L’Eglise catholique ivoirienne vient de jeter un pavé dans les eaux glauques de la lagune Ebrié. C’est le moins que l’on puisse dire. En effet, au cours d’un « pèlerinage national » initié dans le cadre du Jubilé de la Miséricorde, une année sainte ouverte le 8 décembre 2015 par le pape François, les Evêques ivoiriens, réunis à Yamoussoukro, ont plaidé en faveur de la libération des prisonniers politiques détenus lors de la crise post-électorale de 2010-2011. « La réconciliation exige naturellement la libération des prisonniers dans le cadre du conflit advenu dans le pays, surtout que de ce point de vue, personne ne peut se dire innocent », a déclaré Mgr Ignace Bessi Dozbo qui faisait office de porte-parole. Et d’ajouter : « Pour se réconcilier, il faut être libre. Pour être libre, il faut avoir la faculté d’aller et de venir sans être inquiété ». L’Eglise catholique roule-t-elle pour l’impunité ? Difficile d’y répondre, d’autant que les Evêques ivoiriens, quoi que l’on puisse dire, sont dans leur rôle. On ne pouvait donc pas s’attendre à autre chose de leur part si ce n’est d’appeler les Ivoiriens à plus de compréhension et de tolérance. De ce point de vue, on peut dire que les prélats, par cette sortie inattendue, ont rendu service à la réconciliation nationale tant prônée par le président Alassane Dramane Ouattara (ADO), et qui, faut-il le rappeler, a encore du mal à prendre corps. On se souvient encore de l’accueil hostile réservé au ministre des Affaires sociales en tournée au Ghana, par des réfugiés pro-Gbagbo qui ne cachaient pas leur colère vis-à-vis du régime d’Abidjan qu’ils accusent d’être resté dans une logique de vainqueur. Ce qui n’est pas faux. Car, depuis la fin de la grave crise post-électorale qui aura coûté la vie à près de 3000 personnes, on assiste à une véritable chasse à l’homme dirigée contre les partisans de l’ex-président Laurent Gbagbo. Tout se passe comme si les criminels venaient d’un seul camp. Or, on sait bien qu’ils sont nombreux les hiérarques du régime actuel qui ont aussi les mains tachées de sang et qui continuent de courir les rues, narguant ainsi leurs victimes.
Une clarification s’impose
Une telle attitude n’est pas de nature à apaiser les cœurs. Bien au contraire, elle renforce les clivages, attise la haine et crée davantage la méfiance. Ce sont là autant de choses terribles que n’ont certainement pas voulu occulter les hommes de Dieu qui se sont juste contentés de demander la libération des prisonniers politiques, même si, là encore, ils laissent l’opinion sur sa soif. Faut-il libérer des sanguinaires comme Séka Séka et autres spadassins notoirement reconnus ? Ou encore que faire de Simone Gbagbo poursuivie pour crimes contre l’humanité par la justice ivoirienne ? Pour éviter toute bagarre de sémantique qui pourrait surgir autour de l’expression « prisonniers politiques », les Evêques ivoiriens auraient dû être plus explicites. Surtout que dans une récente sortie médiatique, le président Ouattara lui-même affirmait devant les syndicats qu’il n’y avait pas de prisonniers politiques en Côte d’Ivoire et que ceux qui se considéraient comme tels ont été arrêtés à l’issue de la crise post-électorale. Aussi une clarification s’impose-t-elle. Car, l’Eglise catholique se mettrait à dos les parents des victimes en demandant que soient élargis tous les prisonniers politiques, y compris les bourreaux. Tout au plus, le régime ADO peut-il, comme il l’a déjà fait de par le passé, absoudre les partisans modérés qui, en dehors de leur prise de position pendant la crise, n’ont pas commis de crimes de sang. Cela pourrait donner un coup d’accélérateur au processus de réconciliation nationale en panne.
Boundi OUOBA