Pirouette, retournement de toge, rectification, ingérence politique, pression extérieure, tâtonnement (osons le mot) ? Au Burkina Faso comme en Mauritanie, l’actualité judiciaire suscite de vives interrogations. Aussi bien chez les profanes en légistique que chez les praticiens du droit, les uns y vont de leur conviction, les autres de leur science.
Au Burkina Faso d’abord.
Dans notre pays, s’il est une décision de justice qui cristallise les passions, c’est bien celle rendue le 28 avril 2016 par la Cour de cassation.
Ce jour-là en effet, dans la soirée, la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire a rendu un arrêt portant annulation des mandats d’arrêt internationaux lancés contre Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne, dans le cadre du putsch du 17 septembre 2015, et Blaise Comparé, l’ancien chef de l’Etat burkinabè, dans l’affaire Thomas Sankara.
Une décision qui a fait l’effet d’une bombe au sein d’une partie de l’opinion publique nationale laquelle pointe du doigt une immixtion de l’exécutif dans un dossier exclusivement judiciaire.
Avec les explications du procureur général de la Cour de cassation parues dans « L’Observateur Paalga » du vendredi 13 au dimanche 15 mai dernier, et parlant d’un « rabat d’arrêt » visant à corriger une erreur matérielle, alors qu’on pensait que la justice burkinabè venait ainsi de chanter le requiem sur ces fameux mandats d’arrêt, soudain, un nouveau rebondissement.
Et cette fois, c’est du tribunal militaire de Ouagadougou, en charge du dossier, que retentit la charge contre l’arrêt du 28 avril 2016.
En effet, dans un document daté du 13 mai dernier et dont nous vous proposons l’intégralité (Lire page 4) le nouveau commissaire du gouvernement, Alioun Zangré annonce que « le mandat d’arrêt émis contre l’ex-président Blaise Compaoré n’a jamais été annulé ».
Nous voilà donc écartelés entre la plus haute juridiction de l’ordre judiciaire et le parquet militaire.
Alors, à quelle décision judicaire se vouer ? La question mérite d’être posée tant on a l’affligeante impression de nager en plein cafouillage.
Faut-il croire, comme le pensent certains, que les contradictions entre ces deux entités judiciaires trahissent des desseins antagonistes ? Comme ceux qui ont opposé Antigone, héroïne de l’idéal moral, à Créon, maître de la raison d’Etat ?
Une chose est sûre : c’est l’image de l’ensemble de la justice burkinabè qui en sort davantage ternie.
Une justice déjà à la peine au plan national au regard du peu de confiance que lui vouent les justiciables mais aussi au plan international avec les différents procès que lui ont instruit et continuent de lui instruire certaines organisations de la sous-région. Nous pensons à la Cour de justice de la CEDEAO, qui avait retoqué la décision du Conseil constitutionnel dans l’affaire du Code électoral, au barreau de l’UEMOA, qui crie au non-respect des textes communautaires en ce qui concerne l’arrestation et la détention de l’ancien bâtonnier, Mamadou Traoré.
En Mauritanie ensuite.
Ici, la situation tient moins d’une partie de crêpage de toges que d’une volonté de réparer une injustice. Même si tout porte à croire que la politique est passée par là.
En effet dans une décision rendue hier mardi 17 mai 2016, la Cour suprême a ordonné la libération des militants anti-esclavagistes, Biram Dah Abey et Brahim Ould Bilal, après dix-huit mois de détention.
Fondateur d’Initiative de résurgence du mouvement abolitionniste (IRA) et candidat à la dernière présidentielle mauritanienne, le premier avait été arrêté en novembre 2014 puis condamné à deux ans de prison. Les faits à lui reprochés : « Appartenance à une organisation non reconnue », « appel à rassemblement non autorisé » et « violence contre la force publique ».
Cette affaire avait valu à la Mauritanie une levée de boucliers au sein de la communauté internationale qui voyait en cette condamnation une façon pour les autorités du pays de perpétuer l’esclavage pourtant officiellement interdit en 1981.
Par le subtil jeu de requalification des faits en « attroupement maintenu après les premières sommations », les deux hommes qui appartiennent à la caste des Harratins (Maures noirs) ont été alors reconnus coupables de délits mineurs passibles de deux mois à un an de prison. Une période couverte par leur détention d’où cette décision de relâchement.
Par cette décision, c’est l’Etat mauritanien qui vient d’avoir le courage de regarder dans la glace cette horreur qui pend à ses yeux.
Reste maintenant à avoir ce courage humaniste à mettre définitivement fin à cette pratique de l’esclavage qui maintient de nos jours des milliers de Noirs mauritaniens dans les liens de la servilité d’un autre âge.
Alain Saint Robespierre