Au lendemain des indépendances, à l’exception du Sénégal, tous les pays africains étaient régentés par le système du parti unique. Toute l’Afrique a été témoin des excès liés à un tel régime. C’était l’époque des "pères de la Nation" où toute la vie des Etats était suspendue au génie, au charisme ou plutôt au diktat d’un homme dont on chantait les hauts faits au quotidien, dans tous les établissements scolaires. Cette Afrique-là a pris un coup de massue sur la tête, avec l’évolution du monde en général et avec le discours de la Baule en 1990 en particulier. De ce fait, bien des Etats sont allés à la démocratie avec bien sûr des fortunes diverses. Lorsque l’on fait le point aujourd’hui de l’état de la démocratie sur le continent, l’on peut noter des avancées significatives en ce qui concerne certains pays. Mais dans bien d’autres, force est de reconnaître que la démocratie y est malmenée et ce, en dépit du fait que les élections y sont régulièrement organisées et que ces pays se sont dotés d’institutions, parfois pléthoriques il faut le souligner, dont l’objectif est d’aider à l’ancrage de la démocratie. Mais à bien observer les choses, on peut se rendre vite compte que cela n’a pas favorisé pour autant la promotion de la démocratie et de l’alternance politique en Afrique.
Le mandat unique peut favoriser un renouvellement permanent du personnel politique
Et face à cet état des choses, l’on pourrait pointer du doigt la possibilité qu’offrent la plupart des Constitutions africaines aux candidats au fauteuil présidentiel, de briguer plus d’un mandat. La mode est au mandat renouvelable une fois. Certains présidents mettent un point d’honneur à respecter strictement cette disposition. Mais beaucoup d’autres, au terme de leur deuxième et dernier mandat, décident de revoir les règles du jeu à coup de tripatouillages de la Constitution pour s’accrocher au pouvoir. C’est pourquoi il serait intéressant, dans la perspective de la promotion de la démocratie et de l’alternance politique en Afrique, d’envisager le principe du mandat unique. Les avantages d’une telle disposition constitutionnelle sont multiples. D’abord, elle peut contribuer à améliorer la gouvernance économique. En effet, lorsqu’un président est élu pour un seul mandat, il gouverne avec l’idée que celui qui va lui succéder peut exiger un droit d’inventaire. De ce point de vue, il est contraint de mettre la vertu dans la gestion des affaires publiques. Et par ricochet, c’est l’ensemble de son équipe qui va adopter cette posture morale. Ensuite, le mandat unique peut favoriser un renouvellement permanent du personnel politique. Et l’Afrique en a besoin, par ces temps qui courent où elle a plus que jamais besoin de sang neuf pour oxygéner la vie politique en vue de se donner plus de chances de développer plus d’initiatives novatrices et hardies pour mieux faire face aux nouveaux défis qui se présentent à elle. Et ce renouvellement du personnel politique que peut susciter le mandat unique, peut s’opérer aussi bien dans le camp du président sortant que dans celui des partis de l’opposition. Le troisième avantage et qui vaut son pesant d’or, est que le mandat unique peut contribuer à briser le mythe de l’indispensabilité que cultivent habilement certains présidents africains. En effet, lorsqu’un régime politique engrange des succès, l’on a tendance à mettre cela à l’actif exclusif du seul président et à passer par pertes et profits le rôle joué par les hommes et les femmes qui l’ont accompagné dans sa gouvernance. Ce faisant, l’on infantilise ses collaborateurs et l’on magnifie le président au point qu’il peut finir par croire que sans lui, rien ne tiendrait plus debout. C’est ainsi que l’on contribue consciemment ou non à façonner des demi-dieux qui ont pris possession de nos palais présidentiels et qui n’envisagent pas une autre vie en dehors des honneurs liés à la fonction présidentielle. De toute évidence, si l’on arrive à briser ce mythe de l’indispensabilité par la culture du mandat unique, l’on ouvrira mieux la porte à l’alternance politique en Afrique. Mais certains pourraient objecter en disant que le mandat unique ne garantit pas la promotion de la démocratie et de l’alternance politique et qu’elle ne permet pas aux présidents d’achever leur programme. Dans l’absolu, ils peuvent avoir raison. Mais ce faisant, ils ne doivent pas oublier qu’ils font le jeu des pouvoiristes et préparent le lit aux excès. En effet, ce genre d’arguments sont prisés par la galaxie des dictateurs. Car, en un mandat de 8 ou de 10 ans, si l’on a une vision noble de la politique, l’on peut réaliser des merveilles pour un pays. Et puis, l’on a vu des présidents africains qui, au bout de 4 ou 5 mandats, sollicitent encore le suffrage de leurs compatriotes pour leur permettre d’achever leurs chantiers.
La plupart des crises du continent ont un rapport très étroit avec l’alternance démocratique
En réalité, l’on ne peut jamais achever un programme. On joue sa partition et on laisse aux autres, le soin de poursuivre l’œuvre en apportant chacun sa touche. C’est ainsi que les sociétés démocratiques fonctionnent. Autrement, l’on a affaire à des royaumes et à des empires. Une autre objection que pourraient brandir les anti-mandat unique pourrait se résumer comme suit : « Le mandat unique n’existe nulle part dans le monde. Pourquoi veut-on l’expérimenter en Afrique ? » En guise de réponse, on peut leur faire remarquer que c’est sur ce continent qu’il y a beaucoup d’efforts à faire en matière d’apprentissage et de perfectionnement de la démocratie. Car, les excès des pouvoirs africains sont parvenus à tel niveau aujourd’hui que toutes les voies doivent être explorées à l’effet d’asseoir et de consolider la démocratie. Et là où les autres peuples ont fait un pas pour arrimer leur pays à la démocratie, l’Afrique doit en faire plus si elle veut se donner plus de chances de rattraper un tant soit peu le fossé abyssal qui existe entre elle et les autres et ce, dans bien des domaines. L’enjeu, ici, est la promotion de la démocratie et de l’alternance politique en Afrique. Et le mandat unique bien encadré, qu’il soit de 7, 8 ou 10 ans avec la possibilité d’interrompre par un « impeachment» un mandat en cours au cas où le président viendrait à commettre une faute grave, serait une solution possible à l’épineuse problématique de la démocratie et de l’alternance politique sur le continent noir. Déjà, l’un des candidats à la présidentielle béninoise, Patrice Talon pour ne pas le nommer, l’a inscrite dans son programme de société. Toute chose qui illustre, si besoin est, que l’idée n’est pas ridicule comme pourraient le penser certaines personnes dont le fort est le suivisme et l’impossibilité de se débarrasser de la camisole du conservatisme. En tout état de cause, la plupart des crises du continent ont un rapport très étroit avec l’alternance démocratique. Celle-ci devient impossible dès lors que le président en exercice confisque le pouvoir, verrouille de l’intérieur tout le système, estimant qu’il n’est pas encore rassasié du pouvoir. Une posture qui a bien souvent produit des drames dans de nombreux pays africains. C’est pourquoi il est sans doute venu le moment, après plus de cinquante ans de tragédies politiques et de retard en matière de développement, d’aller vers la culture du mandat unique. Toute chose qui, en plus des avantages précités, rendrait les scrutins plus ouverts, plus transparents et plus crédibles et qui mettront fin aux tragédies post-électorales et aux vocables crisogènes de président sortant et de président entrant.