Ceci est une déclaration des organisations professionnelles des médias relative à l'affaire de suspension du bimensuel L'Evénement par le Conseil supérieur de la communication (CSC) pour "publication de secrets militaires".
Depuis quelques semaines, nous assistons à une sorte de passe d’armes entre le Conseil supérieur de la communication (CSC) et le journal L’Evènement. En effet, le vendredi 19 février 2016, l’opinion a été informée par un communiqué de la suspension du bimensuel L’Evènement. Cette suspension fait suite à la parution de L’Evènement N°320 du 10 février 2016 dans laquelle un article intitulé : « Les poudrières du Burkina ». Dans son communiqué de suspension, l’instance de régulation soutient que le journal « livre avec forces détails, plan à l’appui, des informations techniques et géographiques des différents dépôts d’armement des Forces armées nationales ». Le CSC, en conséquence, a décidé de la suspension du journal pour une période d’un mois.
Considérant la gravité de la sanction,
Considérant que les organisations professionnelles des médias et le Centre National de Presse Norbert Zongo (CNP-NZ) ont toujours œuvré à privilégier le dialogue entre les médias et l’organe de régulation,
Nous, organisations professionnelles des médias, avons donc décidé de rencontrer les deux parties, le journal L’Evènement et le CSC afin de :
Premièrement mieux comprendre les manquements reprochés au journal et les motivations de la sanction prise par le CSC ;
Deuxièmement demander au CSC de reconsidérer sa sanction notamment en levant la suspension qui frappe le journal.
Après avoir rencontré le Directeur de publication de l’Evènement, une délégation du Centre National de Presse Norbert Zongo a rencontré la Présidente du CSC et son équipe le 25 février 2016 au siège de l’institution afin de plaider pour la levée de la suspension. A la suite des échanges, la Présidente a affirmé ne pas être opposée à la levée de sanction. Cependant elle a renvoyé notre mission vers l’Etat-major général car, selon elle, la sanction fait suite à une plainte de l’armée.
Pour notre part nous pensons que l’Armée, bien qu’étant la partie plaignante (et justement parce qu’elle est la partie plaignante), ne peut pas être celle qui décide de la levée de la sanction ou non. Si le CSC, qui se dit être disposé à lever la sanction, conditionne encore la levée de cette sanction à l’accord de l’Armée, cela reviendrait à reconnaître que la sanction lui a été imposée par l’Armée. Mais puisque nous étions allés dans un esprit de dialogue et de médiation, alors nous avons accepté l’idée de rencontrer aussi l’Etat-major général de l’Armée. D’autant plus que c’était une occasion de partager un certain nombre de préoccupations des médias avec l’Etat-major sur les rapports entre l’armée et les organes de presse. A cet effet, des démarches ont été entreprises pour une demande d’audience au niveau de l’Armée. Jusqu’à ce jour nous attendons la réaction de l’Etat-major de l’Armée.
Concomitamment à la démarche de dialogue, L’Evènement avait saisi le Tribunal administratif aux fins de lever la sanction. Nous avons assisté à ce procès le 3 mars 2016. Au cours du procès public, tous ceux qui ont assisté à l’audience ont pu voir les difficultés que le CSC et son conseil ont eu à justifier la sanction. Dans la forme comme dans le fond, des manquements graves ont été reprochés au CSC quant à cette sanction. Le CSC a reconnu n’avoir pas auditionné le journal avant de prendre la décision de suspension. Ce seul fait constitue un manquement grave. C’est un principe général de droit qui veut que nul ne soit sanctionné sans avoir eu l’occasion de s’expliquer sur les faits qui lui sont reprochés. Le CSC justifie le fait de n’avoir pas auditionné les responsables du journal au prétexte que le journal était récidiviste. Outre le fait que le CSC emploie une notion ambiguë en matière de délit de presse à savoir « la récidive», il a été entendu au procès que rien ne pouvait dispenser le CSC d’une audition des responsables du journal dans des actes pour lesquels ils sont présumés coupables.
En outre, tout au long du procès, il est apparu que la sanction prise par le CSC a été plus motivée par un rapport qui lui a été fourni par l’Armée plutôt que par un jugement indépendant du collège des conseillers. Il est bon de rappeler que le CSC est une institution républicaine. La Constitution qui l’a reconnue affirme sans ambiguïté l’indépendance de l’institution. A ce titre, les conseillers ne sauraient prendre une sanction contre un organe de presse fondée principalement sur les motivations sinon les injonctions d’une tierce partie.
A l’issue du procès, le tribunal a délibéré en prononçant un sursis à exécution de la sanction qui pesait contre L’Evènement.
Nous pensions être sur une bonne sortie lorsque nous apprenons que le CSC ou son conseil a interjeté appel de la décision du juge administratif. Mieux (ou pire), à la suite de la reprise de parution de L’Evènement notamment la sortie du n°321 du 10 mars 2015, le CSC a fait une sortie médiatique pour protester contre la reprise du journal L’Evènement au motif que l’appel introduit suspend la décision du juge administratif. Sans tomber dans le débat juridique où le CSC n’a pas non plus le fin mot, les organisations professionnelles des médias constatent avec regret que le CSC, qui s’était dit ouvert au dialogue et disposé à lever la sanction, continue de faire des pieds et des mains pour maintenir la suspension du journal.
Au regard de tout ce qui précède, les organisations professionnelles signataires de la présente déclaration :
- regrettent les attitudes du Conseil supérieur de la communication qui emploie un double langage dans l’affaire de la suspension du journal L’Evènement,
- Dénoncent les connexions coupables entre le CSC, une institution sensée travailler en toute indépendance, avec une partie plaignante fut-elle l’Armée,
- Invite le CSC à se ressaisir et à se recentrer sur sa mission de régulation des médias et à éviter les comportements de justicier qui poussent l’institution lentement mais sûrement vers la dérive.
Par conséquent, nous, organisations professionnelles des médias, affirmons notre solidarité et notre soutien au journal L’Evènement qui, du reste, a été partiellement reconnu dans ses droits par une juridiction de l’ordre administratif en attendant le jugement de l’affaire au fond.
Par ailleurs, les organisations professionnelles tiendront une conférence de presse le jeudi 24 mars au Centre national de presse Norbert Zongo. Mus par une ferme volonté de contribuer à un débat constructif sur le professionnalisme dans les médias et sur la régulation, nous envisageons ouvrir un débat public avec les acteurs sur ces sujets. Pour le cas spécifique des « secrets militaires », les organisations professionnelles des médias en conviennent qu’ils ne doivent pas être diffusés dans la presse. Mais encore faut-il savoir exactement ce qui est « secret » et ce qui ne l’est pas. Aussi, voudrions-nous réaffirmer notre disponibilité à un dialogue constructif avec les forces armées nationales sur ces questions d’importance capitale.
Ouagadougou, le 21 mars 2016
Ont signé,
Pour le Centre nationale de presse Norbert Zongo (CNP/NZ) : Boureima OUEDRAOGO, Président du Comité de Pilotage ;
Pour la Société des Editeurs de la presse privée (SEP) : Lookman SAWADOGO, Président
Pour le Syndicat autonome des travailleurs de l’information et de la culture (SYNATIC) : Sidiki Dramé, Secrétaire Général ;
Pour l’Association des Journalistes du Burkina (AJB) : Guezouma Sanogo, Président,
Pour l’Union nationale de l’audiovisuel libre du Faso (UNALFA), Charlemagne ABISSY, Président
Pour l’Association des retraités de l’information, Paul Ismaël OUEDRAOGO, Président
Pour l’Association des éditeurs et promoteurs de journaux en langues nationales (AEPJLN), Evariste ZONGO, Président ;
Pour l’Association des médias communautaires (AMC), André Eugène ILBOUDO, Président
Pour le Réseau d'initiatives de journalistes (RIJ), Boureima LANKOANDE, Coordonnateur
Pour Reporter du Faso, Abdoulaye TAO, Secrétaire Général
N.B : la titraille est du site