Le Quatrième Mur, le 6e roman de Sorj Charandon, est une plongée dans les entrailles de la guerre. C’est le récit d’un rêve fou : monter Antigone de Jean Anouilh au Liban, pendant la guerre. Une utopie portée par une écriture nerveuse et puissante. De ce voyage en Enfer, le lecteur en revient sonné mais conquis.
Samuel Akounis, Sam est un metteur en scène de théâtre et surtout un Juif grec qui a fui la dictature des Colonels dans son pays pour se réfugier en France. Il rêve de monter Antigone de Jean Anouilh au Liban avec des comédiens amateurs de toutes les communautés. Terrassé par un cancer en phase terminale, il charge son ami Georges de mener à bien cette utopie.
C’est ainsi que le narrateur, laissant à Paris femme et fillette, débarque dans la fournaise de Beyrouth en 1982. Parcourant ce pays en guerre, manquant de se faire trucider, il rencontre des comédiens issus de toutes les communautés impliquées dans le conflit. Créon est un chrétien maronite, Hémon est un musulman druze, la nourrice et les 3 gardes sont des Chiites et Antigone est une Palestinienne sunnite.
Le temps de cette unique représentation, Georges rêve que les combattants touchés par la beauté de la pièce baisseront les canons de leur fusil. Ainsi l’art pourra retisser les fils de la fraternité rompue entre communautés, et surtout vaincre la violence.
Le Quatrième Mur est un texte magnifique servi par un style travaillé à l’épure avec des phrases brèves, percutantes comme des rafales d’une mitraillette. Et les descriptions sont concises et sans fioritures, un peu comme des didascalies pour restituer le théâtre de la guerre. Il fait entendre la fureur du monde, sa noirceur traversée par des éclairs de grâce. Rien d’étonnant donc que ce roman ait récolté beaucoup de lauriers. Prix Goncourt des lycéens en 2013, Prix des Libraires du Québec en 2014.
L’auteur, Sorj Charandon, a été Reporter de guerre pour le journal « Libération » pendant la guerre du Liban. Il a vécu le bombardement israélien sur les camps palestiniens et les massacres de Sabra et Shatila. Il a rendu compte de ces horreurs avec toute la retenue et le recul qu’exige l’écriture journalistique. Une écriture neutre qui veut que l’on accroche son cœur au porte-manteau comme une écharpe avant d’écrire.
Pourtant, le reporter avait besoin d’exprimer son ressenti de la guerre du Liban. Il a attendu 30 ans. Avec ce texte de fiction qui puise dans cette expérience douloureuse, il amène son narrateur et son double, Georges, au plus près de l’horreur et lui laisse la liberté d’épancher ses sentiments. Il nous donne une image terrible du monde mais pas désespérée. Parce qu’au cœur de l’horreur, il y a toujours place pour l’amour, pour la fraternité, pour la beauté.
Ce livre vibre d’une lancinante douleur et pulse d’une étrange douceur. Dans cette époque où la littérature est devenue insipide et nombriliste, Le Quatrième Mur se tient à l’écart. Le lecteur en ressort tout heureux de ce roman qui témoigne de la capacité de la littérature à se coltiner à l’horreur et d’instiller néanmoins l’espoir.
Ce livre est né de la douleur. C’est un cri modulé qui finit en chant, une fleur exquise qui a poussé sur un charnier. C’est un livre essentiel à lire absolument.
Saïdou Alcény Barry