Le Mouvement M21, né en 2013 pour lutter spécifiquement contre la vie chère au Burkina, organisation ayant pris une part active aux manifestations qui ont conduit à la démission du président Blaise Compaoré fin octobre 2014, invite le gouvernement post-transition "à s’attaquer aux préoccupations" car "rien ne bouge", selon son président Marcel Tankoano, dans un entretien à ALERTE INFO.
De quoi avez-vous parlé avec le chef du gouvernement Paul Kaba Thiéba à la rencontre à laquelle vous avez pris part fin mars à Bobo-Dioulasso (deuxième ville située à l’Ouest du pays) ?
Le Premier ministre Paul Kaba Thiéba a demandé à rencontrer les Organisations de la Société civile (OSC) pour une prise de contact. Mais quand nous sommes arrivés cette prise de contact a été transformée en plaidoyer. Cela veut dire que nous sommes passés sur des sujets phares relatifs à la situation nationale, à la gestion du gouvernement et autres questions d’actualité.
La rencontre regroupait l’ensemble des organisations de la société civile née avant l’insurrection et pendant l’insurrection populaire des 30 et 31 octobre 2014. C’était toute une pléiade d’organisation qui a pris part à cette rencontre dont à peu près une soixantaine d’OSC qui a été présente.
Vous avez accompagné la transition dont le Premier ministre Yacouba Isaac Zida, cité dans plusieurs affaires de malversations, quel commentaire faites-vous de cette situation ?
Votre question me donne l’occasion de dire la vérité rien que la vérité. C’est d’abord une situation qui est regrettable qu’aujourd’hui après la gestion d’un gouvernement nous en sommes là à discuter de parcelle, à parler de blanchiment d’argent et à nous bagarrer sur la personne de l’ex-Premier ministre Yacouba Isaac Zida. Nous pensons que véritablement s’il y a des problèmes de ce genre, il y a la justice qui est là et qui pourra bel et bien s’en saisir et conduire ces dossiers à bon terme.
Pour moi quand on parle des malversations de la transition, je suis écœuré. Cela me fait très mal parce que l’insurrection qui est l’expression de la volonté du peuple, il a fallu qu’il ait des hommes courageux devant pour diriger la transition. Une charte a été élaborée par toutes les forces vives du pays qui dit que les dirigeants de la transition doivent pouvoir conduire le pays vers des élections crédibles, apaisées et transparentes. Ce qui a été fait.
Le deuxième point concerne les crimes de sang et économiques. A ce niveau aussi la transition a pu quand même rouvrir les dossiers Thomas Sankara (ex-président de la révolution burkinabè assassiné en 1987) et Norbert Zongo (journaliste d’investigation tué en 1998). Des maires ont été interpellés pour mauvaise gestion sous la transition. Ce que les gens doivent comprendre, c’est que la transition a été jalonnée par des événements dont trois coups d’Etat échoués et un quatrième réussi mais mis vite en échec par le peuple. Alors les Burkinabè doivent comprendre que ça n’a pas été facile et que c’est dans ces conditions que les dirigeants en complicité avec le peuple ont bataillé pour mener à bon port notre transition qui a permis l’installation des nouvelles autorités.
Tout n’a pas été parfait c’est vrai mais qu’aujourd’hui un gouvernement élu qui a pris les rênes de notre pays sort des problèmes de la transition. Moi je pense qu’il faut s’attaquer aux réalités. Les réalités c’est que les populations cherchent à manger, à se soigner, à se loger, veut de l’emploi, entre autres. Donc pour moi les questions de parcelle, blanchiment d’argent et autres sont une diversion pure et simple. S’il est reproché quelque chose au Premier ministre Yacouba Isaac Zida, nous avons aujourd’hui une justice crédible qui peut l’interpeller quand et comme elle veut. S’il y a des parcelles qu’il a détourné, ou qu’il a retiré ou bien qu’il a payé mais pas en bonne et due forme qu’on rompt le contrat ou retiré la parcelle.
Il faut qu’on sauve les Burkinabè qui souffrent et qui continuent de souffrir au quotidien parce qu’il n’y a plus de solutions à leurs problèmes. En février le M21 a animé un point de presse pour demander un audit de tous les ministères de la transition jusqu’à l’institution de la présidence du Faso. Aussi on a demandé que les ministres déclarent à la fin leurs biens après leur gestion ce qui a été fait. Moi je pense que le nouveau pouvoir gagnerait à s’attaquer aux problèmes réels inhérents aux populations parce que tout est urgent au Burkina Faso.
Ne prenons pas la transition comme un problème. S’il faut considérer la transition comme un problème ou mettre en cause la transition, il faut attraper Blaise Compaoré et (son frère cadet) François, (l’ex-présidente de la Chambre de Commerce) Alizèta Ouédraogo dit Gando, Fatou Diendéré (épouse du général Gilbert Diendéré, auteur du coup d’Etat du 16 septembre 2016, incarcéré à la prison militaire à Ouagadougou) et autres putschistes et nous les ramener au pays. Le vrai problème il ne faut pas qu’on se leurre, c’est eux. C’est l’ancien régime qui est comptable de tous les problèmes de ce pays-là. Aujourd’hui que Yacouba Isaac Zida, soit humilié, insulté, vilipendé, ça n’engage que lui mais mois à sa place s’il m’est reproché quelque chose j’irai répondre devant la loi. Et Yacouba Isaac Zida, si c’est le cas qu’il aille répondre de ses propres turpitudes.
Qu’avez-vous à dire sur le blanchiment d’argent car certains accusent les autorités de la transition d’avoir financé en son temps des OSC acquises à sa cause, avec ces sommes ?
Quand nous avons rencontré le Premier ministre (Paul Kaba Thiéba), je lui ai posé la question de savoir le blanchiment d’argent des 86 milliards francs CFA dont il est question et qui divise les burkinabè aujourd’hui quand n'est-il exactement ? Il a dit non, le gouvernement n’a jamais dit que la transition a détourné de l’argent. M. Thiéba parle des fuites de capitaux vers des banques. Et donc il a parlé aujourd’hui des groupes armés qui tiennent de fortes sommes à leur endroit et qui mettent ces sommes là dans des banques pour pouvoir faire leur sale besogne. Donc une correspondance a été envoyée à tous les pays concernés pour vérifier le mode de financement des banques en vue de déceler d’éventuelles failles.
Aujourd’hui quand on parle de blanchiment, pour les Burkinabè, c’est comme s’il y avait une forte somme qui est déposée et que la transition a mis sa main dedans et a dilapidé. Vous me permettrez de dire ici que le président du Burkina Roch Marc Christian Kaboré (élu le 29 novembre 2015) dans son projet de société sur lequel il a convaincu les Burkinabè pour se faire élire, il nous parle de de 2.000 milliards FCFA à mobiliser pour la première année. Et donc que 86 milliards nous mettent en conflit et nous empêche même de décoller, il y a problème. Est-ce le départ de la transition qui a fait que nous ne bougeons pas ? Non. Les problèmes sont ailleurs. Il faut s’attaquer aux réalités. Que le panier de la ménagère change maintenant. Voilà de mon point de vue ce qui semble sérieux et important.
Quel est le bilan que vous faites sur les 100 jours de gouvernance de Roch Marc Christian Kaboré ?
En tout cas de mon point de vue ça ne bouge pas parce que les gens s’attendaient quand même à ce qu’il ait des solutions qui impacteraient leur quotidien. A tous les niveaux, vous qui êtes journalistes pouvez vérifier que ça ne va pas à l’heure actuelle. Récemment les magistrats sont allés en grève. C’est sûr que bientôt d’autres corps vont sortir aussi avec leurs revendications parce que les magistrats ont obtenu gain de cause.
Moi je pense que c’est au bout de six mois qu’on peut véritablement évaluer les actions du gouvernement. Mais déjà les prémices qu’on a vues au bout des trois mois sont quand même inquiétantes. Même les nominations à des postes clés jusqu’à présent n’ont pas été résolues. Le véritable problème c’est qu’on dit qu’il n’y a pas d’argent dans les caisses de l’Etat et que même la première année de gestion de M. Kaboré est une année de transition. Donc ça va encore être dur les jours à venir pour les Burkinabè. A l’heure actuelle on ne peut pas concrètement évaluer les actions du nouveau gouvernement parce que quoi qu’on dise il y a des difficultés qui se posent à lui et qui sont réelles. Donc M. Kaboré gagnerait très rapidement à travailler pour satisfaire ce peuple qu’il connait bien car les Burkinabè d’aujourd’hui ne sont plus prêts à se laisser faire.
Quelle appréciation faites-vous de la sortie médiatique des syndicats qui ont lancé un ultimatum à Roch Kaboré pour satisfaire leurs revendications dont l’application de la loi 081 ?
Vous savez Bassolma Bazié (secrétaire général de la Confédération général des Travailleurs du Burkina) l’a répété à plusieurs occasions que les nouvelles autorités ne sont que des nouveaux anciens dirigeants pour lui, donc les nouveaux dirigeants sont sensés connaître les problèmes réels des Burkinabè. Alors pour lui, étant donné qu’ils connaissent les réalités il n’allait pas y avoir de sursis. Le syndicat se disait que dès lors que le gouvernement va se mettre en place il allait s’attaquer aux réalités. Mais les syndicats se sont rendu compte que tel n’a pas été le cas, raison pour laquelle ils prennent la mesure pour montrer qu’ils sont au bout de leur patience.
Donc le président Roch Kaboré qui les écoute via les médias, c’est sûr qu’il va trouver des solutions très rapidement qui va les mettre en confiance. Maintenant en ce qui concerne la loi 081, ils dénoncent un dilatoire et j’espère qu’à ce niveau également une solution sérieuse va être trouvée pour satisfaire les travailleurs.
Que pensez-vous de la sortie de Soumane Touré, président du Parti de l’Indépendance du Travail et de la Justice (PITJ) qui a remis en cause les acquis de la transition, évoquant un non-respect de la Constitution après la démission de Blaise Compaoré ?
Dans la sphère politique Soumane Touré est reconnu pour ses sorties souvent hasardeuses. Et moi ce qui est regrettable c’est que quoi qu’on dise c’est un sage de notre pays. C’est un politicien aguerri qui connait très bien la société burkinabè. Quand il parle il ne reconnait même pas l’insurrection, je ne le comprends pas. Il condamne l’insurrection et veut même qu’on sanctionne les acteurs de la transition. Il demande à ce qu’on ramène Blaise Compaoré (exilé à Abidjan) et ses camarades. Il appelle en outre la jeunesse à une désobéissance civile. Il est évasif dans tout ce qu’il dit. C’est regrettable qu’avec l’âge qu’il a, un intellectuel comme lui parle ainsi.
Mais il est libre de ses propos, je suis d’accord. C’est vraiment regrettable qu’il ne puisse pas voir ce qui est arrivé dans notre pays et comprendre que c’est une histoire du Burkina qu’il a vécu. L’insurrection qui a pu mettre fin à un régime c’est l’histoire de notre pays. S’il nie tout cela et demande à ce qu’on ramène l’ancien président Blaise Compaoré, on ne peut que regretter. Mais il est responsable de ses propos.
On accuse votre organisation et biens d’autre OSC d’être passées de l’activisme à la passivité depuis l’installation début janvier des nouvelles autorités. Que répondez-vous à cela ?
C’est assez simple. Vous savez, l’insurrection a occasionné la naissance de toute une pléiade d’organisation de la société civile en plus de celles comme nous qui existaient. La plupart des OSC ont été des acteurs clés pour la réussite de la transition. Nous avons accompagné la transition. Il y en a qui disent les associations pro-Zida, non. Ce n’est pas parce qu’on est pro-Zida mais c’est parce qu’on accompagnait la transition. Il faut savoir ce qu’on veut dans une lutte. Maintenant s’agissant de ce nouveau régime qui a eu l’onction de la population, on attend de voir, on ne peut pas sortir comme ça. Quand on sort il faut qu’il ait une raison valable. Si on doit écouter les gens à chaque fois on serait dehors mais on ne nous prendra même pas au sérieux en ce moment. Et puis cela donnerait l’impression qu’on ne veut pas que les nouvelles autorités dirigent. Non. Nous sommes là et existons. Notre rôle ce n’est pas la conquête du pouvoir mais c’est de surveiller la gestion du pouvoir d’Etat.
Donc pour le moment on observe. Quand il sera nécessaire de réagir parce qu’il y a des couacs nous allons le faire comme nous l’avons fait de par le passé. Pour le moment le peuple les a fait confiant, ils (nouveaux dirigeants) ont la légitimité et la égalité de gérer les affaires du pays, donnons leurs le temps de pouvoir travailler sérieusement. Il faut qu’on les accompagne. Nous allons les interpeller s’il y a de bonnes raisons. On ne doit pas parler pour parler mais on doit parler quand il y a des sujets phares d’intérêt général pour les populations. En ce moment quand tu parles on t’écoute.
Avez-vous un avis sur le passage à une cinquième République dont la commission a été mise en place ?
Moi je veux que le gouvernement aille sur les priorités. Si conduire notre pays à une cinquième République apporte quelque chose aux Burkinabè pas de problème, qu’on soumette le projet. Mais si véritablement la souffrance des Burkinabè ne se retrouve pas dans ce référendum pour une cinquième République, ce n’est pas la peine qu’on s’entête. Moi je pense qu’il faut véritablement s’attaquer aux réalités. Je suis rentré d’une région il n’y pas assez longtemps mais je peux vous dire que ça ne va pas. Il y a des urgences.
BBO