée à la présidence.
« Nous devons trouver la voie pour affronter ensemble le passé » se convainc-t-elle. Objectif d’une telle institution, exorciser les fantômes de la « terreur blanche » des années de plomb du règne de Tchang Kai-chek et de la loi martiale qui n’a été abrogée qu’en 1987, ouvrant dès lors la période démocratique qui vient de connaître sa consécration par la prestation de serment de la première femme à la magistrature suprême, ce que de nombreuses terres de vieilles démocratie ne sont pas encore parvenues à réaliser.
Reste maintenant à celle qui vient d’étrenner la plus haute charge de l’Etat à montrer que les Taiwanais ne se sont pas trompés en voulant essayer une femme. Elle a 4 ans pour ce faire.
OUSSENI ILBOUDO de retour de Taipei