Au Cameroun, il est de plus en plus question de ramener la présidentielle de 2018 à 2016. Or, pour organiser une élection anticipée, il faudrait procéder à une révision de la Constitution. Car, la loi fondamentale du 18 janvier 1996, révisée le 14 avril 2008 pour ouvrir une présidence à vie à Paul Biya, n’a pas prévu de cas d’anticipation d’une élection présidentielle. C’est pourquoi l’opposition crie à une entorse à la Constitution. Elle a certainement raison. Mais quel effet cette sortie peut-elle avoir sur l’omniscient et l’omnipotent maître absolu de Yaoundé ? Rien, peut-on affirmer. Car, Paul Biya a travaillé méthodiquement à faire de son opposition un simple gadget institutionnel. La preuve est que celui qui, dans le passé, troublait son sommeil, John Fru Ndi pour ne pas le nommer, est aujourd’hui avec son parti le SDF (Social democratic front), dans une situation politique qui s’apparente à une mort clinique.
Le président camerounais a les coudées franches pour gérer son pays selon ses intérêts et ses humeurs
Et comble de malheur, l’on a l’impression amère que le peuple camerounais préfère s’investir dans le « coller la petite »1 que de s’interroger sur l’état de la démocratie au Cameroun. A cela s’ajoute le fait que la France, l’ex-puissance coloniale, quel que soit le parti politique au pouvoir, n’a jamais levé le petit doigt pour faire observer à Paul Biya, au pouvoir depuis 1982, qu’il en faisait trop. De ce point de vue, le président camerounais a les coudées franches pour
gérer son pays selon ses intérêts et ses humeurs. Donc, s’il prend l’option d’organiser une présidentielle anticipée au Cameroun, cela passera comme une lettre à la poste. De par le passé, il a fait pire. En 2008, par exemple, il avait pris la décision de réviser la Constitution de 1996 de sorte à sauter le verrou qui limitait le nombre de mandats présidentiels. Depuis lors, les Camerounais ne se posaient plus la question de savoir quand Biya va lâcher le pouvoir. La question la plus pertinente qu’ils pourraient se poser dans ces conditions, est la suivante : quand est-ce que la loi implacable de la nature va enfin permettre au Cameroun de goûter à la joie d’une deuxième alternance, la première étant intervenue en 1982, quand le président Ahidjo, le père de la Nation, avait choisi de son propre chef de se retirer du pouvoir ? Cela dit et pour revenir à l’idée d’une présidentielle anticipée au Cameroun, l’on peut faire le constat que sur la question, les avis divergent, même dans le camp présidentiel. Pour ceux qui y sont favorables, deux raisons sont invoquées. La première est que l’agenda politique est surchargé en 2018, avec environ quatre élections prévues : la présidentielle, les législatives, les sénatoriales et les municipales. En outre, ils estiment que cet agenda politique serait néfaste à une organisation sereine de la Coupe d’Afrique des nations de football que le Cameroun accueille en 2019. La deuxième raison est que le Cameroun ne peut pas faire face au coût financier important qu’implique la tenue à bonne date, de ces scrutins dans un contexte où il est déjà obligé de se saigner financièrement pour contrer
Boko Haram. Parmi les partisans de Biya qui ne veulent pas entendre parler d’une présidentielle anticipée, l’on invoque les arguments suivants. D’abord, un scrutin prématuré ne permettrait pas à Biya de terminer ses grands chantiers, comme celui du port en eau profonde de Kribi.
A chaque fois qu’un dictateur révise une Constitution, l’on peut être sûr que ce n’est pas pour faire grandir la démocratie
Ensuite, à leurs yeux, l’anticipation de la présidentielle va réduire de deux ans le mandat de Paul Biya. Ce qui, du reste, serait illégal en vertu de la Constitution camerounaise. A l’analyse, l’on peut se rendre vite compte du caractère spécieux des arguments en provenance de la cour du chef des Bantous, c’est-à-dire Biya. En effet, à l’exception du cas de Boko Haram qui est un élément qui s’est imposé à la volonté du pouvoir, le gouvernement était bien longtemps au courant que 2018 était une année électorale chargée et que la CAN (Coupe d’Afrique des nations) se déroulerait au Cameroun en 2019. D’ailleurs, pour cette activité, c’est le Cameroun qui, en bonne et due forme, a bataillé pour obtenir son organisation sur son sol. C’est pourquoi l’on peut dire que les vraies raisons d’une présidentielle anticipée au Cameroun pourraient se trouver ailleurs. Il y a donc anguille sous roche. Et voici ces raisons. En 2018, Paul Biya aura 85 ans. Il a beau être pouvoiriste, il pourrait être gêné à cet âge-là de solliciter à nouveau un mandat de 7 ans. Ce qui l’amènerait à 92 ans et à 43 ans de pouvoir. C’est vrai, on est au Gondwana mais quand même ! pourrait-on s’indigner. Ensuite, Paul Biya ne veut pas prendre le risque d’organiser une présidentielle en 2018 avec les contestations potentielles que cela pourrait susciter et ce, à quelques encablures de la fête panafricaine du football. Organiser donc la présidentielle en 2016 pourrait lui donner le temps de faire face à toute éventualité qui pourrait gâter la fête du ballon rond qui représente, avec le Makossa, les 2 « religions » du Cameroun. Enfin, la troisième vraie raison pourrait être liée au fait que Paul Biya pourrait s’abriter derrière l’idée de la présidentielle anticipée qui exige au préalable la révision de la Constitution, pour introduire dans la loi fondamentale, des dispositions d’une dévolution monarchique du pouvoir. A ce propos, à ce que l’on dit, il n’est pas exclu que son fils, Franck Biya, soit adoubé pour lui succéder. En tout cas, à chaque fois qu’un dictateur révise une Constitution, l’on peut être sûr que ce n’est pas pour faire grandir la démocratie. Loin de là, c’est plutôt pour la rendre davantage rabougrie. Mais Paul Biya ne perd rien pour attendre. Car, un jour, le peuple camerounais se réveillera et ce jour finira par arriver, pour la simple raison qu’il pourrait avoir marre d’être traité par le système Biya comme un crétin. Ce jour là, l’alternance se fera contre Biya. Et il regrettera de n’y avoir pas pensé à temps, au contraire de son prédécesseur Ahidjo en 1982, Senghor au Sénégal et Julius Nyéréré en Tanzanie.
« Le Pays »
1- Titre d’une chanson en vogue au Cameroun