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Justice burkinabè: «Concorde» raconte son odyssée judiciaire
Publié le lundi 16 mai 2016  |  L`Observateur Paalga
Le
© Autre presse
Le palais de justice de Ouagadougou




Les riverains de la rue Ousmane Sibiri Ouédraogo le voient de temps en temps à pied, faisant des va-et-vient dans ses différents magasins. Fidèles à ses chemises manches longues, il se surprend quelquefois à réglementer la circulation en cas de bouchon, comme cela arrive souvent dans ladite rue. Pas un mot plus haut que l’autre, ses interlocuteurs ne tardent pas à découvrir son caractère attachant et surtout son humilité et se surprennent à lâcher un « Ah, c’est lui, le milliardaire-là ? On ne le connaît même pas ». Lui, c’est Ousmane Ilboudo, beaucoup plus connu sous le surnom de Concorde dans le milieu des affaires. Opérateur économique discret, ce natif de la commune de Salgo dans le Ganzourgou, bien que méconnu du grand public, fait partie de ceux qui comptent dans le tissu économique de son pays. Mais, depuis quelques années, un contentieux l’oppose à un de ses anciens employés du nom de Halidou Ilboudo (que nous rencontrerons aussi) pour une affaire de détournement présumé de quelque deux milliards de francs CFA et l’a amené à arpenter, contre vents et marées, les couloirs des juridictions de son pays en vue de recouvrer son dû. Face aux péripéties de son dossier qui est aujourd’hui une véritable odyssée judiciaire, sa religion est désormais faite : « il y a des gens qui n’ont pas intérêt, à tous les étages de l’institution judiciaire, à ce que le droit soit dit ». C’est pourquoi il sort de sa réserve et prend l’opinion publique à témoin dans cet entretien qu’il nous a accordé. L’interview ayant été réalisé en mooré, nous nous excusons par avance auprès de l’intéressé, des différents protagonistes de l’affaire et de nos lecteurs, au cas où la traduction aurait trahi certaines de ses pensées.





Vous êtes un opérateur économique prospère mais très discret. Qui se cache derrière Concorde comme on vous a surnommé ?

Je suis Ilboudo Ousmane, beaucoup plus connu, comme vous le dites, sous le nom de « Concorde ». Je suis né, il y a 48 ans dans la commune de Salgo, province du Ganzourgou. J’exerce essentiellement dans le commerce des produits alimentaires et le textile.

Etes-vous issu d’une famille de commerçants comme tant d’autres qui ont fait leurs classes à côté de leurs parents ?

Non, je suis né dans une famille de cultivateurs. Et comment êtes-vous passé de l’agriculture au commerce ? J’ai suivi un certain nombre de commerçants de bonne volonté et de grande moralité qui m’ont appris les ficelles du métier et c’est comme ça que, petit à petit, j’ai fait mon trou.

Etes-vous allé à l’école ?

Si vous voulez dire l’école du Blanc, non. Mon père est décédé quand j’avais 9 ans et j’ai été envoyé à l’école coranique, d’abord dans le Sahel où j’ai fait quatre ans avant de poursuivre pendant sept ans dans la Gnagna.

Au fait, d’où vous vient le nom Concorde ?

Cela remonte à 1992 quand je suis allé à la CICA (actuelle CFAO) commander deux cars de marque Concorde. Dès que je suis reparti à Pouytenga avec ces véhicules tout le monde les admirait. C’est pourquoi mes camarades commerçants m’ont surnommé Ousmane Concorde. Depuis, ça me colle à la peau.

On pensait que vous aviez peut-être cet avion de ligne supersonique, même s’il ne vole plus ?

Rires... Inch’Allah, l’avion viendra avec le temps. A ce qu’on dit, vous avez une fibre sociale assez développée et vous auriez, par exemple, offert un barrage à une localité ? C’est vrai. J’ai offert en effet un barrage au village de Temnaoré dont la construction a commencé en 2008 pour s’achever l’année d’après.

Il a coûté combien ?

Je ne souhaite pas en parler, mais si ça vous intéresse, les services étatiques pourront vous le dire.

On parle aussi d’un CEG à Komséogo.

Suite à une demande que j’ai introduite auprès des services compétents, j’ai effectivement obtenu l’autorisation en janvier 2015 de construire ce CEG. Mais lorsque je suis allé pour commencer les travaux, j’ai vu qu’il y avait un conflit foncier portant sur la zone qui devait abriter l’établissement. Alors que le matériel était déjà au complet sur le site pour le démarrage des travaux. C’est grâce au haut-commissaire que ce problème foncier a connu une issue heureuse pas plus tard qu’en janvier 2016 et nous avons pu commencer les travaux. Nous avons pris l’engagement de rendre l’école opérationnelle à la rentrée 2016- 2017 et, s’il plaît à Dieu, nous allons honorer notre promesse.

Comme on le dit, toute fortune a une histoire. Quelle est la vôtre si ce n’est pas trop secret ?

Quand je suis rentré de mes études coraniques en 1985, dès 86 j’ai commencé à vendre de la friperie. A l’époque, je faisais la navette entre Salgo, Pouytenga et Béguédo à vélo. Ensuite, j’ai jeté mon dévolu sur Tenkodogo avant de me tourner vers Ouagadougou. Mon premier voyage à l’étranger pour importer de la marchandise, notamment des tissus, a eu pour destination le Bénin, ensuite le Nigéria. Puis mes partenaires nigérians m’ont amené en Inde en 1995 où j’ai fait 14 jours avant de continuer à Karachi au Pakistan et boucler la tournée à Dubaï. Depuis 2002, j’ai entrepris le commerce des denrées alimentaires ; l’opportunité m’en a été offerte en 1998 aux EtatsUnis, lors d’une foire, où j’ai rencontré des Malaisiens. Nous avons signé des contrats avec ces partenaires, ce qui me donne le monopole de leurs produits en Afrique de l’Ouest (Côte d’Ivoire, Mali, Bénin, Ghana et Togo). Ce sont : l’huile alimentaire, le lait, la tomate, les pâtes alimentaires et les biscuits. Par la grâce de Dieu, les affaires ont commencé à prospérer si bien que je suis devenu un actionnaire à l’usine-mère. Je livre de ce fait les produits à mes clients au prix-usine en ne comptant que sur mes ristournes.

Venons-en maintenant au problème qui défraie la chronique depuis un certain temps, le contentieux qui vous oppose à un de vos anciens employés. Qui est-il en réalité pour vous ?

C’est exact, il se nomme Ilboudo Halidou, et n’est autre que le fils d’un grand frère de la grande famille. Il travaillait avec moi depuis 1999. Comme je ne suis pas allé à l’école, je l’ai fait venir et il avait pour mission de gérer toutes les opérations financières de mon entreprise (facturations, recettes, versements dans les banques, etc.). C’est lui qui s’occupait de tout, c’est vous dire combien j’avais confiance en lui. Mais à ma grande surprise, il a commencé à mener un grand train de vie et à avoir des fréquentations douteuses, ce contre quoi je l’ai mis en garde, lui disant de faire très attention. Jusqu’à ce qu’il me laisse un trou de 2 milliards 400 millions de FCFA puisés dans le compte de la société. Non content de cela, il a aussi arnaqué certains de nos fidèles clients à hauteur de plus de 100 millions. Les choses ont commencé à mal tourner en 2005. Devant témoin, j’ai essayé de le ramener à la raison pour sauver ce qui pouvait encore l’être. En 2006, je me suis absenté pour raison de santé et à mon retour j’ai été scandalisé par l’énorme perte qu’il m’a fait subir. Pour vous donner une idée de l’étendue de mon activité économique, j’étais un client de quatre banques - SGBB, BICIA-B, BOA, ECOBANK. En 2007, 2008 et 2009 la BOA parce que j’étais son deuxième client après la SONABEL si bien qu’elle m’a donné une garantie bancaire pour mes fournisseurs. Par an, nous faisons entrer au Burkina et dans les autres pays plus de 1 000 containers. Pour revenir au contentieux, lorsque j’ai constaté que les choses tournaient mal, j’ai fait venir des experts de France pour un inventaire et le 10 août 2008 leurs conclusions étaient ahurissantes, car ils ont tout de suite décelé un gouffre de plus d’un milliard. Cette nuit-là je n’ai pas pu dormir et c’était le début d’une maladie qui m’empêche jusqu’à présent de fermer l’œil les nuits ; ce qui m’a conduit tour à tour en France, en Tunisie et au Maroc pour des soins. Tous les médecins s’appliquaient à me faire oublier le problème en vue de sauver ma vie. Le malheur ne venant jamais seul, j’ai perdu mon grand frère le 27 février 2009 par suite d’une crise cardiaque au stade lors d’un match, et cela m’a fait rester trois mois à la maison. A la reprise, j’ai trouvé que mes dettes étaient nombreuses. Je devais aux fournisseurs plus d’un milliard, à Atlantique banque 500 millions et à la BOA 1 milliard 700 millions. Quelque temps après, j’ai réussi à presque tout solder et il ne me restait que 370 millions. En 2010, j’avais en tout et pour tout 70 millions en dehors de mes magasins pleins de marchandises. Grâce à Dieu, j’ai pu sauver l’essentiel avec les créanciers.

Quand le pot aux roses a été découvert, comment votre neveu a-t-il réagi ?

Dans un premier temps, j’ai pensé pouvoir résoudre le problème en famille, car comme on le dit, le linge sale se lave à la maison ; d’ailleurs précipiter les choses n’aurait rien arrangé vu l’ampleur des dégâts ; je vous dispense de certains détails. Mais les choses ont continué à aller de mal en pis et chaque jour ou presque avait son lot de problèmes, de détournements à gérer : si ce ne sont pas des déclarations du genre “ j’ai vendu à crédit”, c’est “j’ai juste voulu mouvementer le compte d’un ami qui avait besoin d’un visa” et pire il prenait, à mon insu, l’argent avec les fournisseurs en leur disant qu’il y avait des marchandises en douane. Suite à la plainte d’un client avec qui il avait pris 80 millions en lui promettant indéfiniment l’huile, j’ai décidé qu’il ne serait plus à la caisse. Et il a fini par avouer certains détournements, preuves à l’appui. Dans la nuit du 9 au 10 janvier 2013, il a appelé mon comptable pour lui dire que le problème est trop lourd à porter et qu’il envisageait de se suicider. Compte-rendu m’en a été fait et aussitôt j’ai décidé pour sa propre sécurité de le conduire à la brigade de gendarmerie de Boulmiougou. Que n’aurait-on pas en effet dit s’il était passé à l’acte ? Le commandant de brigade a loué, à l’époque, mon esprit d’anticipation et il l’a gardé pendant un certain temps. Une perquisition chez lui a permis de découvrir des reçus de versement dans des comptes de tierces personnes et des chèques en blanc de ses complices Pendant son séjour chez les gendarmes, on s’est rendu compte qu’il avait ouvert 9 comptes bancaires au nom de ses amis et c’est la personne qui était chargée de faire mes versements qui partait alimenter ces 9 comptes. J’ai les reçus des versements et les chéquiers et j’ai remis les originaux au CB. Les choses étaient dans la bonne dynamique jusqu’au 24 janvier quand j’ai vu un des complices d’Alidou qui était protégé par deux hommes armés venir à la gendarmerie. Toutes ses poches étaient visiblement bourrées d’argent et un pandore s’est même offusqué de ce fait en disant que ce visiteur mériterait d’être arrêté. J’ai vite eu un pressentiment que ce bonhomme était venu pour noyer l’affaire. La suite m’a donné raison car le même soir, on m’a dit de venir chercher Alidou car l’affaire sera transférée à la justice, ce que j’ai refusé. Et curieusement, au palais de justice, quand le dossier a été transmis, on n’a retrouvé ni les reçus de versement ni les chéquiers remis à la gendarmerie. Volatilisés ! J’ai néanmoins refait des photocopies que j’ai remis devant témoin au juge d’instruction. Mais jusqu’à l’heure où je vous parle, aucun magistrat n’a daigné tirer les comptes pour vérifier les informations que j’ai données. Pire, entre temps, le juge d’instruction m’a clairement dit que si c’est Me Prospère Farama qui est mon avocat, on ne pourra rien faire pour moi sous prétexte qu’il est « compliqué ». En quoi, je ne saurai le dire. J’en ai rendu compte à mon conseil. Une semaine après, le magistrat instructeur a encore demandé à me voir pour me signifier que le procureur du Faso a dit de libérer Alidou parce que ce serait son beau-frère. Vrai ou faux, allez savoir ! J’ai compris qu’il devait y avoir quelque part des gens qui ne voulaient pas que ce dossier connaisse une issue heureuse et je suis même allé voir le ministre de la Justice de l’époque, Dramane Yaméogo. Séance tenante, il a appelé pour chercher à comprendre, a mis le haut-parleur de son portable et j’ai entendu le juge d’instruction affirmer que ce sont ses collègues qui bloquent le dossier. De fil en aiguille, le juge a déclaré un non-lieu car, disait-il, ses investigations lui auront permis de découvrir qu’Alidou aurait dissipé seulement 115 millions.

L’affaire était donc classée ainsi ?

Mon avocat a décidé de faire appel de cette décision en février 2014. Et en mars, je suis allé voir le procureur général pour lui expliquer la situation et il a trouvé un peu curieuse la manière dont le dossier a été traité. Il a alors décidé de confier l’affaire à la brigade de gendarmerie de Ouaga 2000. Et en quelques jours, les gendarmes de Ouaga 2000 ont encore retrouvé les traces de 135 millions, soit maintenant 250 millions si on ajoute les 115 découverts par le juge. Alidou est alors emmené au parquet, mais le même jour il est libéré. En 2014 je suis allé à la Cour d’appel 24 fois sans voir les traces du dossier. Finalement c’est fin octobre 2015 qu’il y est parvenu mais délesté des pièces comme des reçus de paiement. Y figurent seulement celles concernant les 115 millions. On n’y voit pas non plus les pièces concernant les 135 millions décelés par la gendarmerie de Ouaga 2000. Dans les relevés que nous avons tirés, un de ses complices a reçu le virement, tenez-vous bien, de 1 milliard 700 millions. De guerre lasse, je suis de nouveau reparti au ministère. Cette fois-ci, c’est Joséphine Ouédraogo qui était Garde des Sceaux. Elle a commis un de ses collaborateurs, un certain Kohio, de suivre le dossier mais pendant deux bons mois, ce dernier ne parvenait même pas à localiser le dossier. Il finira par apprendre que les documents sont entre les mains d’un juge qui est parti à l’étranger. Après mille et une tribulations donc, on ne trouvait même plus trace de mon dossier à la Cour d’appel. Et comme je viens de l’indiquer, quand il fut retrouvé, il était presque vide puisque la seule pièce qui s’y trouvait est une convocation adressée à mon avocat. Les numéros des 9 neufs comptes n’y figuraient pas, pas plus que les PV des gendarmes, rien. Alors je m’interroge. Je ne suis pas un spécialiste du droit mais tout de même, reconnaissons qu’il y a des bizarreries dans cette histoire C’est quand même des accusations graves. Avez-vous les preuves de ce que vous dites ? Bien sûr et je n’ai pas tout dit, croyez-moi. Je suis même allé m’ouvrir au chef d’état-major de la gendarmerie. Pour le moment, je me garde de citer certains noms mais si les services compétents, notamment l’inspection du ministère de la Justice, l’ASCE et autres organisations de lutte contre la corruption et pour la bonne gouvernance veulent vraiment connaître la vérité, je suis à leur disposition. Vous savez, j’ai mené depuis toutes ces années mes propres investigations, j’ai même fait venir des détectives de l’étranger et je sais que mon dossier a enrichi beaucoup de gens, des R+1 ont poussé, de grosses voitures ont été achetées, etc. Je suis au courant. D’ailleurs, si la justice pouvait me dresser la liste de ceux qui n’ont rien eu, je suis prêt moi aussi à les financer pour qu’ils enterrent définitivement l’affaire.

Plus sérieusement, avez-vous espoir que justice vous sera rendue en dépit de toutes les péripéties évoquées plus haut ?

J’ai un grand acquis, la confiance de mes partenaires et en tant que croyant, je sais que seul le Créateur fixe les limites de chacun. La BSIC m’a donné un coup de pouce et aujourd’hui je ne dois plus rien à mes fournisseurs ni aux quatre banques citées plus haut. Ce que je veux, ce n’est pas forcément l’argent mais que la justice fasse au moins son travail en toute honnêteté. Je reste serein avec toutes les preuves en main et avec l’aide de Dieu et de bonnes volontés, la vérité triomphera inéluctablement. Cela dit, quand on voit certaines choses, ça vous donne une petite idée du fléau qui ronge l’institution judiciaire et qui ne l’honore pas, même s’il y a encore, fort heureusement, des officiers de police judiciaire et des magistrats qui font honorablement leur travail. On dit que «plus rien ne sera comme avant » mais à la lumière de mon odyssée judiciaire, j’en doute fort. On aura beau organiser des états généraux de la Justice chaque année, les choses ne changeront fondamentalement que si ceux qui sont chargés d’administrer la justice se remettent en cause et évitent de ruser avec le droit. Pour terminer, je voudrais prendre l’opinion publique à témoin qu’il y a des gens qui me suivent, peut-être pour m’intimider. Ça ne m’inquiète pas outre mesure car même si je venais à disparaître, des personnes de bonne volonté ont ce dossier dans ses moindres détails et, tôt ou tard, la lumière jaillira.



Propos recueillis par Abdou Karim Sawadogo
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L`Observateur Paalga N° 8221 du 27/9/2012

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