Depuis quelques semaines, le débat sur la mise en place du Sénat a pris de l’ampleur dans divers milieux sociopolitiques de notre pays. Et disons-le tout de suite, ce n’est pas un mal en soi. En effet, ceux-là qui, régulièrement, ont refusé les débats contradictoires autour des réformes, reviennent à reculons pour clamer leur opposition au Sénat en présentant enfin leurs arguments contre la mise en place de cette nouvelle institution. Mais en analysant objectivement ces supposés arguments développés par les « anti-Sénat » et la forme des discussions actuelles, l’on peut conclure sans trop de risques de se tromper que ce n’est nullement la pertinence de cette nouvelle institution ni son coût qui préoccupent nos contradicteurs. En réalité, il s’agit pour ces derniers, mis à mal au sein de l’opinion, de profiter de cette situation pour redorer leur blason en s’agrippant à cette « opportunité » ; ce qui se comprend parfaitement.
On constate que pour combattre cette nouvelle institution, tout y passe : de son inutilité à son coût élevé ; on affirme qu’elle est même anticonstitutionnelle en mettant en garde la classe politique contre les dérives législatives. Sur ce dernier point , comment peut-on comprendre que des députés désertent l’Assemblée nationale, « leur maison », pour ensuite aller dénoncer dans les journaux ces prétendues dérives législatives, laissant leurs adversaires organiser et diriger seuls le débat intra-parlementaire ? Manifestement, ils ont horreur des grandes discussions face à face au sein du parlement alors qu’ils ont été élus pour nous y représenter.
En attendant d’examiner les arguments anti-Sénat, L’Autre Burkina /PSR rappelle qu’avec d’autres partis en 2008, ils ont été les premiers initiateurs des réformes politiques et qu’à l’époque, ils ont salué la position officielle du chef de l’Etat, invitant notre peuple à des réformes. Ce fut alors le début du processus formel. Du reste, concernant le Sénat, c’est une proposition présentée par des partis de la refondation nationale au CCRP. Alors, en tant que parti membre de la refondation nationale, L’Autre Burkina/PSR assumera toutes ses responsabilités sur cette question.
I - La question de l’utilité de la nouvelle institution renvoie en fait à celle des réformes politiques en général. En effet, la division de l’opposition sur la création d’un Sénat est la suite logique de la grande discorde autour des réformes politiques depuis 2008. Du reste, cette proposition et tant d’autres, même issues des plates-formes de certains partis de la refondation nationale, ont aussi divisé ces partis avant la tenue des sessions du CCRP, mais nous avons pu avancer vers le consensus. Pour le reste, les raisons qui ont motivé les auteurs de la proposition sont de plusieurs ordres.
L’Assemblée nationale, surtout dans sa composition d’alors, était monolithique, voire monocolore, ce qui pose par ricochet le problème de l’équilibre des institutions et leur indépendance dans un contexte où, de plus en plus, presque partout en Afrique, les processus de démocratisation sont en crise, attaqués à l’intérieur des Etats par la dénaturation du mandat populaire en raison de la substitution de la volonté des gouvernants à celle des gouvernés.
C’est pourquoi sur cet aspect, nous avions axé essentiellement nos propositions sur deux points, à savoir le pouvoir des régions et la création d’un Sénat. Concernant le premier point, il s’agit de redoubler de vigilance dans la lutte pour une démocratie conformée à nos réalités et qui permette de renforcer les fondements de la démocratie moderne. Par ailleurs, il faut gagner plus d’espace pour l’indépendance de la Justice et pour une séparation propice des pouvoirs qui renforcent la soumission de l’Etat au contrôle des citoyens.
Ainsi, de la nouvelle gouvernance démocratique, il faudra en faire bénéficier les régions en obtenant une décentralisation plus évidente de la démocratie. De ce point de vue, il faudra obtenir l’élection au suffrage universel de la région des instances régionales : Conseil régional, président du Conseil régional. Le dialogue régional doit être institutionnalisé de même que le référendum d’initiative populaire, le droit de révocation des mandats dans le cadre régional ou municipal ; cela éviterait de recourir sans cesse à des actes de violence pour contester une décision ou obtenir le départ d’un élu.
Quant au Sénat, de par sa composition et ses fonctions, il sera à la fois complémentaire de l’Assemblée nationale et un contre-pouvoir du pouvoir des partis qu’incarne notre Assemblée. La fonction de représentation du Sénat améliore la représentation du peuple dans les grandes instances populaires du pays. Ainsi, les collectivités territoriales locales, les personnalités telles que les leaders d’opinion, les intellectuels, apportent leur savoir-faire dans le débat démocratique, un plus à l’action des représentants des partis politiques. Ceci est très important chez nous en particulier où les candidatures indépendantes ont été rejetées par les partis politiques. L’autre fonction tout aussi essentielle, c’est l’amélioration de la qualité de la production législative en s’appuyant sur la qualité des sénateurs et leur statut dans la lecture des textes proposés au parlement. Au terme de notre argumentaire, il faut souligner le lien très fort entre la gouvernance locale et le Sénat car, selon les dispositions de notre Constitution, c’est au Sénat que revient le dernier mot sur les lois qui concernent la décentralisation et les collectivités locales. En dernière analyse, si le débat porte sur le contenu du Sénat afin qu’il serve au renforcement des mécanismes de notre démocratie, nous nous en félicitons ; mais s’accrocher à un débat d’arrière-garde sur l’existence même d’une institution déjà consacrée par notre Constitution n’est pas génial.
Dans ce sens, pour notre part, nous sommes d’avis que la procédure proposée pour l’élection des sénateurs peut être améliorée. A défaut d’élire ces derniers au suffrage universel direct, la participation de tous les citoyens comme candidats aurait été la meilleure formule ; ce qui permettrait au Sénat de s’enraciner en s’appuyant sur une base sociale large et diversifiée. Et l’instauration de candidatures uninominales en lieu et place des listes bloquées aurait pu améliorer la qualité de la représentation.
Dans les conditions actuelles, il est clair que l’opposition politique, au regard de la situation des conseils régionaux, sera très faiblement représentée. Pour autant, il n’est pas juste d’affirmer que la mise en place du Sénat est inopportune et inutile.
2 - Le cout élevé de la mise en place aura été l’un des premiers arguments anti-Sénat des forces coalisées se réclamant les unes de l’opposition et les autres de la société civile. Et dépit des éléments d’informations fournis par le gouvernement, elles persistent et signent. On est tenté de se demander sur quels éléments se fondent ces forces. Puis, leur chiffre tombe indiquant 6 milliards de F CFA par an. Et pourtant la réalité est exactement moitié moins, à savoir 3 milliards de F CFA inscrits au budget de l’Etat. Pour notre part, nous sommes intéressés de savoir quelle institution n’a pas de coût. Et même si comparaison n’est pas raison, notre Assemblée nationale, où siègent les représentants du noyau dur anti-Sénat, a bien aussi un coût ; et quel coût ! Elle coûte trois fois plus que le Sénat et il n’y a eu aucune opposition à sa mise en place. Soulignons que dans ce contexte, alors que l’opinion publique avait élevé une vigoureuse protestation contre l’augmentation du nombre des députés, silence dans les rangs de l’opposition parlementaire ! Nos contradicteurs devraient se rappeler l’appréciation malencontreuse d’un observateur de la vie politique nationale qui qualifiait notre Assemblée de « machin » à une époque où beaucoup de citoyens se demandaient à quoi sert un député. Que l’on ne se voile pas la face : toutes les institutions ont un coût et ce sera toujours ainsi. L’essentiel est que chaque institution soit un véritable outil de la construction de la démocratie.
3 - Du vide juridique aux dérives législatives
Pour entretenir le débat, deux autres arguments qui, en dernière analyse, se recoupent, ont été présentés par des responsables politiques. L’argumentation de l’un indique que du fait de la non-mise en place du Sénat, « ..l’Assemblée nationale fonctionne en toute illégalité. .. » et il poursuit : « Le pire, c’est la situation à laquelle le pays doit faire face en cas de démission brusque, car aucun remplacement constitutionnel n’est possible ». Ainsi, « le Burkina Faso est assis sur deux chaises... », conclut ce responsable politique ! Voilà qui est bien dit. Ici, nous voulons prendre les honnêtes gens à témoin. Comment comprendre que celui-là même qui, avec d’autres, mène depuis quelques semaines une bataille pour empêcher par tous les moyens la mise en place du Sénat, souligne les dangers de la non-mise en place de cette institution ? Assurément, lui aussi est assis sur deux chaises et ça ressemble fort à de l’auto- flagellation. Quant à la mise en garde contre les dérives législatives, elle s’inscrit dans la même veine.
Comment comprendre la logique du combat politique de l’opposition démocratique ?
Au regard de tout ce qui précède, le débat sur le Sénat n’est pas inutile, bien au contraire ; car il pourrait faire du Sénat l’une des institutions les plus connues, et sur un plan plus large, consolider l’espace démocratique.
A notre avis, deux raisons expliquent l’acharnement de l’opposition parlementaire contre le Sénat :
D’abord, la forte probabilité que sa représentation soit très marginale quand on connaît la réalité du collège électoral à l’échelle des conseils régionaux ;
Ensuite, c’est aussi le fait que le Sénat apparaît à leurs yeux comme un point d’agitation politique inespérée contre le régime ; c’est de bonne guerre, mais c’est trop tiré par les cheveux. Et très rapidement, ils incorporent d’autres points comme la vie chère dans l’espoir de séduire les syndicats et de les rallier à leur mot d’ordre.
Aujourd’hui, le chef de file propose une nouvelle méthode de travail plus communicative, ce qui peut améliorer les relations entre partis de l’opposition. Nous nous en félicitons car ce sont des frémissements positifs. Toutefois, il y a des questionnements incontournables qui renvoient à l’histoire de notre opposition et à celle du mouvement démocratique national dans son ensemble.
L’histoire peut bégayer mais les faits sont têtus, et qui s’y frotte s’y pique. En effet, est-il possible de dépasser les rancunes réelles qui existent entre les principaux courants historiques de l’opposition politique ? Malheureusement, force est de constater que ces courants ont constamment fait la preuve qu’ils sont loin d’être des amis. Alors, bonjour l’impossible unité qui se manifeste surtout pendant les élections au moment de la constitution des listes. A cela s’ajoute le fait que, s’accrochant à des dogmes de pensée, certains de ceux-là qui collent systématiquement leurs politiques à l’évolution des grandes contradictions de notre époque, refusent d’accorder une quelconque confiance aux autres, même dans les moments décisifs de la lutte de notre peuple.
Comme nous l’indiquions plus haut, les discussions actuelles sur le Sénat renvoient au débat sur la nécessité ou non des réformes politiques depuis 2008. Le manifeste pour la refondation nationale venait d’être publié. Le subjectivisme lié à un déficit grave de confiance entre les acteurs politiques avait atteint un niveau jamais égalé. A l’époque, un responsable politique avait déclaré : « Nous allons mobiliser le peuple contre le CCRP ». La suite, on la connaît. Une partie de l’opposition a rejeté le CCRP tout comme les Assises, et des messages de mobilisation contre les réformes ont été diffusés partout. Elle venait ainsi de manquer une occasion de présenter et de proposer concrètement sa vision sur la question de l’approfondissement de la démocratie. Et du reste, si elle avait défendu une telle position au CCRP, il y avait de fortes chances que notre proposition de créer un Sénat ne figure pas sur la liste des points consensuels. Mais au contraire, deux logiques, deux visions s’opposent au sein des partis se réclamant de l’opposition : celle des refondateurs face à celle des tenants du mot d’ordre « Blaise dégage ». Mais quelle ne fut pas notre surprise quand, à l’occasion de la déclaration d’investiture du Premier ministre, le représentant du groupe parlementaire de l’opposition a salué la portée historique et démocratique de la réforme qui institue le vote lors de cette investiture, insistant en particulier sur la CENI. On sait en effet que seule la question des élections a souvent été la principale préoccupation du groupe, et pour cause… Electoralisme quand tu nous tiens !
Nous nous souvenons que cette fraction anti-réformes, composée d’environ 36 partis politiques, avait bénéficié de 15 places pour participer au CCRP alors qu’une seule place avait été proposée à notre groupe composé de 13 partis. C’était à l’époque où la direction d’alors du CDP et le groupe du chef de file de l’opposition échangeaient des amabilités ; l’objectif affiché était de nous éliminer du processus.
Aujourd’hui, dans leur combat contre le Sénat, ils sont rejoints par le courant libéral du RDA qui, pour des raisons évidentes, s’attaque à ce qu’il a contribué à construire par sa participation aux travaux sur les réformes et son vote à l’Assemblée. Voilà l’une des manifestations les plus achevées du situationnisme qui, après des moments d’hésitation et des louvoiements, fait un pas en avant, deux pas en arrière. C’est cracher dans le puits dont on a bu l’eau le matin. A ceux qui parlent de légitimité non achevée du Sénat, nous conseillons un peu de respect envers tout ce monde (hommes politiques, militaires, syndicats,
chefferie coutumière, communautés religieuses, associations) qui a pris part aux travaux. Autrement, on est en droit de se demander si à leurs yeux tout ce monde n’est qu’un regroupement de citoyens politiquement tarés.
Pour le reste, nous constatons que le chef de file appelle à des manifestations contre le Sénat. Heureusement qu’il y a une Constitution ! Mais nous voulons signifier aussi que le refus d’une fraction du peuple d’une décision à caractère national n’oblige en rien les autres fractions sociales de notre peuple à se soumettre. L’exemple de la loi sur « le mariage pour tous » en France, en est une parfaite illustration, même dans les démocraties les mieux avancées. Alors, nous sommes favorables à la mise en place rapide du Sénat. Ainsi va notre pays. Alors, chacun à ses marques, dans le respect de la différence des opinions. C’est dans cet esprit que l’on peut comprendre pourquoi notre opposition est dirigée aujourd’hui par des purs produits du système ODP /CDP, sortis tout droit et très fraîchement des flancs du CDP. Et tous ceux qui parlent de changement doivent se poser des questions. Pour notre part, nous affirmons que ce changement ne viendra pas des nouveaux politiciens, opposants conjoncturels, formés à l’école du grand capital et des riches. Il ne viendra pas non plus de ceux-là qui, depuis toujours animés par un esprit revanchard, ont érigé le sectarisme comme stratégie de combat.
Les dernières élections ont consacré la percée de nouvelles forces politiques. C’est un fait indéniable, mais c’est aussi un fait tout aussi indéniable que ces forces ont obtenu cette victoire parce que pour l’essentiel, elles ont utilisé les mêmes armes que celle qu’elles dénoncent. Ce fut aussi la « victoire des feuilles », loin des programmes politiques.
Concernant la société civile, nous n’avons pas l’habitude de porter un jugement sur ses prises de position. Aujourd’hui, autour de la question en débat, nous osons espérer que la maturité d’analyse prendra le pas sur l’indignation, certes légitime mais source de dérives de tout genre.
Notre conviction, c’est qu’il a fallu être audacieux pour entreprendre des réformes, et maintenant il faut être réaliste pour les réussir. C’est pourquoi nous réaffirmons qu’il est certes utile de s’appuyer sur les faiblesses de l’adversaire, mais il faut aussi oser avancer des propositions concrètes et les porter au jugement du peuple.