Le 19 juillet dernier, dans notre rubrique « Bonjour », nous faisions cas d’une école de la commune de Saaba qui aurait reçu sa dotation de vivres en retard. Ces vivres sont arrivés en juin 2012. De retard, il n’en n’est rien car, selon le directeur de l’allocation des moyens spécifiques aux écoles (DAMSE), Henri Ouédraogo, « ce retard entre dans le cadre de la mise en œuvre du plan opérationnel de soutien aux populations vulnérables, initié par le gouvernement du Burkina Faso pour apporter une riposte à la crise alimentaire que notre pays traverse ». Cette réponse nous a été donnée le vendredi 27 juillet 2012 au cours d’une interview qu’il nous a accordée. A cette occasion, il a abordé plusieurs autres sujets dont la contribution de l’Etat et de ses partenaires. Par exemple, cette année, ces derniers ont mobilisé près de 40 milliards de F CFA pour la cantine scolaire. Les difficultés et les perspectives des cantines scolaires ont également été évoquées.
« Le Pays » : Des écoles auraient reçu leurs vivres en retard ; le dernier cas en date dont la presse s’est fait l’écho, est relatif à une école de Saaba qui aurait reçu sa dotation en juin 2012. D’abord, est-ce que vous confirmez l’information et qu’est-ce qui s’est réellement passé ?
Henri Ouédraogo : Avant de confirmer ou d’infirmer ce qui vient d’être dit, permettez-moi de dire que le Burkina Faso, avec l’aide de ses partenaires, a mis en place les cantines scolaires afin de soutenir la fréquentation scolaire, de favoriser les apprentissages afin d’obtenir un enseignement de qualité. Revenant à votre question, je dirai oui et non en même temps. Vous comprendrez pourquoi. Je dirai effectivement que l’école de Saaba, comme bien d’autres écoles à travers le pays, a reçu ses vivres en juin, voire juillet. Cela est dû à une raison bien simple. Ce n’est pas l’opération que nous avons l’habitude de mener, mais une opération spéciale qui relève de la mise en œuvre du plan opérationnel de soutien aux populations vulnérables. C’est dans ce cadre que le ministère de l’Education nationale et de l’alphabétisation (MENA) a reçu des vivres pour les mettre à la disposition de plus de 1800 écoles qui n’avaient pas été servies lors de la première opération. Voilà l’explication que je peux donner.
De façon générale, quel est le nœud du problème ?
Le nœud du problème en ce qui concerne les cantines scolaires, permettez-moi avant tout de parler de façon générale, est que le pays est divisé en 3 zones. Il y a la zone Etat, la zone Catholic Relief Services (CRS) et la zone Programme alimentaire mondial (PAM). En ce concerne la zone PAM, elle concerne quatre provinces du Sahel : le Séno, le Soum, l’Oudalan et le Yagha. Ensuite, nous avons la zone CRS qui regroupe les 5 provinces de deux régions. Ce sont les 3 provinces du Centre-Nord : le Bam, le Sanmentenga et le Namantenga, plus les deux provinces de l’Est, c’est-à-dire la Gnagna et la Komandjari. L’Etat a la charge de 41 provinces. Alors le nœud du problème se situe à plusieurs niveaux. D’abord, il faut qu’il y ait des vivres, sinon pas de distribution. A ce niveau, nous accusons parfois de petits retards dans l’acquisition des vivres. Ensuite, la procédure administrative à ce niveau est parfois très longue. Alors, il suffit qu’il y ait de petits manquements au niveau du dispositif et tout le processus est repris à zéro, d’où le problème de la disponibilité des vivres. La deuxième difficulté est liée aux transports. A ce niveau, vu l’état des routes, nous connaissons souvent des insuffisances de camions pour l’acheminement des vivres au niveau des circonscriptions.
Quel est le mécanisme que vous utilisez pour la distribution des vivres ?
La procédure, vous la connaissez : c’est l’avis d’appel d’offres. Il faut lancer un avis d’appel d’offres pour recruter les fournisseurs qui mettent les vivres à notre disposition.
Les cantines endogènes étaient censées suppléer, à terme, la subvention de l’Etat et la contribution des partenaires. Comment se portent-elles aujourd’hui ?
La politique du MENA en matière de cantines scolaires est la promotion des cantines endogènes, c’est-à-dire les cantines par nous et pour nous – mêmes. Par exemple, les années précédentes, les trois premiers mois de l’année scolaire étaient pris en charge par la communauté éducative qui procédait à la collecte des vivres après la récolte. En 2010/2011, ces derniers ont pu récolter 6 000 tonnes de vivres. Mais cette année, on ne pouvait pas parler de cantines endogènes puisque les producteurs n’ont pas récolté grand-chose. Raison pour laquelle, cette année, nous n’avons pas attendu janvier avant de commencer la distribution. Tout est question de volonté et de choix et si on développait les activités de production à l’école, tel que le jardinage, l’élevage, l’agriculture, etc., nous résoudrions beaucoup de problèmes à la fois.
Les cantines scolaires mobilisent un budget non négligeable. Quel est le coût moyen annuel des cantines scolaires ? Quelle est la contribution de l’Etat et des partenaires ?
Effectivement, les cantines scolaires engloutissent d’énormes ressources. Il faut relever que toutes les écoles du Burkina Faso ne recevaient pas de vivres et ce n’est que très récemment que les élèves des grandes villes comme Ouagadougou et Bobo-Dioulasso et autres ont commencé à en recevoir. Ce n’est qu’en 2009/2010 et 2010/2011, dans le cadre des filets sociaux, que ces écoles ont renoué avec les cantines scolaires. En 2009/2010, en plus du programme habituel, le MENA a bénéficié respectivement de 12,3 milliards de F CFA pour l’acquisition des vivres pour une durée de 4 mois. Pour l’année scolaire 2010/2011, nous avons eu 8 milliards de F CFA en plus de l’opération habituelle, ce qui nous a permis de couvrir 98% des écoles pendant 4 mois. Si vous voulez donner une ration alimentaire à ces enfants pendant toute l’année scolaire, c’est-à-dire les 8 mois, alors vous allez devoir mobiliser près de 35 milliards de F CFA. Cela n’inclut pas le transport, le stockage, l’expertise et le suivi – évaluation. Cela n’est pas une chose aisée ; c’est pourquoi certains partenaires viennent en aide au gouvernement. Pour l’opération spéciale en soutien aux personnes vulnérables dont les élèves font partie, l’Etat a dû mobiliser 2 milliards 100 millions de F CFA pour environ 400 000 enfants sur 1800 écoles pour une ration de deux mois. Si vous faites une extrapolation sur 4 à 6 mois, vous conviendrez avec moi que cela coûte cher au budget de l’Etat. C’est trop prétentieux de vouloir donner à manger à tous les enfants du Burkina pendant toute l’année scolaire sans l’appui des partenaires.
Parlons de la qualité des vivres. L’on se souvient qu’il y eut une année où des vivres avaient été retirés des magasins parce qu’ils étaient impropres à la consommation. Comment cela est-il arrivé ? Par quel mécanisme votre direction peut-elle s’assurer que les vivres avariés ou dangereux pour la santé ne se retrouvent pas dans les cantines ?
A ce niveau, effectivement, il y a eu des années où dans certains de nos magasins, on s’est retrouvé avec des sacs impropres à la consommation. Vous savez que c’est par appel d’offres que les vivres sont acquis. Donc il peut arriver que ces vivres soient détériorés pendant le conditionnement, le transport ou pendant le stockage. Il y a aussi que les magasins des écoles ne répondent pas aux normes et peuvent être aussi la cause de la détérioration des denrées. Sinon, dès que les denrées arrivent au pays, elles font systématiquement l’objet de contrôles par de grands cabinets d’expertise. Toutefois, au cours de ces contrôles, malgré leur vigilance, des choses peuvent leur échapper. Si je me réfère à l’opération spéciale qui vient de se terminer au mois de juin, effectivement les experts ont retiré des centaines de sacs impropres à la consommation. Une fois que nous constatons qu’il y a des vivres de mauvaise qualité, nous procédons à leur retrait automatiquement.
Cette année a été particulièrement marquée par la dotation des écoles privées en vivres par l’Etat. Pourquoi cette mesure ? Est-elle spontanée ou susceptible d’être renouvelée ? Sinon, quelles seraient les conséquences ?
Depuis un certain temps, les écoles privées officiellement reconnues reçoivent des vivres pour le fonctionnement des cantines scolaires au même titre que les écoles publiques. Les élèves sont tous du Burkina, ils ont les mêmes droits. Ce n’est pas une opération qui va s’arrêter, elle va se poursuivre. Si nous prenons certaines écoles de Ouagadougou, certains établissements privés ont interpellé la DAMSE afin qu’elle revienne reprendre les vivres car elles disent n’avoir jamais sollicité des vivres auprès de celle – ci. Nous privilégions les écoles des zones qui, sur le plan alimentaire, sont déficitaires. Ensuite, nous avons un problème de maîtrise du nombre d’écoles et des effectifs des élèves. Il n’y a pas de raison que les chiffres de la DAMSE ne soient pas les mêmes que ceux de la DEP ; il y a quelque chose qui ne va pas quelque part. Nous cherchons à comprendre. Cette année, l’Etat a demandé aux responsables au niveau déconcentré de fournir la liste des écoles officiellement reconnues. Cela va permettre d’avoir une base de données assez fiable, toute chose qui va nous permettre d’être plus efficaces dans la distribution des vivres.
Il nous est revenu que certains enseignants détournent ces vivres à des fins personnelles. Certains les revendent même à des commerçants. Que faites – vous dans ce cas ?
Il y a un dispositif sécuritaire qui est mis en place mais comme vous le savez, nul n’est infaillible et tout système peut avoir des failles. Effectivement, nous avons souvent eu vent des détournements de vivres. Si l’information est avérée, les fautifs, comme dans bien d’autres domaines, subissent la rigueur de la loi. Nous avons repéré des enseignants qui sont passés en conseil de discipline pour des cas de malversation. Nous avons au niveau provincial un contrôleur provincial des vivres scolaires. Au niveau de la Circonscription d’éducation de base (CEB), nous avons également un contrôleur. Nous demandons qu’on nous dote de moyens conséquents pour minimiser les conséquences. Car les élèves sont les seuls bénéficiaires des vivres. Ni les parents, ni les enseignants, encore moins toute autre personne, ne doivent en prélever pour quelque raison que ce soit.
Est-ce que les vivres donnés aux établissements sont les mêmes que ceux d’il y a quelques décennies ?
Effectivement, nous tous avons bénéficié des vivres quand nous étions à l’école primaire. Mais avec l’évolution du temps et des effectifs, il y a effectivement des changements au niveau des denrées. Dans le temps, on servait du couscous jaune, du jus d’orange, de la sardine, etc. A l’heure actuelle, les denrées qui sont mises à la disposition des élèves sont du riz, du haricot et certaines denrées récoltées à la base qui viennent enrichir le menu des élèves. Est-ce que les élèves payent pour avoir accès à la cantine scolaire ? A notre niveau, il n’y a aucune contribution de la part des élèves, ni des parents encore moins de l’école. Mais nous faisons remarquer que nous donnons les vivres à l’état brut. Pour les transformer en repas, il y a un certain nombre de contraintes qu’il faut observer. Il faut, par exemple, acheter les ustensiles de cuisine, le bois, payer les cantinières. Ces charges supplémentaires, l’Etat à lui seul ne peut pas les supporter, et pour cela nous demandons la contribution de la communauté éducative pour le fonctionnement des cantines. Et c’est dans ce cadre que les APE et les AME demandent une contribution financière pour le fonctionnement des cantines. Sinon, il n’y a pas une directive du MENA pour une cotisation quelconque.
Un mot pour conclure ?
Nous sommes constamment interpellés par la presse et cela nous amène à ajuster parfois nos actions. Je profite lancer un appel à l’endroit des enseignants pour leur dire que les vivres qui sont mis à la disposition des élèves doivent aller entièrement aux élèves. Nous lançons un appel à tous les acteurs du monde éducatif pour une bonne gestion de la chose publique. Face aux effectifs de plus en plus pléthoriques des élèves dans nos classes et comme l’Etat ne peut pas tout faire, nous demandons à nos partenaires de nous accompagner. Nous lançons un appel également à tous les opérateurs économiques et aux hommes de bonne volonté de ne pas hésiter à faire un geste pour soutenir le fonctionnement des cantines scolaires. Car ventre vide n’a point d’oreilles. Dans certaines zones où la crise alimentaire a été très déficitaire, nous avons remarqué que certains élèves ont abandonné les classes.
Interview réalisée par Ambèternifa Crépin SOMDA et Djakaridja SAVADOGO (Stagiaire)