L’opposition a eu sa marche de protestation contre la mise en place du Sénat. C’était le samedi dernier. Une marche qui a mobilisé mieux que d’habitude et qui fait dire qu’elle existe désormais, notre opposition. C’est déjà ça de gagner pour une démocratie qui a plus de 20 ans de pratique.
Mais se pose pour cette démocratie une série de questionnements, dont on peut penser qu’elle s’applique en général aux jeunes républiques d’Afrique.
Outre tout le mensonge qu’il y a sur la mise en place du Sénat, sur son coût et maintenant sur le salaire du sénateur, se développe depuis le printemps arabe une forte tendance à saper les fondements d’Etats encore trop fragiles.
Rien que les expériences de la Tunisie et de l’Egypte suffisent à voir que l’Afrique paiera un très lourd tribut, si ses élites, s’adossant sur ces deux exemples, persistent à vouloir risquer la fameuse alternance par la rue et la foule.
Face aux effets de la crise, qui n’épargne aucun continent, aucun pays, face aux difficultés économiques, elle est compréhensible à la limite légitime, cette inquiétude sinon l’incertitude du lendemain qui pèse sur les populations. Il n’est pas besoin d’être économiste ou un spécialiste de ces questions pour savoir que l’économie ne peut prospérer dans le chaos.
Quand bien même le droit à la manifestation et à l’indignation serait autorité en République, revient toujours, en tout cas pour la situation du Burkina, le question du respect de la loi fondamentale et subséquemment du respect de la majorité.
Au nom du respect de la constitution
Une année déjà que le bicaméralisme au Burkina a été adopté par révision constitutionnelle. La création ou non du Sénat n’est plus un sujet d’actualité. Alors, pour son respect strict, comme le professe avec force l’opposition, à propos par exemple de l’article 37, peut-on monter une barrière contre l’installation du Sénat ?
C’est peut-être vrai qu’en juin de l’année d’avant, M. Diabré, n’avait pas encore enfourché son cheval pour sa croisade contre le Sénat. Si fait que toutes les propositions consensuelles du CCRP sont passées comme une lettre à la poste. Tous ceux qui, aujourd’hui à ses côtés, crient haro sur le baudet, avaient apparemment la tête ailleurs. Dans leur rôle d’opposant, le Sénat devrait sans doute être un sujet de peu d’intérêt.
En juin 2013, les choses ont changé lorsqu’en conformité avec ce que dit la Constitution, une loi est votée pour la mise en place du Sénat. Le battage, voire le tapage autour des « abus » du Sénat font recette. Après tout, quel Burkinabè ne serait-il pas sensible quand on parle de milliards de francs de budget et de millions de francs de salaires ? Bien entendu que de telles sommes suffisent à justifier que soit piétinée la Constitution.
En bon démocrate, le combat contre les « parasites » de la République vaut la peine, si tant est que nos forces religieuses, coutumières et vives du Burkina d’ici et de l’extérieur sont assimilables à des saprophytes.
Cela mérite bien une thèse, un véritable sujet de philosophe à tout le moins. A y réfléchir, qui va empêcher une opposition, dite jusque-là moribonde d’avoir trouvé matière à se requinquer un peu et aussi de donner un peu de couleur à notre démocratie ?
« Ruecratie », un couteau à double tranchant
Deux des pays qui font partie des pays émergents à savoir la Turquie et le Brésil sont très mal en point. Eux dont tout le monde vantait les mérites sous le vocable de miracle économique sont en train de traverser une situation sociale des plus compliquées.
Alors de Istanbul à Rio de Janeiro, la rue a pris le pouvoir. Le miracle a vécu et les populations refusent de savoir qu’en décidant de survitaminer leur croissance économique par l’injection d’argent massif, il faut un jour payer la facture.
Cette « ruecratie », des politiques burkinabè appellent les citoyens à s’en inspirer au mépris des contre-exemples qu’elle a montrés dans les pays qui l’ont vécu : Egypte, Tunisie, Libye, Madagascar… Dire que ça comporte tous les germes d’un retour en arrière de plusieurs dizaines d’années serait une injure. On pourra agiter tous les combats à mener contre la pauvreté, la lutte contre les inégalités, le chômage des jeunes, la destruction de pays construits au prix de mille sacrifices.
Car alors, la facture de la reconstruction serait encore plus salée et ce ne sont pas les tenants de l’alternance qui vont la payer. On le voit et en Tunisie et en Centrafrique avec les avantages que les nouveaux dirigeants se sont octroyés. Se pose cette question ultime de l’essence de la démocratie. Quoiqu’on pose en actes et en paroles, la vérité nous ramera à cette arme que constitue le bulletin de vote.
Occulter sa force et la puissance qu’il confère au citoyen au profit d’une déstabilisation de nos Etats, d’un changement des pratiques démocratiques serait suicidaire.
Aux oppositions africaines, même si l’appel à la retenue de Diabré est fort louable, de prendre leurs responsabilités. Elles ne gagnent absolument pas au change en héritant de champs de ruines. L’alternance à la Macky Sall donne l’éclatante preuve qu’il y a mieux que la « Ruecratie ».