Dans les sociétés africaines, l’on ne se marie pas seulement pour partager les joies et les peines du partenaire, mais surtout pour avoir des enfants. C’est pourquoi, des couples inféconds « courent » après les médecins, les guérisseurs, les marabouts, les féticheurs…dans l’espoir d’avoir une progéniture. A Bobo-Dioulasso, la question de l’infertilité prend de plus en plus de l’ampleur.
Alima n’a toujours pas d’enfant, après 22 ans de vie conjugale. Agée de 38 ans, le chrono tourne en sa défaveur. Son époux Sangaré, éleveur et agriculteur dans un village à proximité de Bobo-Dioulasso, a préféré la laisser en ville afin qu’elle puisse se soigner. Visiblement sous le choc, elle ne peut s’empêcher de verser des larmes, lorsqu’elle explique le problème qui la mine. « Je peux voir de façon continue mes règles, pendant trois mois. Cela me fatigue au point que je manque de force pour travailler », raconte-t-elle. Remariée à Sangaré en 2013, après 20 ans passés dans un premier mariage, elle peine toujours à avoir un enfant. Dans son précédent foyer, elle affirme avoir subi insultes et moqueries de sa coépouse. De ses nombreuses consultations chez les guérisseurs, marabouts, et des nombreux sacrifices, le constat est amer. « Quand nous sommes allés voir les marabouts, certains ont dit que je suis possédée par des génies et d’autres m’ont dit que c’est un envoutement », se souvient-elle. Dans sa « nouvelle vie », elle décide de consulter un spécialiste des questions de l’infertilité. Un fibrome est vite détecté. Opérée de ce mal, son cycle menstruel ne s’est pas régularisé et elle n’a toujours pas d’enfants.
« C’est la volonté de Dieu », finit-elle par se convaincre.
Envie d’enfanter…
M. Sangaré ne s’est pas pour autant résigné. « Je n’ai pas accepté qu’on retire l’utérus de ma femme tel que recommandé par le médecin lors de l’opération. Je veux un enfant. Je préfère que nous continuions le traitement. Si dans l’avenir elle n’enfante pas, ce sera la volonté de Dieu », dit-il tristement. Il ajoute que : « Je suis triste. Mais, la peine de ma femme dépasse la mienne ». Comme Alima, Oumou, la dernière femme de Kader, espérait contracter une autre grossesse après l’opération du fibrome. Rien ! Depuis son deuxième mariage, il y a 8 ans, celle qui a déjà enfanté trois fois (dont deux malheureusement sont décédés, ainsi que leur père) peine à retomber enceinte.
« Les médecins ont fait comprendre qu’il faut enlever l’utérus, parce qu’il est infecté. J’ai pleuré. Moi qui avais l’espoir qu’à l’issue de l’opération j’allais pouvoir enfanter», regrette-elle. Finalement, l’utérus n’a pas été extrait. Toujours pas de grossesse. « Je ne pourrai pas avoir d’autres enfants. Je n’en veux à personne», raconte Oumou, les yeux pleins de larmes. « Je sais que mon mari a vraiment envie d’avoir un enfant avec moi », dit-elle, désespérément. Et son mari Kader d’ajouter : «Je suis triste». L’infertilité touche également les hommes. Issaka et Boureima, deux cotonculteurs, âgés respectivement de 43 et 33 ans, sont en quête d’enfant. La mine grave, ils cherchent des mots pour mieux expliquer leur problème. Issaka cumule 10 ans de mariage. Il dit avoir cru à un certain moment que c’est sa conjointe qui était malade. Mais, c’est le contraire qui a été révélé par les médecins. « Quand nous sommes allés à l’hôpital, j’ai appris que je n’avais pas assez de spermatozoïdes », avoue-t-il. Boureima également, après 6 ans de mariage n’est pas encore papa. Après diagnostic, le couple est informé que le taux de spermatozoïdes de Boureima est faible.
Ne pas avoir d’enfant est source d’inquiétude pour des couples. Les espoirs d’enfanter pour Alima et Oumou s’amenuisent. « Nous ne savons pas ce que l’avenir nous réserve», se désole Oumou. Néanmoins, Alima affirme être en bons termes avec sa belle famille et ses coépouses. « Aujourd’hui, je suis mariée. Je m’entends avec mon mari. Mes coépouses et leurs enfants me respectent. Certains de leurs enfants vivent avec moi », dit-elle. Et son mari Sangaré de confirmer que toutes ses trois femmes s’entendent bien. Chez Oumou, l’entente est relative. « Si tu n’as pas d’enfants pendant que tes coépouses en ont, c’est toujours difficile », déclare-t-elle. Selon elle, les moindres conflits sont des occasions pour les beaux-parents de l’« attaquer ».
« C’est mon mari qui a refusé de me chasser. C’est toujours mes coépouses qui me causent des soucis. Leurs enfants leur viennent en aide. Et quand l’homme te donne quelque chose, c’est toujours un problème», lâche-t-elle. Kader ne partage pas son avis. « Il n’y a pas de problème. La famille est croyante et sait que c’est Dieu qui donne les enfants », affirme-t-il. Et de poursuivre :
« J’ai dit à ma femme de considérer les enfants de ses coépouses, comme les siennes. Si tu respectes cela, tu seras heureuse et tu profiteras des autres enfants ». Oumou rétorque d’une voix cassée :
« Je ne peux rien dire. Entre ce qui t’appartient et ce qui ne t’appartient pas, ce n’est pas la même chose ». Chez Issaka et Boureima, l’absence d’enfant fait tanguer les relations avec leurs épouses. Boureima, lui, fait savoir que c’est sa femme qui refuse de le quitter.
« Certains disent à ma femme de me quitter. Mais, elle tient à notre couple », argue-t-il. Il dit avoir le soutien de sa belle-famille qui en plus, le respecte. Cependant, il subit les railleries d’autres personnes dans son entourage. Selon Issaka, l’entente n’est pas parfaite avec la femme. « A cause du manque d’enfant, ma femme a menacé de m’abandonner. Certains membres de sa famille l’y encouragent », révèle-t-il.
Des inquiétudes
Selon le médecin gynécologue du CMA de Do, Hermann Ouattara, la plupart des femmes qui viennent en consultation ont des difficultés à concevoir. « A mon niveau, environ 60% des consultations, c’est pour des problèmes de fertilité », déclare-t-il. De façon générale au CMA, que ce soit chez les sages-femmes ou le médecin, le taux d’infertilité tourne autour de 15 à 20%, précise-t-il. Un taux qui est élevé de son avis. Chez les hommes, la situation est inquiétante aux dires du gynécologue. Il explique que lorsque les hommes viennent en consultation, c’est qu’ils ont des problèmes à satisfaire sexuellement leur partenaire.
« Pour les faiblesses sexuelles, ils viennent rapidement parce que, c’est évident. Chez l’homme, dès qu’il arrive à une érection et à avoir des rapports sexuels, il pense qu’il est fécond », laisse-t-il entendre. Or, de ses explications, l’infertilité masculine n’est confirmée qu’après qu’un examen ait prouvé que sa femme est capable d’enfanter. Alors, l’homme est invité à son tour à faire un examen. « Pour la plupart des hommes avec qui nous discutons, c’est le choc. Dès qu’on leur dit qu’ils ne peuvent pas avoir d’enfant, c’est comme s’ils perdent tous leurs pouvoirs à la maison. Psychologiquement, ils se sentent directement inférieurs à leurs femmes », soutient Hermann Ouattara. C’est la raison pour laquelle, affirme-t-il, que les hommes ne sont pas nombreux à fréquenter les services de gynécologie. Toujours selon le Dr Ouattara, les problèmes rencontrés chez les hommes, sont des anomalies au niveau des spermatozoïdes, soit parce qu’il n’y en a pas assez, mal formés, ou parce qu’ils se fatiguent vite. « Il faut qu’il y ait des spermatozoïdes dans le liquide de l’éjaculation. Chez certains hommes, il n’y en a même pas. Il y a un examen qu’on appelle le spermogramme qui permet de le savoir », confie le Dr Ouattara.
« Si quelqu’un vient ici, il va avoir un enfant »
Parmi les causes de l’infertilité chez l’homme, le Dr Hermann Ouattara cite la consommation de l’alcool et de tabac. Il y a également certaines professions exposées comme les chauffeurs routiers qui passent de longs moments assis. Ceux qui sont en contact avec la peinture à tout moment, ou les hydrocarbures sont également dans le viseur. Pour le médecin gynécologue du CMA de Do, chez les femmes, lorsque les trompes sont bouchées ou l’utérus est infecté, la femme ne peut pas tomber enceinte. « Certaines infections avec des bactéries, montent petit à petit au niveau des trompes, et peuvent les fermer. A partir de ce moment, le problème d’enfant se pose », explique-t-il. Le Dr Ouattara ajoute que les infections sexuellement transmissibles bouchent également les trompes et empêchent la femme de contracter une grossesse. Il soutient que beaucoup de femmes vont d’abord chez les guérisseurs traditionnels avant de revenir à l’hôpital, à un stade plus avancé de leur mal avec l’anémie. « Quand les fibromes grossissent, souvent on est obligé d’enlever tout l’utérus. Là, la femme n’aura plus d’enfant », dit-il. Concernant les guérisseurs, à Diébougou, l’un d’eux, El hadj Amidou Sié Ouattara, est connu pour ses soins « efficaces » dans le domaine. « Certaines femmes et hommes viennent nous consulter parce qu’ils ont fréquenté les hôpitaux sans gain de cause », indique-t-il. Avec ses albums pleins de photos de nouveau-nés qu’il présente comme une preuve, il dit avoir reçu ce don en brousse. Là-bas, à l’aide des racines d’arbres, la femme est soignée entre 4 mois et demi et l’homme en un mois. Mais une condition est à respecter après l’exaucement du vœu du patient. « Si le couple arrive à avoir un enfant, il doit revenir pour que nous le lavions. L’enfant est ainsi protégé jusqu’à 18 ans », explique-t-il. « Si quelqu’un vient me voir, il va avoir un enfant », insiste-t-il. Pour le guérisseur qui précise qu’il n’est pas un charlatan, ce sont des infections qui entraîsnent l’infertilité. Elles peuvent « renverser » le col de l’utérus ou boucher les trompes. La médecine moderne et traditionnelle peuvent venir à bout du mal. Dr Hermann Ouattara fait comprendre qu’une de ses patientes qui avait des trompes bouchées a été guérie par un tradipraticien. « Elle est partie voir un tradipraticien, puis elle est tombée enceinte et a eu un enfant. Elle a refusé de me donner le nom du tradipraticien », a-t-il souligné. A son avis, c’est le tradipraticien qui a dû recommander de ne pas dévoiler son identité. « Souvent, les tradipraticiens refusent de collaborer avec nous parce qu’ils pensent que nous allons leur voler leur savoir », déplore le gynécologue. Et pourtant, le guérisseur El hadj Ouattara pense le contraire. « Des médecins viennent prendre des médicaments avec nous, mais ils n’ont jamais souhaité qu’on collabore», affirme-t-il. Le guérisseur a, en outre, indiqué qu’il réfère d’abord ses patients à l’hôpital avant de procéder aux soins. « Si un homme vient nous expliquer son problème, nous lui demandons d’aller se faire diagnostiquer à l’hôpital et de nous envoyer les résultats. En fonction du mal diagnostiqué par les médecins, nous lui donnons un traitement », rassure El Hadj Ouattara. Le guérisseur El hadj Ouattara lui, pense que certains aliments que les hommes consomment favorisent l’infertilité. Il cite par exemple les bouillons.
L’infertilité masculine, la preuve par deux études
L’infertilité masculine est « masquée ». Deux médecins biologistes du Centre Muraz à Bobo-Dioulasso se sont penchés sur le sujet à travers deux études. L’une a été dirigée par la pharmacienne biologiste, Dr Soumeya Ouangraoua. Dr Ouangraoua dit qu’en 2014, sur 125 patients pris dans le cadre de l’étude, plus de 50% avaient des problèmes d’infertilité. Elle dit que, l’ambition est d’étendre l’étude à la population saine, afin de voir la réalité du problème. Dr Ouangraoua ajoute que l’étude a concerné les métiers des patients. « Une grande cause de cette infertilité est liée au métier. Surtout ceux qui travaillent dans les milieux chauds comme dans les usines, les cotonculteurs à cause des produits chimiques », souligne-t-elle. L’autre étude conduite par la Dr Amariane Koné, médecin biologiste, a porté sur le spermogramme dans le cadre de sa spécialisation. Dans son étude, Dr Koné fait un récapitulatif d’analyse de sperme sur 10 ans. Ainsi, de 2003 à 2012, elle a pu analyser les résultats de sperme de 459 hommes, afin de déterminer les causes d’infection pouvant entraîner l’infertilité masculine. « Nous avons trouvé que 65% présentaient des anomalies », indique-t-elle. Ce sont ainsi 298 patients sur 459 qui avaient des problèmes d’infertilité. 16,4% des 298 (soit 48) patients doivent leur infertilité à des germes bactériens. Pour les 250 autres hommes, l’infertilité est une conséquence d’infections sexuellement transmissibles. Dr Koné poursuit en indiquant que des causes parasitaires comme la bilharziose peuvent occasionner l’infertilité. Par ailleurs, elle atteste que beaucoup de jeunes hommes sont confrontés aux problèmes d’infertilité. « Nous avons remarqué que ce sont les tranches jeunes qui consultaient pour des spermogrammes : 30 à 40 ans », dit-elle avant d’ajouter qu’il y a des antibiotiques pour soigner les cas de germes bactériens. « Nous proposons l’antibiotique pour soigner l’infection. Généralement, si c’est bien conduit, ça marche », déclare-t-elle.
Cherté des soins
Dr Koné explique que l’infertilité chez l’homme peut être congénitale, c’est-à-dire due à « une malformation depuis la naissance de l’enfant. Certains hommes n’ont pas de cellule séminale, une cellule qui, dans la spermatogénèse, permet la création de sperme. Il peut arriver qu’il y ait des malformations au niveau des testicules ».
Selon Boureima et Issaka, il y a de l’espoir depuis qu’ils sont allés consulter un médecin spécialiste. Et Issaka de déclarer : « Avec les traitements, j’espère que ça va aller. Tout dépend de Dieu ». Le gynécologue du Centre médical avec antenne chirurgicale de Do de Bobo-Dioulasso, Hermann Ouattara, fait savoir que le coût des soins est élevé. « Les traitements peuvent coûter de 50 000 à 100 000 F CFA par mois. Pour les cas simples, il faut aller jusqu’à 20 000 FCFA », indique le gynécologue. Il fait comprendre que pour beaucoup de femmes, il faut l’insémination artificielle. Une opération possible à Ouagadougou dans la clinique où travaille Dr Salifou B. Traoré, gynécologue obstétricien. A l’en croire, c’est depuis 2006 que sa structure procède à la procréation médicalement assistée. « L’insémination artificielle consiste à prescrire des médicaments à la femme, après avoir vérifié que les trompes sont perméables et si on peut induire une ovulation », a-t-il clarifié. Après cette étape, des échographies (monitorage) sont faites pour déterminer la période d’ovulation. Suivant le Dr Traoré, après le déclenchement de l’ovulation, les spermatozoïdes recueillis et traités, vont être injectés dans l’utérus de la femme. « On va prendre les spermatozoïdes et passer par le col de l’utérus, avec une canule spéciale pour arriver au fond de l’utérus et les injecter dans les trompes pour qu’ils aillent rencontrer l’ovule. Si la rencontre a lieu, la grossesse peut arriver », fait-il comprendre. Cependant, si les trompes ne sont pas perméables, M. Traoré indique qu’il y a d’autres techniques comme la fécondation in vitro où l’injection intra cytoplasmique. Si l’insémination artificielle coûte 175 000 F FCA, pour les deux autres techniques, il faut aller jusqu’à deux MILLIONS et demi de F CFA chacune, a fait savoir Dr Traoré. Il a, par ailleurs, indiqué que le taux de succès pour l’insémination artificielle varie entre 10 et 25%. L’injection intra cytoplasmique tourne autour de 40%. Mais la fécondation in vitro a dû être abandonnée par la clinique. « Nous avons abandonné la fécondation in vitro parce que nous n’avons pas un bon taux de succès. C’est autour de 25%, parce que les gens n’ont pas les moyens de le faire. Il faut donner beaucoup de chance aux gens », laisse-t-il entendre.
Rabalyan Paul OUEDRAOGO