Jacques Resch est un peintre français qui vit à Bobo depuis quelques années. Il bâtit, à l’abri des regards, une œuvre dense et puissante qui revendique les influences de Bosch et Breughel et, plus près de nous, celle de Dali. Il a exposé une douzaine de toiles à la boutique Ma Copine en ce mois d’avril 2016. Douze comme les douze mois de l’année ou les douze heures d’une demi-journée. Le temps traverse ces 12 toiles qui évoquent le passé, le présent et le futur du peintre et du monde.
Ce qui frappe dans les toiles de Jacques Resch, c’est l’influence assumée de la peinture médiévale au service d’une critique sans concession de la société de consommation. Comme si Bosch, ressuscité en notre époque, peignait une version actualisée du Jardin des Délices en y mettant des aéronefs, des gratte-ciel et des robots. Aussi s’attend-on naturellement à voir au vernissage un peintre vêtu d’une cotte, une cape jetée sur l’épaule et coiffé d’un large chapeau comme un homme du Moyen Age et, pourquoi pas, avec une épée à la ceinture ! On est surpris de voir un svelte septuagénaire en jean, sa houppe blonde lui donnant un air de Tintin.
Un peintre, c’est un œil qui voit le monde avant d’être une main qui tente de restituer cette vision. Georges Clémenceau disait de son ami Claude Monet que son œil décomposait la lumière et que ses peintures traquaient la lumière posée sur les êtres et les choses qu’elle éclairait.
De Resch on peut dire que son œil est phénoménologique en ce sens qu’il décompose chaque chose en ses plus infimes composants. Dans ses tableaux profus à la chromatique pétulante, les scènes sont campées avec précision, tous les menus détails figurés comme si le peintre travaillait avec la loupe de l’horloger. Ce qui donne des tableaux très ouvragés comme des enluminures.
Le tableau Le Banquet est illustratif de cette démarche. On y voit une multitude de commensaux autour d’une table bien garnie. Un festin où on fait bonne chère et où coule l’alcool. C’est une assemblée à qui l’ivresse et la satiété font perdre toute contenance. Aussi l’abondance, au lieu d’apaiser les corps, les incite-t-elle à la débauche et fait choir les hommes dans la corruption des mœurs. La plupart des toiles critiquent le monde tel qu’il est devenu : nature mortifère, humain en péril, pillage de l’Afrique. Néanmoins le peintre ne désespère pas de l’humain. Il y a de l’ironie, de la gouaille dans le regard que le peintre promène sur le monde.
Dans cette expo où les toiles disent l’intime et « l’extime », les humeurs du peintre et les rumeurs du monde, deux toiles ont retenu notre attention pour leur sobriété dans la composition et leur grande puissance de suggestion. Tombé de son rêve et l’Attente. Des textes de l’artiste accompagnent les tableaux et en éclairent la lecture selon le point de vue du peintre. Nous avons opté pour une lecture libre qui recrée le tableau selon le point de vue du regardeur.
Tombé de son rêve, c’est un éphèbe noir qui gît sur le carrelage en damier d’une chambre, abandonné dans son sommeil, au pied d’un lit. Un corps noir tout en musculature qui se détache nettement par le contraste avec le drap immaculé. Mais le sommeil le rend fragile. Serait-ce un Icare nègre et contemporain ?
Avant, Icare tombait du ciel pour avoir voulu embrasser le soleil, aujourd’hui, il est affalé au pied d’un lit face à une chaise de couleur rouge, sans occupant. Serait-ce le rouge de la prostitution, de la passion ou de la Révolution ? Dans tous les cas, les rêves d’ascension ont bien rapetissé et les ambitions sont devenues rampantes.
Le second tableau s’intitule l’Attente. Le pied est, dans les arts plastiques, une icône érotique et esthétique. C’est une partie du corps qui est rarement montrée. Exhibé, il participe d’un certain exhibitionnisme. Plus que le visage, le pied porte les stigmates du temps qui passe et y laisse des sillons, des ridules, des teintes automnales. C’est pourquoi, dans l’Afrique traditionnelle, c’est le pied de la femme qui renseignait sur son âge, ses maternités ou sa nubilité.
Dans l’Attente, on voit deux pieds posés sur une chaise bleue en plastique en face d’un mur. Ils sont d’un homme d’un âge certain, car ils ont subi les outrages du temps, et pourtant ils attendent encore. Au pied de la chaise, une fleur se fane et un zeste de citron se racornit tandis que le mur porte sa lézarde comme une griffure du temps. Le temps agit sur tout : homme, végétal ou minéral. Dans l’Attente, il y a l’impuissance face au sablier du temps qui coule inexorablement, mais il y reste un fond d’espoir ; celui de voir apparaître l’objet de l’attente.
L’attente est un thème prisé dans tous les arts. Pénélope attendait son aventureux d’époux, Ulysse, en tricotant son tapis, Estragon et Vladimir papotent en attendant Godot, ici le personnage examine ses orteils de pied pour meubler l’attente… Toute vie a ses moments d’attente. Chacun attend quelqu’un ou quelque chose en essayant de combler le vide que cette attente crée. Devant ce tableau, pris dans une libre association d’idées, on se demande bien ce que font les Burkinabè en attendant l’Eldorado promis par le politique.
Jacques Resch est un peintre qui s’expose rarement au Burkina. Il serait intéressant que les autres jeunes peintres de son pays d’adoption, ceux de Ouaga particulièrement, voient son travail pour comprendre que la peinture, même contemporaine, ne peut se passer d’un savoir technique ni ignorer l’histoire de l’art.
En outre, la connaissance de l’histoire de l’art permet soit de s’inscrire dans une lignée, soit de s’en écarter. Comme dit le proverbe, si la branche veut fleurir, qu’elle honore d’abord ses racines. Jacques Resch a fait le pari de dire le présent en restant fidèle à une certaine idée datée de la peinture. Et il le réussit bien.
Saïdou Alcény Barry