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Le Pays N° 5393 du 4/7/2013

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Barreau Burkinabè : « Le Palais de Justice est devenu un véritable Rood Woko »
Publié le jeudi 4 juillet 2013   |  Le Pays


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Le palais de justice du Burkina


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Ceci est une déclaration du bâtonnier de l’Ordre des avocats du Burkina sur le fonctionnement de la Justice et de la démocratie au pays des Hommes intègres. Le Barreau y fait un véritable réquisitoire contre la Justice où, dit-il, la corruption semble la chose la mieux partagée. Lisez !

« Notre pays est un Etat de droit. L’Etat de droit suppose l’existence de règles communément acceptées par
tous les citoyens.

Chaque citoyen, chaque Burkinabè, toute personne vivant au Burkina se doit de respecter les règles dont l’existence et l’application fondent la vie en société, pacifient les rapports humains.

Malheureusement, depuis quelque temps, un phénomène inquiétant de haine et de justice expéditive a pris droit de cité.
La justice de la rue, la justice expéditive et aveugle, le lynchage de supposés ou avérés délinquants, leur mise à mort est la négation suprême de l’Etat de droit.
Aucune défaillance des services publics, aucune explication ne peut permettre ce retour à la barbarie dans notre pays.
Le Barreau du Burkina s’inquiète de cette situation de non-droit, inacceptable et contraire à tous les principes qu’exigent l’Etat de droit, la démocratie et la Justice.
L’état actuel de notre Justice est à déplorer à bien des égards, et l’Ordre des avocats assume entièrement sa part de responsabilité.
Nous travaillons avec tous les autres acteurs à crédibiliser notre Justice, à la rendre plus performante, plus accessible, plus rapide, plus indépendante et à y bannir la corruption.

Mais cet état critiquable de notre Justice ne justifie pas les assassinats publics, les destructions de véhicules, les pillages.
Quelles qu’en soient les causes, les raisons humaines ou mécaniques, les accidents font partie de notre société (accident de la circulation, accident de train, d’avion, accident domestique dû au gaz, noyade, etc.).
Le Barreau appelle tous les acteurs sociaux, politiques, les hommes de médias, les leaders d’opinion, la société civile, les hommes de religion, à jouer leur partition car une telle situation est source d’insécurité pour tous.
Le Barreau se veut une sentinelle de la démocratie et se tient aux côtés de toutes les victimes pour les assister et défendre leur cause devant toutes les juridictions et devant toutes les administrations.

Mais, en se faisant justice elle-même, la victime devient de fait susceptible de tomber sous le coup de la loi pénale.
C’est pourquoi le Barreau en appelle à la paix sociale, à un comportement citoyen de toutes et de tous et de s’en remettre à la Justice pour le règlement de tout différend.
La Justice, mère de toutes les sécurités des citoyens, des faibles et des forts, des nantis et des démunis, des pauvres et des riches, doit être irréprochable et au dessus de tout soupçon.

Or, aujourd’hui, notre système judiciaire est l’objet lui-même d’une défiance due à des comportements inacceptables et à des cas de corruption devant lesquels le silence ou la justification devient coupable.
Outre les situations de corruption directe entre des justiciables et des magistrats, la corruption en milieu de justice est, à certains moments, au départ une chaîne triangulaire client-avocat-magistrat dont le maillon le plus faible est l’avocat, surtout quand il devient porteur de valise.

L’intervention de l’avocat dans la chaîne étant réducteur du gain du « décisionnel », le juge, celui-ci a tôt fait de créer une relation directe entre lui et le client.
Les "Sociétés civiles avocats magistrats" (SCAM) ont été dénoncées lors des états généraux du Barreau à Bobo-Dioulasso du 1er au 4 novembre 2012.
Cette pratique malhonnête prive les avocats loyaux et honnêtes d’un marché important.
L’indépendance du magistrat est antinomique avec toute idée de corruption.
Or, celle-ci est mise à mal par les dernières affaires dont la presse s’est fait l’écho et qui ne sont que la partie visible de l’iceberg.
Aussi, le Barreau se félicite, fort heureusement, de l’exécution par l’Etat de la décision dite des « 23 kilos d’or », ce qui permet de recadrer sereinement le débat.
Tout autre attitude aurait conforté la voie de l’incivisme et de l’illégalité.
Le Barreau souhaite que cette volonté de l’Exécutif de respecter l’autorité de chose jugée soit effective et constante quelles que soient les décisions juridictionnelles qui ont été rendues.

La question fondamentale n’est pas simplement l’indépendance du juge qui ne reflète nullement le sacerdoce de la fonction juridictionnelle.
L’avocat aussi est indépendant et c’est son statut légal qui lui impose cette indépendance ; mais l’avocat est partial dans la défense de son client, dans les prises de position pour le compte de son client.
C’est pourquoi la question fondamentale, éthique, déontologique et morale du juge n’est pas son indépendance mais son IMPARTIALITE.
L’impartialité du juge ne peut être atteinte que par le moyen qu’est l’indépendance.
L’une des grandes magistrats émérites, Simone Rozes, Première présidente de la Cour de cassation en France, indiquait avec une intelligence avérée ceci :
« Etre magistrat, c’est en effet impérativement avoir le sens de l’objectivité, savoir se prémunir de l’influence de son milieu, de sa culture, de ses préjugés et de ses conceptions religieuses, éthiques ou philosophiques, comme de ses opinions politiques. L’impartialité, c’est l’âme du juge. Etre magistrat, c’est aussi éviter de céder aux sollicitations de l’opinion publique ou corporatiste, et préférer une vérité parfois impopulaire, embarrassante ou incommode, aux facilités de la démagogie. L’impartialité c’est le courage du juge ».

C’est pourquoi le juge qui fait preuve de parti pris ou de préjugé peut faire l’objet d’une demande de récusation de la part du justiciable qui doute de son impartialité.
La question fondamentale aujourd’hui est le discrédit de notre système judiciaire, sa défaillance qui en fait un sujet d’inquiétude des partenaires techniques et financiers, des hommes d’affaires, des structures et des justiciables.
L’intime conviction du juge ne saurait se fonder sur l’argent reçu d’une des parties au procès.

L’intime conviction du juge ne saurait se fonder en dehors de la règle de droit, des faits matériels et des débats contradictoires.
Le Palais de Justice est devenu un véritable « Rood Woko » (aux dires de nombreux magistrats honnêtes) où se monnayent et se marchandent certaines affaires judiciaires, civiles, pénales, commerciales dans une transaction liberticide !
Faire l’économie de ce débat revient à donner force à la rue, à l’incivisme, à la justice privée, au "hooliganisme judiciaire".
Le Barreau interpelle tous les acteurs de la Justice pour un combat sans merci contre la corruption qui est la négation de la règle de droit.
Cette corruption s’est développée au fil des ans face à l’impunité et l’absence de sanction, face à la partialité parfois complaisante et coupable de la hiérarchie judiciaire.

Dès lors que des faits graves sont établis, il convient en toute impartialité d’enquêter et de saisir l’instance disciplinaire et sanctionner s’il y a lieu.
C’est le régime démocratique, l’Etat de droit qui met tout le monde sous le couperet de la Justice, y compris le juge avec toutes les protections légales afin qu’il ne soit pas victime de l’abus du pouvoir politique.
Le Burkina a mal énormément à sa Justice, le constat est récurrent.
Le Barreau soutient sans faille toute volonté politique en vue d’éradiquer cette gangrène qui détruit inexorablement notre noble métier.
Si les décisions sont arrangées à l’avance, si certains juges fondent leur décision sur des considérations financières directes avec le justiciable, quel est le rôle de l’avocat ? Aucun.

Si connaître le juge est plus probant que connaître le droit, la profession d’avocat a un horizon et un avenir limités.
C’est pourquoi lors des états généraux du Barreau en novembre 2012, les avocats ont condamné la corruption et affirmé son inacceptabilité en milieu judiciaire.
Au Bénin voisin, une quarantaine de magistrats, tous grades confondus, ont été radiés ; la magistrature, les juges honnêtes, consciencieux s’en sont mieux portés.
Nul aujourd’hui ne peut faire l’économie de la réflexion et de l’action sur la défiance nationale à l’égard de l’institution judiciaire.
Le risque est grand : le juge est la mère des sûretés. Dès lors que sa décision est marquée du sceau de la suspicion et de la complaisance, il ne rend plus sa décision au nom du peuple souverain.
L’édifice démocratique à ce moment s’écroule.
Tel est l’enjeu du débat qui dépasse tout réflexe corporatiste, qui dépasse tous les acteurs de la Justice pour s’inscrire comme un problème fondamental à résoudre urgemment. »

Le Bâtonnier de l’Ordre des Avocats,
Président du Conseil de l’Ordre

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