Si la tenacité d'une lutte de l'opposition politique se mesure à la clarté de la vision de son premier responsable, alors on peut dire que c'est le cas de celle du Burkina, longtemps tenue pour "mollassonne". Son chef de file, Zéphirin Diabré, qui identifie 2 façons de batailler contre un pouvoir (Parlement et rue), entend bien user de ces deux armes politiques. La manifestation du 29 juin dernier, il en tire, dans la présente interview, les leçons et réaffirme que ce n'est qu'une étape, car cette forme de pression, "un service commandé par le peuple", sera maintenue si le gouvernement persiste dans ses lois impopulaires. En même temps, le CFOP estime qu'il suffit que le pouvoir dise "publiquement qu'il ne touchera pas à l'article 37 et le débat est clos", au lieu de laisser ses affidés gesticuler. Enfin, "Zeph" invite les opposants à s'unir et à mettre sous l'éteignoir les rancoeurs et les désirs revanchards nés sur le campus et les clivages politiques postCNR ou Front populaire. Bien entendu, l'opposition, a-t-il dit, reste ouverte à tout dialogue sincère.
Quels sont les sentiments qui vous animent après la marche du 29 juin 2013 ?
Je suis animé par un triple sentiment de respect, de gravité et de responsabilité.
Aussi bien à Ouagadougou que dans les provinces, l’action du 29 juin a été appelée et organisée par l’opposition politique ; mais je m’empresse de dire que l’opposition n’a fait que se mettre au service des Burkinabè qui voulaient exprimer leur colère, en leur offrant un cadre. Parmi les nombreux manifestants de Ouagadougou et d’ailleurs, il n’y avait pas que des militants de partis politiques d’opposition ; il y avait aussi et surtout des femmes et des hommes de toutes catégories sociales, qui ne sont pas militants de partis politiques, qui peut-être même ne votent pas, mais qui sont venus là pour exprimer leur colère autour des mots d’ordre qui ont été lancés. Et ils ont montré qu’ils savaient, dans les moments décisifs de l’histoire de notre pays, faire entendre leur voix. Et ça, ça mérite un profond respect.
Et pourquoi un sentiment de gravité et de responsabilité ?
Un sentiment de gravité parce que si nos compatriotes sortent de cette manière-là pour dire leur mécontentement, c’est une preuve supplémentaire que, véritablement, ils souffrent dans leur vie quotidienne et sont confrontés à de multiples problèmes non résolus. Tôt ou tard, ces problèmes-là, il va falloir les affronter et les résoudre.
Enfin, un sentiment de responsabilité parce que, en tant qu’opposition, nous sommes, si l’on peut le dire, l’un des instruments légaux à travers lesquels nos compatriotes s’expriment. Nous devons continuer d’être à leur écoute et à leur service et leur offrir l’espace d’expression qu’ils réclament en utilisant les prérogatives que nous accorde la loi. Nous avons aussi la responsabilité de faire en sorte que les manifestations se déroulent dans le calme, de manière ordonnée et disciplinée et, surtout, qu'elles n’entraînent pas de casse, de violence ou, je touche du bois, de perte en vie humaine. Ce n’est pas facile quand on a affaire à un groupe de manifestants qui sont d’origines diverses ; lorsqu’il s’agit uniquement de militants de partis politiques, il y a des canaux à travers lesquels on peut les amener à respecter une certaine discipline ou appliquer un mot d’ordre. Et encore ! Mais quand ça dépasse ce cadre-là, quand on a affaire à toute la société dans sa diversité, ce n’est pas toujours facile de gérer les choses. Personnellement, j’ai eu de la peine et des difficultés, tout au long du trajet, à faire en sorte que les choses ne dérapent pas. Certains de nos jeunes manifestants, débordant de colère et d’énergie, voulaient en découdre tout de suite.
Quel message avez-vous pour ces jeunes ?
• Je les encourage à rester déterminés, mais aussi à être prudents ; ils doivent éviter de donner des occasions aux forces de l’ordre ; ils doivent aussi éviter de donner un sanctuaire aux infiltrés, car ceux-ci aiment se glisser dans les parties des cortèges où il y a de l’agitation. Et, surtout, ils doivent respecter les consignes de notre service d’ordre, que je félicite au passage.
Restons dans le même registre : que s’est-il passé exactement avec les forces de l’ordre qui ont chargé ? Est-ce dû à une infiltration de la marche ou à des militants chauffés à blanc ?
• J’ai répété à plusieurs reprises le fil de l’événement. Nous avons déroulé le cortège à partir de la place de la Nation, en suivant l’itinéraire agréé avec la mairie, avec pour objectif d’atteindre la place des Nations unies, où nous devions remettre à une délégation du Premier ministère un message destiné au Chef de l’Etat.
Arrivés à hauteur de la BICIAB sur l’avenue Kwamé N'Krumah, j’ai instruit mon Directeur de Cabinet d’appeler le Directeur de Cabinet du Premier ministre pour lui dire que nous étions en route. Ce dernier lui a répondu qu’il était au courant de notre position.
L’opposition avait promis d’arriver entre 10h45 et 11h à la barrière matérialisant le début de la fameuse zone rouge. Et nous sommes arrivés à 11 heures pile. Nous nous attendions, en arrivant, à trouver sur place une délégation du Premier ministère qui allait recevoir rapidement le message. Ce qui allait nous permettre de faire demi-tour et de continuer la marche et repartir. Malheureusement, quand nous sommes arrivés, cette délégation n’était pas là ! Au niveau de la barrière, je me suis retrouvé avec mes collègues leaders politiques face à une rangée de CRS. Je n’avais pas devant moi un représentant du pouvoir. Et c’est là que le responsable des CRS est venu me proposer de me laisser passer tout seul pour aller remettre le message de l’autre côté. Je lui ai fait remarquer que si moi, je franchissais la barrière, vu la pression qu’il y avait derrière, les gens allaient me suivre ; parce qu’ils vont se dire que comme le Chef de file de l’opposition avance, il faut qu’ils avancent avec lui, alors que nous sommes en face d’une zone rouge. Ça pose quand même un problème ! Et d’ailleurs, je ne comprends pas pourquoi on me demandait, en tant que manifestant, de rentrer dans une zone qui est dite rouge. Soit elle est rouge, soit elle ne l’est pas. Qui assurera ma sécurité là-bas ? Et qu’est-ce que je réponds si on me dit que j’ai enfreint la loi ? C’est pourquoi je lui ai dit que je ne pouvais pas franchir la barrière et que, du reste, je m’attendais à trouver sur place le représentant du Premier ministère. C’est là qu’il me dit que l’intéressé était là tout à l’heure et qu’il allait le chercher. Vous savez, quand la tête d’un cortège s’arrête, ceux qui sont derrière continuent de pousser pour essayer de voir ce qui se passe devant. Chacun veut être témoin de l’événement. Une forte pression s’exerce sur l’avant du cortège. A cause de cette pression, sur le flanc gauche, une barrière est tombée et les manifestants ont débordé. Comme si elles n’attendaient que ça, les forces de l’ordre ont chargé.
Nous déplorons une vingtaine de blessés, à qui je souhaite un prompt rétablissement.
D’après vous, qui a fait tomber cette barrière ?
Nous avons des soupçons forts qu’il y a eu des infiltrés, et je vais vous dire pourquoi. Quand le cortège a démarré, je me suis rendu compte au niveau de la mairie que sur le flanc gauche, il y en avait qui voulaient aller plus vite que la direction politique. J’ai fait arrêter le cortège pour demander au service d’ordre de les cantonner derrière. Et quand on a redémarré, à hauteur de la Bourse du Travail, j’ai constaté encore le même phénomène. J’ai dû une nouvelle fois arrêter le cortège pour mettre de l’ordre. Et arrivés à la hauteur du collège de la Salle, j’ai dû encore arrêter le cortège, parce que je sentais qu’il y avait sur le flanc gauche quelque chose de pas clair. Du reste, c’est là qu’on a commencé à entendre des slogans qui injuriaient l’opposition. Le service d’ordre voulait s’en prendre à eux, mais je l’ai instruit de les ignorer, car si une bagarre éclatait là-bas, l’opposition aurait été pointée du doigt, surtout si des gens étaient lynchés. Je soupçonne que les gens infiltrés qui étaient sur le flanc gauche de la marche sont les mêmes qui ont fait tomber la barrière sur le même flanc gauche quand nous sommes arrivés. Visiblement, ils étaient venus intentionnellement pour créer un incident. Un de vos confrères, qui est blogueur, a dit ici à la conférence de presse (NDLR : elle a eu lieu le dimanche 30 juin 2013) que des journalistes ont des photos de gens qui, manifestement, étaient infiltrés. Je dois vous dire que certains des membres du service d’ordre, que nous n'avons pas habillé mais que nous avons postés de manière anonyme à certains endroits du trajet, ont entendu un groupe de jeunes qui avaient été apparemment préparés pour une tâche pas claire, dire entre eux quand ils ont vu la foule : «Mon Dieu, qui est fou pour risquer sa vie avec une foule pareille ? Les gars, venez on va partir». Même si je n’ai pas d’éléments plus précis pour étayer une accusation, j’ai le très fort sentiment qu’il y a eu des infiltrés dans la marche et que ce sont eux qui ont fait tomber la barrière exprès.
Après ce succès du 29 juin, quelle est la suite à donner à cette lutte ?
La lutte n’a pas commencé le 29 juin. Donc elle ne s’arrêtera pas le 29 juin. C’est un combat démocratique et populaire qui s’inscrit dans notre mission. Nous, nous sommes des opposants et notre rôle, c’est de porter l’estocade, de manière démocratique, au gouvernement en place.
Nous sommes là pour dire Non à tout aspect de la politique du gouvernement qui nous paraît nuire aux intérêts du peuple. Et quand nous sentons que notre peuple est mécontent d’une décision du gouvernement, nous défendons ses intérêts et, s’il le souhaite, nous lui offrons un cadre pour qu’il s’exprime.
Voulez-vous dire qu’il y aura encore des marches ?
Bien entendu ! Je sais que certains nous critiquent d’avoir choisi de manifester dans la rue. Je respecte leur position, mais je dois leur faire remarquer qu’en démocratie, il y a grosso modo deux manières pour une opposition de se battre contre un pouvoir, et ces deux manières ne sont pas contradictoires. La première, je l’appellerai législative et elle consiste, pour les députés de l’opposition au sein de l’Assemblée, à s’opposer aux lois que le gouvernement propose, et qu’ils jugent contraires aux intérêts du peuple. Nos députés le font de manière très brillante, et vous les avez vus à l’œuvre lors du vote de la loi portant mise en place du Sénat le 21 mai dernier. La seconde manière de s’opposer, c’est par la pression populaire des citoyens contre le gouvernement, chaque fois qu’ils n’approuvent pas une décision du gouvernement. C’est garanti par la Constitution et c’est autorisé par la loi. Et c’est normal pour deux raisons :
- d’abord, toutes les décisions du gouvernement ne se font pas sous forme de loi. Prenez l’exemple de l’augmentation du prix du gaz ! Donc les députés de l’opposition n’ont pas toujours l’occasion de les bloquer ;
- ensuite, il y a des Burkinabè en dehors du Parlement, des Burkinabè qui ne sont d’aucun parti politique, qui, peut-être même, ne votent pas mais peuvent être contre telle ou telle décision du gouvernement. Il faut que ces Burkinabè puissent aussi s’exprimer. Et se faire entendre. Tous les pays démocratiques, et nous l’avons vu récemment au Kenya et au Brésil, vivent chaque jour l’expérience de cette forme de pression populaire.
Nous allons donc continuer en ayant à l’esprit que nous sommes en service commandé pour notre peuple. Il a une volonté, et il est de notre devoir d’organiser un cadre pour mettre la pression au gouvernement pour qu’il respecte cette volonté. Et cette volonté-là, nous l’avons déclinée dans la lettre que nous avons fait parvenir au Président du Faso, et je peux vous la redire : les gens ne veulent pas du Sénat, les gens ne veulent pas de la révision de l’article 37, les gens ne veulent pas de la vie chère, les gens ne veulent pas de la corruption, les gens ne veulent pas de l’accaparement de l’économie par un clan familial, les gens ne veulent pas aller mourir dans les hôpitaux où ils sont censés être soignés, les gens ne veulent pas que leurs enfants étudient sous des paillotes, etc. La liste est longue. Et sur tous ces fronts, on n’a pas encore eu la moindre réponse ; nous ne pouvons que continuer, en tout cas si les Burkinabè le souhaitent. Et apparemment ils le souhaitent.
Mais concernant l’article 37, nulle part le chef de l’Etat n’a dit qu’il veut modifier, alors que c’est lui le premier concerné…
Mais nulle part il n’a pas dit qu’il ne voulait pas réviser l’article 37. Il n’a pas dit qu’il voulait le réviser, mais il n’a pas non plus dit qu’il ne voulait pas le réviser. En politique, une telle attitude est suspecte !
Mais pourquoi devancer l’iguane dans l’eau ?
C’est vous-mêmes, les journalistes, qui nous reprochez à nous, opposants burkinabè, de nous comporter souvent comme des médecins après la mort, c’est-à-dire de ne pas savoir anticiper ! Donc souffrez que, pour une fois au moins, on ait le sens de l’anticipation ! Et félicitez-nous !
Nous sommes convaincus que la mise en place de Sénat vise en fait à donner un instrument supplémentaire au pouvoir pour faire la modification de l’article 37. Si c’est faux, que le pouvoir dise publiquement que l’article 37 ne sera pas révisé. Nous sommes à quelque 24 mois de l’élection présidentielle. Quel problème y a-t-il à le dire maintenant ? Surtout que dans le même temps, on entend des organisations proches du pouvoir qui passent dans les antennes des radios et des télés, appelant à la modification de l’article 37. On entend même des hauts responsables, y compris Assimi Koanda du CDP, expliquer que ce n’est pas exclu. Donc toute cette gesticulation montre bien qu’il y a une intention malsaine quelque part. Si l’intention n’est pas malsaine, que le pouvoir dise clairement qu’on ne touchera pas à l’article 37. Ainsi tous les Burkinabè seraient rassurés et le débat clos !
N’empêche que le principal concerné ne s’est toujours pas prononcé…
Je me répète : c’est justement ce silence qui est suspect ! S’il n’était pas d’accord, il aurait levé le doigt et mis de l’ordre au sein de ses partisans qui demandent la révision. On a vu ça avec d’autres présidents dans d’autres pays, qui ont dit : «Je demande à tous ceux qui prétendent parler en mon nom et qui demandent la révision de la Constitution de se taire, car je n’ai rien demandé». Mais ici, tel n’est pas le cas. Et quand des gens qui sont très proches de lui, comme le secrétaire général exécutif du CDP, en viennent à ce genre d’argumentation, en plus de ce qu’on entend des différents groupes qui leur sont favorables, il est clair qu’il y a une orchestration qui est en train de se mettre en œuvre. Et pour une fois au moins, vous ne direz pas que l’opposition a attendu la dernière minute pour se lever.
Le 29 juin dernier, on a entendu la foule scander "Zéphirin président". Qu’est-ce que ça fait…
Non, non, non. Je vous arrête tout de suite : cette marche a été organisée par toute l’opposition, en réponse à la demande populaire. Elle a regroupé des Burkinabè de tous les horizons. Elle avait pour objectif de lutter contre la mise en application du Sénat et la politique du gouvernement, pas pour ambition de propulser tel ou tel à tel ou tel niveau. Moi, je n’entends pas et je n’écoute pas ce genre de slogans. Je suis aux avant-postes du combat, parce que actuellement, c’est moi le chef de file de l’opposition. Avec mes différents camarades et mes collègues leaders de partis politiques d’opposition, je fais de mon mieux pour que l’opposition ait plus de visibilité, plus d’action, qu’elle montre bien s’oppose fermement à l’action du gouvernement. Si demain, par leur vote, les Burkinabè décident que le président de l’UPC ne mérite plus d’être leur Chef de file de l’opposition, eh bien je m’écarte, et je cède la place ! Pour le reste, je suis membre d’un parti, l’UPC, et c’est là d’abord que se mènera, pour ce qui me concerne, tout débat relatif à telle ou telle candidature.
Justement, il y avait le 29 juin à vos côtés des leaders de l’opposition comme Me Sankara, Ablassé Ouédraogo, Arba Diallo, Saran Sérémé, pour ne citer que ceux-là. Aujourd’hui, un combat commun vous unit. Mais est-ce que cette union sacrée demeurera dans l’avenir ?
Ça, c’est notre responsabilité commune, et on n’est pas les premiers à être face à une telle situation. Au Sénégal, il y a eu union sacrée entre le néo-libéral Macky Sall, le libéral Idrissa Seck, le socialiste Tanor Dieng, le social-démocrate Moustapha Niass, des groupes communistes, en plus de la société civile. C’était une coalition plurielle, mais ça n’a pas empêché que l’alternance se passe, et, que je sache, le Sénégal n’est pas dans le désordre !
Je dois ajouter que pour ce qui est de notre opposition, un des 5 chantiers que j’ai proposés aux responsables des partis politiques porte sur la rédaction d’un programme minimal. Au sein de l’opposition, il y a des libéraux, des socialistes, des socio-démocrates, des Sankaristes, des centristes, des communistes, etc. Nous sommes en train de nous battre pour l’alternance. En prenant nos différents projets de société, même si ces projets ne se ressemblent pas, on doit pouvoir trouver des points communs qui, eux, peuvent constituer une plateforme minimale. Philippe Ouédraogo du PDS/Metba et Fidèle Kientéga de l’UNIR/PS ont la charge de faire en sorte que les groupes de travail se mettent rapidement en place pour rédiger ce programme minimal que nous vous présenterons le moment venu.
On a toujours dit qu’au Burkina ce n’est pas le parti majoritaire, en l’occurrence le CDP, qui est fort, mais que c’est l’opposition qui est faible. Au regard de la mobilisation du 29 juin, est-ce que vous pensez qu’il y a un fléchissement de cette perception-là ?
• Cette perception ne correspond pas vraiment à la réalité. La force réelle d’un parti au pouvoir, c’est difficile à évaluer. Quand on est au pouvoir, ce n’est pas sûr que les suffrages que l’on vous attribue représentent le poids réel dans l’opinion, parce que beaucoup de facteurs bizarres entrent en jeu : la pression de l’administration, la fraude, l’argent, l’opportunisme des chercheurs de postes, la chefferie coutumière, les diverses manipulations, etc. A l'inverse, la force d’une opposition peut être en réalité supérieure au score qu’on lui attribue officiellement. Sans vouloir négliger qui que ce soit, reconnaissez que devenir un député de l’opposition demande plus de mérites et de combativité que de devenir un député d’un parti au pouvoir (rires). En plus, aussi bien ici qu’ailleurs, il comprendra que nous vivons une crise de la représentation. Les partis politiques n’ont pas le monopole de l’adhésion de l’opinion ; ils sont même de plus en plus confrontés à la méfiance de l’opinion, majorité comme opposition. Tout cela doit nous amener tous à être beaucoup plus modestes et dire simplement, que ce qui s’est passé le 29 juin dernier n’est ni la faiblesse de l’un ni la force de l’autre, mais c’est d’abord et avant tout la force du peuple burkinabè.
Est-ce qu’en tant que Chef de file de l’opposition vous seriez prêt à accepter une amorce de dialogue avec le pouvoir sur les sujets qui fâchent ?
En tant qu’opposition républicaine, nous ne pouvons pas d’emblée refuser un dialogue, surtout s’il peut permettre d’arracher des concessions en faveur de notre peuple. Mais tout dépend des conditions dans lesquelles un tel dialogue va se dérouler. Nous avons déjà posé les problèmes qui tiennent à cœur au peuple burkinabè. A-t-on besoin de se rencontrer pour donner satisfaction à notre peuple ? Si oui, pourquoi pas ! Le problème, c’est que du côté du pouvoir je ne sens pas le moindre indice de volonté de dialogue. Prenez, par exemple, la question du Sénat. Le Président du Faso avait dit lors de la clôture des travaux du CCRP (NDLR : c’était le 11 décembre 2011) que quand une question n’est pas consensuelle, il faut la mettre de côté et continuer à discuter mais ne pas appliquer. Mais vous êtes d’accord avec moi que s’il y a au moins une chose qui est sûre, c’est qu’au sein du peuple burkinabè la question du Sénat n’est pas du tout consensuelle. C’est une question qui divise ! Et depuis le 29 juin, la fracture est nette. On fait quoi ?
Mais le pouvoir dit avoir les textes avec lui, puisque ç'a maintenant été constitutionnalisé…
Il y a une grande différence entre légalité et légitimité. L’apartheid était constitutionnalisé en Afrique du Sud, mais qu’est-ce qu’on en a fait ? On l’a enlevé. Donc, il n’y a pas quelque chose d’inscrit dans une Constitution qu’on ne puisse enlever. La preuve : l’article 37 est constitutionnalisé, mais le pouvoir lui-même veut l’enlever !
Nous ne prétendons pas, nous, anti-Sénat, être majoritaires ; mais nous disons qu’on ne peut plus dire que sous prétexte que c’est une majorité à l’Assemblée qui l’a votée, tous les Burkinabè veulent du Sénat. Dès lors que c’est un sujet qui n’est pas consensuel, le pouvoir doit mettre la balle à terre, en référence à ce qu’a dit le Président du Faso et que j’ai relaté plus haut. Dans cette même logique, il devrait arrêter tout le processus. Or, le gouvernement fait comme si rien ne s’est passé le 29 et convoque même déjà le corps électoral pour le 28 juillet ! Comment voulez-vous qu’on dialogue dans ces conditions ? Et à quoi va mener un tel dialogue ? Cela dit, je ne veux pas donner l’impression que nous sommes une opposition fermée à tout dialogue, à tout débat politique. Quand l’offre sera faite, nous en parlerons entre nous, nous allons écouter le sentiment des Burkinabè et nous y apporterons la réponse.
Est-ce qu'avec le recul vous ne pensez pas qu'avoir été aux abonnés absents au CCRP et aux assises nationales fut une erreur, la politique de la chaise vide étant toujours inopérante ?
• Non au contraire. D'abord, même si elle était au CCRP, l'opposition ne pouvait pas empêcher la supercherie du pouvoir, pour la simple raison que ce dernier a renié les principes et les conclusions du CCRP une fois l'exercice terminé. Lors de la cérémonie de clôture, le Présidet du Faso lui même est venu dire, contre toute attente, que pour les points non consensuels, la discussion allait continuer. Sur le Sénat, les partis d'opposition membres du CFOP qui ont pris part au CCRP se disent déçus parce que la version qui a été arrétée n'est pas celle qui a été servie. Même l'ADF/RDA est sur cette position. C'est donc bien que l'opposition ait refusé en son temps de participer à ce forum sinon aujourd'hui, vous seriez en train de lui rappeller qu'elle était là-bas !
En dépit de cette bronca dont vous faites cas, le corps électoral est convoqué pour le 28 juillet prochain pour l’élection des sénateurs. Qu’est-ce que vous allez faire après, parce cahin-caha le Sénat se met en place ?
• Oui, mais cahin-caha les Burkinabè vont faire connaître leur désapprobation dans les formes qu’ils vont choisir et l’opposition ne peut que se rallier à la cause du peuple. Et je dois dire que c’est une très mauvaise idée que d’avoir convoqué le corps électoral, parce que les esprits sont très échauffés.
Je lance un appel, d’abord aux conseillers municipaux de l’opposition, en leur disant bien de se démarquer, de boycotter cette élection. Je sais qu’ils vont le faire, mais je dois insister parce qu’il y a des manœuvres qui sont notamment orchestrées dans les zones reculées où les gens ne sont pas bien informés. Des conseillers municipaux de l’opposition dans certains villages nous ont informés que des individus sont venus prendre leurs pièces d’identité, soi- disant qu’il y a des réunions auxquelles ils doivent prendre part dans les jours à venir. Nous sentons une manœuvre du pouvoir, qui consisterait à faire élire, à leur corps défendant, des conseillers municipaux pour ensuite pouvoir dire que l’opposition a participé au scrutin. Les différents partis de l’opposition réunis au sein du Chef de file de l’opposition ont pris une position très claire sur la question. Sur les 44 partis affiliés, il y en a 39 qui ont signé une déclaration de boycott du Sénat ; nous allons du reste la rendre publique bientôt.
Deuxièmement, je lance un appel aux autres conseillers municipaux, y compris ceux du CDP. Dans la vie, il y a parfois des situations dans lesquelles il faut éviter de rentrer. Il y a actuellement une grande crispation des opinions sur cette affaire. Ce n’est pas consensuel, et quand c’est comme ça, il faut réfléchir à deux fois avant de s’y engouffrer. Quand on est adulte, comme le disent nos parents, il y a une chose dont on doit avoir vraiment peur : c’est la honte.
Sénat, vie chère, article 37, cela assurément ne peut pas constituer un programme alternatif, convenons-en. Qu’est-ce que vous proposez concrètement après cela ?
• C’est une question qui interpelle fortement un chef de file de l’opposition, mais elle interpelle plus fortement les partis politiques de cette opposition.
Vous avez été témoins qu’il y a de cela quelques semaines, dans le cadre du CBC, j’ai, en ma qualité de président de l’UPC, installé 15 groupes thématiques dont le rôle est de finaliser le projet de société de notre parti. La réflexion à notre niveau est en cours. J’imagine que dans les autres partis de l’opposition, elle est aussi en cours. Comme nous sommes une opposition plurielle, le moment venu de l’alternance, nous serons amenés à gouverner sur un programme alternatif qui soit consensuel. C’est ça, l’idée du programme minimal dont je vous ai parlé plus haut. Ce programme empruntera à chacun de nos programmes respectifs.
Le président du groupe parlementaire CDP, Alain Yoda, a déclaré le 21 mai 2013, le jour du vote de la loi organique, que nulle part on a vu un Chef de file dont l'administration est prise en charge par le budget national...
• Je n’ai pas entendu ces propos mais je n’ai aucune raison de ne pas vous croire, puisque vous êtes un organe de presse très sérieux. Je ne veux pas polémiquer avec Alain Yoda, qui est un aîné et qui, de plus, est de la même région du pays que moi. Mais je suis obligé de faire remarquer un certain nombre de choses : primo, quand on parle du caractère budgétivore du Sénat, on parle de milliards ; la dotation du CFOP se chiffre à des dizaines de millions, consacrés à payer des salariés, le loyer, l’électricité, le téléphone, etc. Rien n’est prévu dans cette dotation pour financer les activités de l’opposition et, je dois le dire, c’est de bonne guerre ; secundo, la loi instituant le chef de file de l’opposition a été votée par la majorité, non par amour de l’opposition, mais pour se donner une bonne image auprès de ses partenaires internationaux, au sortir de la crise Norbert Zongo ; elle peut l’abroger à tout moment si elle le souhaite, et ce n’est sûrement pas mon parti l’UPC qui s’en plaindra. L’UPC n’a pas attendu que son président soit CFOP pour devenir la deuxième force politique du Burkina ; tertio, je ne demande à personne de m’aimer, mais je demande à mes adversaires de reconnaître au mois, que je peux réussir ma vie professionnelle en dehors des nominations au sein de l’appareil d’Etat burkinabè ; je l’ai déjà prouvé !
Cela dit, ses propos doivent interpeller les opposants que nous sommes. L’opposition doit s’organiser en dehors du cadre du CFOP et, surtout, exister et fonctionner avec ses propres ressources, et laisser le pouvoir faire ce qu’il veut avec son institution. Je serai le premier à applaudir une telle démarche car, pour ne rien vous cacher, je commence à vivre mal les contraintes protocolaires qui vont avec cette responsabilité de CFOP.
Un autre leader politique, Etienne Traoré pour ne pas le nommer, avait affirmé en substance sur une radio FM qu’il vous soupçonne d’être stipendié …
• Je n’ai pas entendu ces propos non plus, mais je vous crois. Et je ne veux pas polémiquer avec Etienne Traoré, qui est un aîné et milite au sein de l’opposition. Si je voulais être stipendié par Blaise Compaoré, je serais resté au CDP, et j’aurais fait ce que fait tout le monde pour gravir les échelons. Croyez-moi, c’est plus facile ainsi. Et le pouvoir lui-même sait que l’UPC n’a pas besoin de son soutien pour financer une campagne électorale dans ce pays.
Il vous reproche de ne pas critiquer plus ou moins le chef de l’Etat…
• Quand nous marchons contre le Sénat et la politique du gouvernement, quand nous parlons de corruption, nous critiquons qui ? Mais le rôle d’un opposant n’est pas d’injurier la personne chef de l’Etat, je suis désolé… C'est de s’opposer à sa politique et à ses décisions, et de les dénoncer !
J’en profite pour dire qu’il y a une certaine conception de l’opposition qui risque de nous faire échouer et empêcher l’alternance. Nous ne pouvons pas être des opposants sérieux si la base de notre engagement, ce sont les querelles que nous avons eues avec Untel du temps du mouvement étudiant, du temps du CNR, du temps du Front Populaire, etc. et si tout ce qui nous motive, ce sont des sentiments de vengeance ou de revanche personnelle. En tant que CFOP (du moins jusqu’aux prochaines législatives), je souhaite incarner une opposition qui brille par la qualité de son programme alternatif, et non par la virulence de ses propos contre des individus, fussent-ils des adversaires politiques.
Le parti au pouvoir, CDP, a décidé d’organiser une marche ce samedi pour la paix. Votre sentiment ?
• Nous sommes en démocratie, tout le monde peut manifester. Mais est-ce vraiment opportun, une semaine tout juste après la marche de l’opposition ?
Que je sache, la paix n’est pas menacée au Burkina ! Et si elle l’est, ce n’est pas par la faute de l’opposition, mais à cause de la politique du gouvernement. Même s’il dit le contraire, tout le monde voit que le CDP veut donner la réplique à l’opposition. J’imagine qu’ils se sont fait gronder par leur patron au vu du succès de la marche du 29 juin ! Je lance un appel au peuple burkinabè à se démarquer de cette opération politicienne et à réserver ses forces pour les futures marches de l’opposition.
Le Collectif contre la vie chère appelle les Burkinabè à marcher le 20 juillet. L’opposition sera-t-elle de la partie ?
Je n'ai pas encore vu d'invitation formelle, mais je vous dis tout de suite que nous encourageons fortement nos militants, nos sympathisants et tous les Burkinabè à soutenir la lutte de ce collectif. La question de la vie chère fait partie de nos revendications et intéresse tous les Burkinabè. Pour nous, si une revendication va dans le sens de l’amélioration du sort des Burkinabè, il faut la soutenir. J’en profite pour lancer un appel aux syndicats et aux organisations de la société civile à la constitution d’un large front de lutte autour de nos revendications communes. Oublions nos différences et même nos divergences. Ce qui est en cause, c’est l’avenir de notre pays. Je ne leur demande ni d’aimer l’opposition ni de militer, ni de voter pour nos partis. Je leur demande de venir pour qu’on se mette ensemble pour peser plus fortement sur le gouvernement et l’obliger à satisfaire nos revendications. Après, chacun repartira chez lui.