Dans le domaine de la santé, il est établi que de la qualité de la communication patient-soignant impactent les résultats des traitements. Constat avec une sage-femme, en milieu rural burkinabè.
Elle fait partie de ceux-là qu’on appelle abusivement «fonctionnaires de brousse». En effet, Aguiératou Ouédraogo/Zongo, c’est d’elle qu’il s’agit, est une sage-femme en poste au CSPS de Dassa. Il s’agit d’une commune rurale, à 33 km à l’ouest de la ville de Réo, en allant vers Didyr, dans le Centre-Ouest. Cette jeune dame, mariée et mère d’une fille de deux ans, subit les désagréments inhérents parfois à la vie dans certaines localités reculées de l’intérieur du pays. Pour l’eau, il faut se contenter de la pompe publique du CSPS. Bien que ce chef-lieu de commune soit connecté à l’électricité, le centre de santé n’a pas encore goûté aux délices du courant continu. Les derniers poteaux électriques «s’arrêtent» à seulement un jet de pierre du bloc sanitaire de Dassa.
«J’ai une batterie à laquelle je branche une ampoule pour éclairer la maison, pour les accouchements, nous utilisons l’éclairage solaire», confie-t-elle, d’une voix grave. Aussi, Mme Ouédraogo doit vivre, la
plupart du temps, éloignée de son mari qui est basé à Koudougou. Au travail également, la sage-femme n’échappe pas aux difficultés liées à l’insuffisance de matériels qui caractérise la plupart des centres de santé du pays, surtout en milieu rural. Mais pour elle, tous ces aléas paraissent mineurs, comparés à la barrière linguistique qui se présente lorsque l’agent de santé ne s’exprime pas dans la langue couramment parlée par les populations. La sage-femme comprend bien le mooré et le français, «se débrouille» en dioula, alors que, à Dassa, c’est le lélé qui règne. Très peu de femmes, ces cibles privilégiées, manipulent la langue de Molière ou les autres langues dont elle a une maîtrise.
Or, il est reconnu que la communication est un élément essentiel de la prise en charge des patients. En outre, le fait de ne pas pouvoir communiquer efficacement à cause d’une barrière de langue, peut créer des malentendus, et par conséquent augmenter l’anxiété et la frustration ressentie par le malade. L’équation qui se pose souvent à Aguiératou Ouédraogo, c’est de découvrir un mal pour le traiter ou donner des conseils à quelqu’un avec qui l’on ne partage pas les mêmes codes linguistiques. Certes, dans les CSPS il peut y avoir des bénévoles parlant la langue locale. Mais, fait-elle remarquer, le recours à des interprètes non professionnels peut s’avérer délicat. D’abord, il existe des risques que ceux-ci ne traduisent pas fidèlement les prescriptions de la sage-femme. Ensuite, l’obstétrique est un domaine d’intimité, de confidentialité et de secret par excellence. Mme Ouédraogo prend le cas du test du VIH qui est requis dès les premières consultations de la femme enceinte, dans le cadre de la prévention de la transmission mère-enfant de la maladie. Faut-il faire appel à un interprète qui risque de dévoiler la sérologie de la patiente dans tout le village ? s’interroge-t-elle.
«… le jour où les enfants finiront dans mon ventre…»
Par ailleurs, les limites communicationnelles plombent les activités de counseling et de sensibilisation, incontournables si l’on veut obtenir un changement de comportements. Par rapport à la planification familiale par exemple, «ça ne va pas», nous dit la sage-femme. Elle indique que du début de l’année 2016 à la fin mars, le CSPS a enregistré 37 nouvelles utilisatrices de méthodes contraceptives. Cette situation s’explique par un a priori assez atypique dans la localité, selon lequel chaque femme naît avec un certain nombre d’enfants dans son ventre qu’elle doit impérativement mettre au monde, au risque d’avoir des maux de ventre atroces. Mme Aguiératou Ouédraogo poursuit que la même croyance trouve une réponse aux cas de femmes qui contrôlent leur maternité sans être victimes de ces «fameux» maux de ventre. «C’est parce que celles-ci, les femmes fonctionnaires surtout, font une piqure en ville qui les protège», avance-t-on dans le village. Nous avons rencontré une dame, venue pour une méthode contraceptive, mais qui dit croire à ce qui se raconte sur l’enfantement. Elle se nomme Georgette Bassolé. C’est une femme de 35 printemps, ayant déjà eu 6 enfants en 15 ans de mariage. Son dernier, âgé d’une année et deux mois dans les bras, Mme Bassolé présente une allure émincée et un air fatigué. Elle porte sur la tête, un morceau de tissu qui cache mal des cheveux mélangés et, visiblement, en manque d’entretien. Néanmoins, elle a le sourire et explique être récemment venue de la Côte d’Ivoire où elle a eu l’occasion d’expérimenter la contraception.
La dame au foulard de fortune reconnaît qu’elle n’a jamais de difficultés particulières avec les méthodes contraceptives. «A chaque fois que je suspends, je parviens à tomber enceinte», assure-t-elle. Cette fois-ci, en se soumettant à la contraception, elle dit vouloir se reposer pendant trois à quatre ans. Lorsque nous lui demandons si elle n’envisageait pas arrêter de faire d’autres enfants, sa réponse est celle la mieux partagée dans la localité : «Je cesserai d’enfanter, le jour où les enfants finiront dans mon ventre…». Avec elle au moins, qui «bricole» le français, l’on peut débattre de cette conception de la maternité. Mais avec les autres, la grande majorité des femmes de Dassa, uniquement «léléphones», dans quelle langue la sage-femme Ouédraogo va-t-elle engager les échanges ? C’est pourquoi, elle propose que l’on puisse tenir des capacités linguistiques dans les affectations des sages-femmes. Cela est-il vraiment réalisable actuellement dans un pays où le ratio est d’une sage-femme/maïeuticien pour 10823 habitants, contre des normes OMS d’une sage-femme pour 5000 ? Aguiératou Ouédraogo espère.
Koumia Alassane KARAMA