Le dimanche 24 avril 2016 fut un jour de meetings en République démocratique du Congo (RDC). En effet, le pays fêtait le 16e anniversaire de l’avènement du multipartisme. On sait en effet que c’est le 24 avril 1990 que le Maréchal Mobutu, alors chef de l’Etat, a officiellement décrété le multipartisme, mettant fin, à son corps défendant, au règne sans partage du parti unique qui a duré des décennies. Cette année, chaque camp politique y est allé de sa cérémonie. A Kinshasa, l’opposition politique et la majorité présidentielle ont commémoré, chacun, cet événement historique. Pourtant, rien n’était gagné d’avance pour l’opposition en ce sens que le pouvoir voulait qu’il tienne son rassemblement dans un endroit clos. Ce que celle-ci a balayé du revers de la main. On pouvait dès lors craindre un bras de fer, mais il y a eu visiblement plus de peur que de mal, car l’opposition a bel et bien tenu son meeting à l’endroit où bon lui semblait et il n’y a pas eu de heurts avec la sécurité.
Kabila a montré qu’il n’a rien à cirer avec la démocratie
Cependant, il s’est passé tout autre chose au Sud du pays, à Lubumbashi. Dans ce fief de l’opposant et candidat déclaré à la prochaine présidentielle, Moïse Katumbi, le rassemblement de l’opposition a été l’objet d’une répression policière. Les policiers sont accusés d’avoir, en plus de gaz lacrymogènes, fait usage de balles réelles sur les manifestants. En attendant que des enquêtes puissent situer l’ampleur des violences et sans doute les responsabilités, on ne peut que déplorer cette détérioration continue du climat sociopolitique en RDC. C’est triste qu’au jour anniversaire de cette date si symbolique pour le pays, le pouvoir de Kabila n’ait rien trouvé d’autre à faire que de réprimer une manifestation pacifique d’opposants. Ce fait est suffisamment révélateur des desseins lugubres de ceux qui gouvernent actuellement la RDC.
Désireux d’imposer leur troisième mandat présidentiel, les tenants du régime veulent par tous les moyens, réduire l’opposition au silence. C’est tout de même déplorable que Kabila en soit arrivé là. Lorsqu’il succédait à son père, nombreux sont ceux qui avaient placé leur espoir en ce jeune officier taiseux, en se disant qu’il allait améliorer la gouvernance de son pays. Que de déceptions ! Mais, pouvait-on vraiment attendre grand-chose de Kabila ? A y regarder de près, c’était illusoire de placer de tels espoirs en Kabila fils qui a hérité du pouvoir par les liens du sang. Du reste, on sait comment, pour avoir son 2e mandat, il a fait des pieds et des mains pour ramener la présidentielle à un tour unique, certainement pour ne pas prendre le risque d’être battu par l’opposition. Pour tout dire, Joseph Kabila a montré qu’il n’a rien à cirer avec la démocratie. Il se sera montré pire que Mobutu. L’ancien dictateur a, certes, sous la pression, eu le mérite d’avoir ouvert le Zaïre au multipartisme. Malgré les levées de boucliers répétées contre sa volonté de se maintenir au pouvoir, Joseph Kabila s’est, pour sa part, jusque-là enfermé dans un entêtement bovin. Usant de subterfuges, il n’a encore fait aucune concession majeure au profit de la démocratisation effective de son pays.
Son appel au dialogue n’est qu’une autre ruse pour s’éterniser au pouvoir. Le vieil opposant, Etienne Tchisékédi, lui, en décidant de rentrer au pays pour participer audit dialogue, semble être tombé dans le piège. On ne peut pas dire que son attitude rend service à la démocratie, le pouvoir pouvant l’instrumentaliser pour affaiblir la lutte de l’opposition. Tchisékédi a intérêt à ne pas se laisser avoir par Kabila. Même la communauté internationale qui a accepté l’idée de dialogue, serait bien inspirée de rester sur ses gardes. Kabila est en train de louvoyer, juste pour gagner du temps et parvenir à ses fins. En tout état de cause, le dialogue prôné est un jeu de dupes.
Conscient qu’il est à court d’arguments, Kabila tente d’utiliser l’argument de la force
Kabila veut, en effet, dialoguer le bâton en main. Pendant qu’il appelle au dialogue, il réprime. S’il se comporte ainsi, c’est parce qu’il sait que ce dialogue, en vérité, n’a pas sa raison d’être. La vérité est que Joseph Kabila va bientôt arriver au terme de son 2e et dernier mandat légal consécutif, et il doit partir. Point n’est besoin de dialoguer, sauf s’il y a anguille sous roche. Tout est prévu par les textes fondamentaux du pays et, pour peu qu’il soit démocrate, il se doit de respecter ces textes. Tout au plus, le dialogue aurait-il pu consister, pour les candidats à la prochaine présidentielle, à apporter d’éventuels ajustements au calendrier électoral en raison de contraintes objectives.
Conscient donc qu’il est à court d’arguments, l’actuel chef de l’Etat congolais tente désespérément d’utiliser l’argument de la force. Toutes ces répressions ont pour objectif ultime d’intimider l’opposition, de l’amener à se dire qu’accepter sa candidature serait le moindre mal. Il est vrai que Kabila peut se frotter les mains face aux réactions timorées de la communauté internationale. Seul le patron de la MONUSCO a vraiment osé hausser le ton à la suite de la répression musclée de l’opposition à Lubumbashi.
Il appartient plus que jamais au peuple congolais de prendre son destin en main. Il serait illusoire de compter sur l’Union africaine qui a très souvent brillé par son incapacité à faire respecter les règles de la démocratie dans ses Etats membres. Son médiateur, Edem Kodjo, serait bien inspiré, au regard de l’entêtement du régime Kabila à réprimer les populations, d’en tirer toutes les conséquences, pour ne pas cautionner ce marché de dupes. On sait que la communauté internationale, les Occidentaux notamment qui se disent chantres de la démocratie, ne se montreront fermes que s’ils sentent le rapport de force basculer en faveur des opposants. C’est dire que les opposants doivent se serrer les coudes et s’organiser davantage.
« Le Pays »