La justice militaire fait l’objet de toutes les attentions ces derniers temps. L’opinion nationale, qui était entre temps inquiète du silence sur le déroulement de l’instruction des dossiers, a appris le dessaisissement d’un des juges d’instruction du putsch de septembre 2015. Quelques jours avant, c’est la Cour de cassation qui nous avait servi un spectacle ahurissant en rendant deux décisions contradictoires le même jour concernant le recours en annulation des mandats d’arrêt : une décision publique rejetant le recours lue et entendue à l’audience du matin devant tout le monde et une autre décision rendue publique le soir par des canaux non officiels infirmant la décision du matin. Manifestement, il y a eu fraude quelque part.
Fidèles à leur attachement à la bonne administration de la justice, nos organisations suivent avec une grande vigilance ces derniers développements du dossier. Même si les thuriféraires de l’impunité systématique crient victoire, nous restons convaincus que c’est une nouvelle opportunité de prendre toutes les dispositions utiles afin que nul ne puisse se prévaloir de vice de procédures pour échapper à ses responsabilités dans ce crime odieux contre notre processus démocratique. Nous encourageons les juges d’instruction à reprendre lesdits mandats en respectant scrupuleusement les règles de procédure. De même, nous mettons en garde les gouvernants contre toute tentative de blocage, de manipulations politiciennes ou diplomatiques de ce dossier. A cet égard, nous condamnons avec vigueur la décision de l’exécutif consistant à dessaisir un des juges d’instruction. C’est une immixtion grave dans la conduite du dossier que nous ne saurons accepter.
Il faut ajouter à ces faits graves, le refus de certains hauts gradés de l’armée, de la gendarmerie et de la police de répondre devant les juges instructeurs qui veulent les entendre sur leurs rôles dans le coup d’Etat. Nous sommes scandalisés par cette information surtout que les mis en cause, à savoir les premiers responsables de la Gendarmerie, de la Police et de l’Armée sont ceux chargés d’appliquer et de faire respecter la loi. Ce comportement de leur part relève manifestement de l’incivisme au sommet de l’Etat. A-t-on besoin de rappeler que personne n’est au-dessus de la loi dans une République ? Toute personne convoquée par la justice ou ses auxiliaires comme les OPJ a l’obligation d’y répondre, quitte à engager des voies de recours si elle se considère injustement mise en cause.
Nous estimons que le respect de la loi n’est pas négociable. On ne doit pas s’abriter derrière les fonctions qu’on occupe dans la République pour défier la justice. Si ces personnes n’ont aucun égard pour les responsabilités qui sont les leurs, le président du Faso, en tant que chef suprême des forces armées et garant du bon fonctionnement des institutions, doit les décharger et permettre ainsi à la justice de s’exercer librement. Il ne devrait pas être complice de l’effritement de l’autorité de l’Etat en maintenant à leurs postes des personnes qui ont peu d’égard pour une institution aussi importante que la Justice.
Le peuple burkinabè s’est insurgé les 30 et 31 Octobre 2014 contre le système des privilèges des « hommes forts » et des intouchables. Imbus de leurs personnes pleines de suffisance, ces Burkinabè se permettaient de narguer les honnêtes citoyens et les institutions de la République parce qu’ils étaient bien placés à la tête de l’Etat ou pouvaient compter sur des personnes haut placées. L’insurrection populaire a balayé ce système, puis par le coup d’Etat désespéré du 16 septembre 2015, des militaires et civils ont pensé pouvoir reconquérir leur paradis perdu. La farouche et intrépide résistance du peuple les a ramenés dans la République.
Cependant, ces nostalgiques de l’ancien régime et autres frustrés de la période de la Transition n’ont pas baissé les armes. L’instruction du dossier du putsch est devenue pour eux un autre enjeu. C’est ainsi que nous constatons des attaques en règle contre les juges militaires accusés de tous les péchés du Burkina. Mais personne n’est dupe. Nous savons que c’est une campagne savamment orchestrée pour discréditer le tribunal militaire. Des pressions énormes sont exercées contre lui pour soit dessaisir les juges considérés comme intraitables soit orienter l’instruction, si ce n’est pas des lobbys qui débarquent subitement à Ouagadougou pour faire pression sur les juges.
Malgré le flagrant délit de coup d’Etat, certains veulent le nier outrageusement. A croire que si le CND (Conseil National de la Démocratie) ne s’était pas affiché, on aurait targué « un montage des autorités de la Transition« . Les Burkinabè ont d’ailleurs assisté à ce type de propagande durant toute l’année de Transition.
Au regard de faits successifs, c’est l’aboutissement différé du coup d’Etat que notre peuple a fait échouer par l’unité et de lourds sacrifices.
Pour cela, la méthode développée consiste à prendre en otage et bloquer l’institution judiciaire grâce à diverses attaques par une fraction de fidèles privilégiés sous le système Compaoré.
Maintenant, le risque de tripatouillage de tous les dossiers emblématiques de justice, notamment ceux du putsch, de l’insurrection, de Thomas Sankara, Norbert Zongo, Dabo Boukary, est avéré. Comme d’autres dossiers enterrés autrefois, et déterrés après l’insurrection populaire.
Nous, organisations de la société civile qui avons participé auprès de notre peuple à la lutte héroïque pour nous débarrasser de l’autocratie et de son système d’injustice, demeurons vigilantes pour l’aboutissement de ce dossier et de tous les autres. Faut-il le rappeler, le coup d’Etat de septembre 2015 a endeuillé de nombreuses familles (15 morts) et occasionné plus d’une centaine de blessés graves. Notre économie a été paralysée pendant des semaines avec des pertes chiffrées à des centaines de milliards pour les caisses de l’Etat. Ajoutons-y le traumatisme subi par les compatriotes d’ici et d’ailleurs face aux hordes répressives de l’ex-RSP qui semaient la terreur dans la capitale. Le peuple, de par sa légendaire magnanimité, a refusé la vengeance, pour faire confiance à la justice chargée de réparer les torts et apaiser les cœurs. C’est pourquoi, nous tenons à :
apporter notre soutien total au travail des juges en charge du dossier ;
dénoncer les pressions d’où qu’elles viennent sur le tribunal militaire et toute campagne de sabotage et de dénigrement ;
réaffirmer notre indéfectible engagement pour la manifestation de la vérité sur tous les dossiers en cours ;
inviter le peuple burkinabè, dans toutes ses composantes vertueuses, à rester mobilisé pour faire échec à toutes les tentatives d’étouffer cette affaire ainsi que tous les dossiers pendants devant la justice.
Fait à Ouagadougou le 8 mai 2016