Depuis le mercredi 13 avril 2016, le personnel de la Garde de sécurité pénitentiaire (GSP) observe un mouvement d’humeur en vue de revendiquer du gouvernement la signature de deux décrets d’application portant statut particulier de leur corps. Pour cela, les éléments de la GSP, par le biais du Syndicat national des agents de la garde de sécurité pénitentiaire (SYNAGSP) créé en 2010, ont suspendu deux activités sur l’ensemble du territoire national. Il s’agit de l’arrêt de l’extraction des détenus dans les établissements pénitenciers vers les palais de justice pour les audiences et les auditions et de l’arrêt des déferrements des détenus des commissariats de police et de brigade de gendarmerie vers les maisons d’arrêts et de corrections. Pour en savoir plus, nous avons rencontré ce lundi 18 janvier 2016 à Ouagadougou, l’inspecteur GSP Siaka Bayoulou, secrétaire général du SYNAGSP. Dans cet entretien, il nous donne les grandes lignes de ce mouvement et les perspectives éventuelles.
Fasozine: Depuis la semaine dernière, vous avez enclenché un mouvement d’humeur. De quoi s’agit-il exactement ?
Siaka Bayoulou: Depuis la semaine dernière, nous avons suspendu un certain nombre d’activités au niveau de tous les établissements pénitenciers du pays suite à la non signature par le gouvernement de deux décrets à caractères financiers. Ces décrets doivent régir le traitement des personnels de la GSP. C’est juste une suspension de deux activités. il s’agit de l’arrêt des extractions des prisonniers des maisons d’arrêts en direction des palais de justice pour les audiences et les auditions et la suspension des déferrements des détenus des commissariats de police et de brigades de gendarmerie vers les maisons d’arrêts.
Le mouvement est-il suivi ?
Depuis le début du mouvement, nous pouvons dire qu’il est respecté et suivi sur l’ensemble des établissements pénitenciers du pays pour ce qui concerne les activités d’extraction et de déferrement. Comme taux, je dirai 100% compte tenu du domaine spécifique de nos missions. Concernant les autres activités, les uns et les autres continuent de vaquer à leurs activités mais pour ce qui concerne les deux activités, elles ne sont pas exécutées. Depuis le 13 avril donc, aucun établissement pénitencier n’a reçu des détenus des commissariats de police et de gendarmerie ni convoyé des détenus vers les palais de justice.
Quels sont les décrets concernés par la signature ?
Il s’agit du décret portant classement indiciaire du personnel de la GSP et de celui portant régime indemnitaire du personnel de la GSP. Ce qu’il faut ajouter est que ces décrets ont été adoptés en conseil des ministres le 23 décembre 2015. Mais à notre grande surprise, à l’heure où l’on vous parle, le nouveau gouvernement n’a pas voulu signer ces décrets. Et c’est ce qui a entrainé les frustrations du coté de nos collègues sur le terrain.
Avez-vous déposé un préavis avant de prendre la mesure de suspension des activités d’extraction et de déferrement?
Cela a commencé depuis le 13 avril. Il faut aussi relever qu’il n y a pas eu de préavis en ce sens que nous n’avons fait que suspendre deux activités au niveau de nos missions. Dans d’autres cadres, lorsqu’on parle de grève, c’est le minimum qui est assuré. Chez nous, vous verrez aujourd’hui que les activités de surveillance et de garde sont toujours exécutées par les GSP dans les différents établissements pénitenciers. Donc, ce n’est pas un mouvement de grève comme on pourrait le croire mais juste une suspension de quelques activités qui sont d’ordre secondaire par rapport aux missions principales de la GSP.
Avant le début de votre mouvement, avez-vous pris langue avec le gouvernement ?
Nous avons été reçus par le gouvernement par l’entremise de notre ministre de tutelle. Il a pris l’engagement de signer ces décrets dans les semaines à venir. Cependant, il n’a pas donné un délai assez clair pour la signature. C’est ce qui n’a pas rassuré les militants sur le terrain. La suspension continuera tant que le gouvernement ne donnera pas d’engagement clair quant à la signature de ces deux décrets.
En cas de réponse non favorable de l’exécutif que feriez-vous ?
Si cela perdure et que le gouvernement estime que la suspension de ces activités n’ont pas d’effets sur le fonctionnement de la justice, nous rencontrerons les militants pour voir la suite à donner à cette lutte. Mais je ne pense pas qu’on puisse en arriver là. En toute responsabilité, le gouvernement devrait signer ces décrets. J’estime que, pour signer des décrets qui ont été adoptés en Conseil des ministres, on n’avait même besoin d’en arriver à là pour le réclamer. J’estime aussi que l’on n’arrivera pas à une situation difficile. Mais si c’est le cas, nous allons nous concerter en assemblée générale pour voir la conduite à tenir.
Vos deux décrets engendrent des coûts financiers pour le gouvernement, n’est-ce pas la cause de la non signature desdits décrets ?
La signature ne veut pas dire directement incidence et effet immédiat. La signature constitue un préalable à l’effectivité de ces décrets. Depuis le début de l’élaboration de ces décrets, nous avons fait preuve de beaucoup de concessions. Il y avait deux scénarios prévus : le minima et le maxima. C’est celui à minima qui a été proposé à la GSP. Et même ledit scénario à minima a été raboté de certaines indemnités telles celle de responsabilité. Outre cela, ces décrets devraient prendre effet pour compter de janvier 2015 mais on a évoqué des questions budgétaires pour nous opposer le fait qu’il faut accepter que cela puisse prendre effet pour janvier 2016. Nous avons accepté tous cela, c’est pourquoi nous ne pouvons pas comprendre que, jusqu’à présent, ces décrets ne soient pas signés. Ce qui a entrainé réellement ce mouvement, c’est le manque d’efforts de la part du gouvernement ne serait-ce que la signature. Si c’était signé, peut être que ce mouvement d’humeur n’allait pas avoir lieu. La signature est une chose et l’effectivité est autre chose. Il ne devrait pas avoir de mouvement à cause d’une signature. Les militants sur le terrain sont assez responsables. Mais si du côté du gouvernement, il n y a pas un minimum de volonté pour faire aboutir les choses, il y va de soi qu’on ne comprenne pas.
Le front social est actuellement en ébullition, chaque corps revendiquant l’amélioration des conditions de vie et de travail au niveau de la chaine judiciaire. Après les greffiers, c’était récemment les magistrats et maintenant la GSP. Ne pensez-vous pas que vous en faites trop ?
Je ne pense pas que nous acculons le gouvernement. Les décrets dont nous exigeons la signature visent à appliquer une loi qui a été votée depuis 2014. Aujourd’hui, nous sommes en 2016 et aucun des décrets n’a été adopté en vue d’appliquer cette loi. Cela veut dire que nous avons fait preuve de patience et de beaucoup de concessions. Deux ans après, nous pensons qu’il est légitime de demander maintenant au gouvernement de prendre enfin les décrets pour que la loi soit effective sur le terrain. Nous sommes conscients aussi du fait que nous venons de sortir d’une Transition. Raison pour laquelle nous réclamons seulement la signature des décrets. Le gouvernement pour montrer sa volonté de faire aboutir la loi devrait procéder à la signature de ces décrets. Les deux décrets en question visent à appliquer la loi portant statut du personnel de la GSP qui a été voté depuis le 15 juillet 2014.
D’une manière générale, quelles sont les conditions de vie des GSP ?
A un certain moment nous nous sommes rendu compte que le personnel de la GSP travaillait dans des conditions assez difficiles que les gens ne connaissent pas. Nos autorités ne connaissent ce milieu que lorsqu’elles font l’objet d’incarcération. C’est à ce moment qu’elles se rendent compte des missions réelles qu’accomplisse la GSP. Vous verrez que ce personnel travaille dans des conditions très difficiles et d’insécurité totale qu’on fait semblant d’ignorer.
Pour cela, nous demandons qu’on puisse tenir compte de nos conditions de vie et de travail, notre situation réelle et améliorer les conditions de tous les détenus incarcérés dans les établissements pénitenciers. Nous demandons aussi de meilleures conditions sécuritaires car si vous sortez hors de Ouagadougou vous vous rendrez compte que des prisons sont construites comme des logements sociaux, sans clôtures. Comme illustration, vous avez vu que nos collègues ont été agressés à Diapaga. Nous ne sommes pas protégés du tout. Il y a près d’une dizaine de prisons sur les 26 qui sont sans clôtures. Lorsqu’on pose le problème au gouvernement, nous avons l’impression de prêcher dans le désert et cela n’est pas du tout intéressant. C’est, entre autres, une partie de ces éléments qui nous a amené à revendiquer le statut particulier afin de prendre en compte l’aspect spécifique de notre corps.
Quelles sont les grandes lignes de ce statut particulier?
D’abord au niveau du traitement, il va permettre d’améliorer les conditions de vie de la GSP. Ensuite, il y a aussi le fait que désormais la discipline interne et la gestion du personnel sera mieux organisée. Cela n’est pas normal qu’un corps paramilitaire soit régit avec les mêmes méthodes que les civils. Nous pensons que tous ces éléments nous permettront d’être plus efficaces. Au-delà, il faut prendre au sérieux l’aspect équipement qui permettra aussi à la GSP de mieux se protéger et protéger ceux qui sont détenus.
Il y a trois ans de cela et pratiquement à la même période, un de vos collègues, l’assistant GSP, Hyppolite Bado observait une grève de la faim et menaçait de s’immoler pour obtenir de meilleures conditions de travail. Que devient-il ?
C’était un mouvement isolé mais cela traduisait la frustration qu’on ressentait au sein de ce corps. A l’époque, il était difficile pour nous de nous adresser aux autorités afin qu’elles prennent en compte nos préoccupations. C’est certainement cela qui a milité en faveur de ce comportement. Cependant, ce qu’il a fait n’entrait pas dans nos méthodes de revendications. Actuellement, il est affecté dans un autre établissement pénitencier.
Avez-vous consciences des conséquences de votre mouvement ?
Je dirai qu’en suspendant uniquement ces deux activités nous avons pris en compte l’intérêt des justiciables et des détenus. Tous ceux qui ont des proches dans les maisons d’arrêts peuvent continuer à venir pour les visites s’ils sont détenteurs d’une autorisation. En outre, les commissions d’applications des peines sont toujours tenues. Au niveau des établissements pénitenciers du pays, les détenus qui sont en fin de peine, nous ne les gardons pas mais nous continuons à les libérer. Nous savons aussi que les activités suspendues peuvent avoir des conséquences mais nous demandons aux populations de nous comprendre parce que nous étions arrivés à un moment donné où c’était difficile pour nous de tenir dans ces conditions.
Nous demandons également au gouvernement de tenir ses engagements. Si le gouvernement estime qu’il ne peut pas appliquer les décisions prises par la Transition, qu’il tienne devant nous un langage de vérité. Nous ne pouvons pas comprendre que le Premier ministre dise que son gouvernement va exécuter l’ensemble des engagements pris par les autorités de la Transition et que, quatre mois après, les décrets adoptés ne puissent pas faire l’objet de signature. Et là, nous ne sentons pas la volonté du gouvernement. Je tiens à présenter mes excuses à tous ceux dont les dossiers judiciaires n’évoluent pas à cause de notre mouvement d’humeur.