Le ministère en charge de l’action sociale, dans sa mission de protection des personnes vulnérables, s’est doté des d’infrastructures d’accueil. Parmi elles, les auberges de la solidarité ou « Bân-Loeeré-Zaka», au profit des personnes en difficultés ou sans-abris. Mais sur le terrain, ces structures sont dépourvues du minimum de commodité: couchettes, eau, nourriture, éclairage... Incursion dans ces abris de « fortune ».
Jeudi 10 mars 2016, Larba Koidima et sa fille Samira Guinguané qui squattaient le parking du gouvernorat du Centre, depuis octobre 2014, avec une dizaine d’autres femmes, ont trouvé un logement. Elles ont été conduites par les services de l’action sociale du Centre à l’auberge de la solidarité de Cissin, située à l’ex-secteur n°17 de Ouagadougou. Quinze jours plus tard, elles ont été rejointes par quatre femmes sans-abris. Elles sont quatorze dont six enfants à habiter ce centre géré par Edith Coulibaly et son collègue Nithin Naon, du service social de l’ex-arrondissement de Boulmiougou. Hélène Konombo et sa fille de 5 ans font partie du groupe. Agée de 42 ans et mère de sept enfants, en dépit des « blessures » de la vie, elle a le sourire aux lèvres. Fine, le visage strié de cicatrices, Hélène a trouvé refuge à l’auberge de la solidarité à cause du calvaire qu’elle vivait dans son foyer à Bobo-Dioulasso. Un foyer dans lequel, la pauvreté nourrissait des tensions entre les conjoints. Alors, elle décide de regagner le domicile paternel à Ouagadougou, au quartier Cissin. Mais, la promiscuité du domicile familial ne facilite pas son intégration. Elle est obligée de partager une maisonnette avec sept autres personnes. Quatre ans plus tard, elle décide de partager sa vie avec un homme du quartier Marcoussis de la capitale, au secteur n°38, dans l’arrondissement n°9. Quelques mois de vie commune ont suffi à faire germer en elle, le fruit de leur amour. A huit mois de grossesse, son amoureux prend la clé des champs. C’est le retour dans la demeure familiale. Par l’intermédiaire d’une connaissance, elle intègre l’auberge de solidarité en 2013. Depuis lors, elle y vit avec sa fille.
Aminata Nikièma, âgée de 22 ans et mère d’un nouveau-né de 5 mois, partage le même local que dame Hélène. « Je suis arrivée ici enceinte en septembre 2015 », confie Aminata Nikièma, originaire de Komsilga, une commune rurale située à une dizaine de Km au sud de Ouagadougou. Après son échec au Brevet d’études du premier cycle (BEPC) en 2015, au lycée départemental de Komsilga, elle rejoint sa grande sœur, Awa Nikièma, à Wapassi, un quartier de la capitale. Sur le chemin des cours du soir au lycée Lyperzo, elle fait la rencontre d’un homme à la double identité : d’abord Joseph Nikiema et ensuite Kientega Moussa. Après un mois d’amour, elle tombe enceinte. Informé de son état, son amoureux ne donne plus signe de vie. Le seul contact qu’elle garde de lui est son numéro de portable. Ses multiples tentatives de le joindre sont vaines. Le ciel lui tombe sur la tête. Son beau-frère l’a met à la porte. Le retour à Komsilga est impensable, parce que selon ses dires, son père est un gardien des traditions. Si elle y retourne, il perd la vie. Elle prend le chemin du service de l’action sociale de l’ex-arrondissement de Boulmiougou. Orientée ensuite au centre d’accueil de Cissin, elle donne naissance à Wend-Daabo Isaac Nikièma (Wend-Daabo qui signifie en langue nationale mooré, la volonté de Dieu), le 6 décembre 2015.
Si Hélène Konombo et Aminata Nikièma ont un abri, malheureusement, elles manquent de tout.
Pas d’eau ni d’électricité
L AUBERGE de Cissin où elles ont trouvé refuge, est composée de quatre maisons, chambre-salon chacune et deux pièces uniques. L’une fait office de bureau aux deux gestionnaires, Edith Coulibaly et Nithin Naon. L’auberge dispose également de deux douches et de WC. Aucune autre commodité. Pas d’eau ni d’électricité. Lits, nattes ou ustensiles de cuisine sont inexistants. « Ce centre d’accueil est fonctionnel depuis le 12 janvier 2012. Il accueille temporairement les sans-abris pour une période de six mois », explique Mme Coulibaly. Mais, par manque d’abris, certains vont au-delà des six mois. « Le seul objectif de Ban-Loéré est d’accueillir des personnes victimes de catastrophes naturelles, de crises humanitaires, et celles en difficultés de logement.
L’auberge ne dispose pas de matériel de couchage, ni de mobilier. Chaque pensionnaire apporte sa couchette et son matériel », déplore la responsable du centre. « C’est chacun pour soi. Dans la journée, les pensionnaires vaquent à leurs occupations. Chacun doit se battre pour survivre », regrette la responsable du centre, Mme Coulibaly. En plus de la lessive et de la coiffure qu’elle exerce occasionnellement, Hélène Konombo confectionne des perruques et des chions pour survivre. Quant à dame Kaboré, elle offre ses services dans un restaurant, à proximité de l’auberge, à raison de 500 F CFA par journée.
L’ex-secteur n°23 (Tanghin) abrite également une auberge pour les personnes en situation difficile. Fonctionnelle depuis 2008, elle a accueilli une partie des femmes sans domicile fixe qui dormaient récemment au parking du gouvernorat du Centre. Il s’agit de Poussi Tarbagdo et de Timpko Sawadogo. Elles sont chacune mère de deux enfants. Leur site d’accueil est composé de quatre maisons chambres-salons de 20 tôles chacune, avec des latrines et des toilettes externes. Le site a une capacité d’accueil de 20 personnes maximum soit, cinq par maison. Depuis son ouverture, l’auberge, a accueilli plus d’une centaine de personnes de plusieurs nationalités (Libyens, Centrafricains, Guinéens et des Burkinabè), selon l’actuel chef du service social de l’ex-arrondissement de Nongr-Massom, Boukary Zorom.
«La construction des auberges de solidarité est partie d’un besoin ressenti et exprimé par l’e- direction régionale de l’action sociale et de la solidarité du Centre», fait savoir la directrice générale du Fonds national de solidarité (FNS), Malimata Ouattara. Les auberges de Cissin et de Tanghin sont gérées respectivement par les services sociaux des arrondissements de Nongr-Massom et de Boulmiougou. Dans celles-ci, aucune autre forme de soutien n’est prévue à l’endroit des pensionnaires. « L’auberge de solidarité de Cissin ne dispose pas de fonds pour son fonctionnement. Elle fonctionne comme une sorte de gui aux crochets du service social de l’arrondissement de Boulmiougou dont une partie des ressources financières et matérielles, déjà fort peu généreuses, lui est affectée», explique Edith Coulibaly. Aussi, l’autre difficulté majeure est le manque d’alimentation. Ces conditions de vie difficiles ont contraint une partie des locatrices à abandonner les sites pour rejoindre la rue. C’est le cas de Bibata Kaboré, handicapée moteur.
La non-prise en charge des enfants scolarisés, l’insalubrité des locaux, le manque de moyens financiers permettant au service d’assurer convenablement leur entretien sont, entre autres, les préoccupations relevées par Edith Coulibaly de l’auberge de Cissin et de Boukary Zorom, actuel chef de service de l’action sociale de Nongr-Massom. Contrairement à l’auberge de Cissin, celle de Tanghin ne dispose pas de gestionnaire ni d’agent de sécurité. En plus du manque d’électricité, le grand portail tout comme deux des quatre maisons sont sans serrure. Ce qui met les pensionnaires dans une insécurité « totale ».
Sahdou Dicko, le voisin « sauveur »
L’auberge de l’ex-secteur n°23 est située au milieu des habitations dans le quartier Tanghin. Au moment de son ouverture, en 2008, Sahdou Dicko, était le voisin immédiat du centre. En l’absence de travailleur social permanent, celui-ci veille de façon volontaire, jour et nuit, à la sécurité des lieux. Il devient ainsi, la personne ressource du service social dans le quartier. Son action ne se limite pas à cela. M. Dicko contribue à gérer les cas qui arrivent à l’auberge dans un dénuement total. « Grâce à son humanisme et à son esprit de solidarité, beaucoup de pensionnaires ont pu être soulagés à travers des soutiens multiformes», reconnait le chef de service de Nongr-Massom. « Nous nous aidons avec de l’eau et de la nourriture », avoue avec modestie Sahdou Dicko. Comme ces personnes viennent d’horizons divers, il n’y a souvent pas d’entente entre elles. A ce niveau également M. Dicko joue au « pompier ». « Il y a deux ans de cela, j’ai eu à intervenir aux environs de deux heures du matin, à cause d’une dispute entre un couple», se souvient-il encore. Une intervention qui a permis d’éviter le pire, car le monsieur était déterminé à en finir avec sa femme. «C’est grâce à lui que le service est informé des attitudes et comportements peu recommandables de certains pensionnaires», fait savoir Cathérine Yaméogo, l’ancienne chef de service social de l’arrondissement de Nongr-Massom. Des efforts qui, selon elle, ont été reconnus et salués par le service de l’action sociale de Nongr- Massom et de la province. Mais, il déplore la mauvaise gestion du centre. « C’est imprudent de la part du ministère de l’Action sociale de construire de tels locaux et les laisser à la merci des délinquants », dénonce-t-il. Il invite les responsables de ce département ministériel à mettre l’accent sur la sécurité des locaux et des pensionnaires. Pour le bon fonctionnement des deux AUBERGES, Edith Coulibaly et Boukary Zorom souhaitent leur réorganisation afin de permettre aux pensionnaires de vivre dignement. Ils recommandent que les autorités du département mettent à la disposition des pensionnaires de la nourriture, de l’eau courante, et de l’électricité. A cela s’ajoutent l’augmentation de la capacité d’accueil, l’équipement des chambres et l’achèvement du chantier de construction du service social. « Nous souhaitons qu’une subvention soit octroyée annuellement pour l’entretien et le bon fonctionnent des locaux», suggère l’ancienne chef de service de Nongr-Massom, Cathérine Yaméogo. « Le Fonds était chargé de financer la construction des auberges, la direction régionale, devait établir un protocole de gestion et le service social dont relève l’auberge devait assurer sa gestion quotidienne», ajoute Mme Ouattara. Mais déjà, elle se dit prête à voler au secours des pensionnaires. «Le FNS n’intervient que sur la base de requête. Si des besoins sont exprimés par la direction régionale de l’action sociale du Centre, le FNS peut examiner pour voir dans quelle mesure, il peut apporter son assistance », rassure sa directrice, Malimata Ouattara. Déjà, les pensionnaires des auberges de Tanghin et de Cissin ont reçu respectivement le 18 et le 29 mars un soutien du Conseil national de Secours d'Urgence et de Réhabilitation (CONASUR). Ainsi chaque site a bénéficié d’un sac de riz, du maïs, de l’huile, des boîtes de sardines, des nattes, des couvertures, des sauts, des gobelets, des bassines et des bidons vides de 20 litres. Avec ce don, ils auront de quoi se restaurer, en attendant que d’autres bonnes volontés fassent parler leur cœur.
Mariam OUEDRAOGO