Depuis le conseil des ministres du 09 mars 2016, il est fait écho dans la presse d’une affaire de blanchiment de capitaux de 86 milliards de FCFA dont les dossiers seraient transmis au Procureur du Faso. Le montant indiqué est important si bien que la question continue de défrayer la chronique et les uns et les autres se demandent ce que revêt ce concept de blanchiment de capitaux. Le blanchiment de capitaux consiste à recycler des fonds d’origine illicite qui proviennent d’activités délictueuses ou criminelles en direction d’activités légales. Il s’agit alors de retraiter des produits (gains) d’origine criminelle pour masquer l’origine illégale. Le blanchiment comporte trois (3) phases à savoir le placement (conversion d’espèces), l’empilage (dissimulation des sources), l’intégration (absorption dans les circuits légaux). C’est l’argent issu des activités criminelles ou délictuelles comme la fraude fiscale, la corruption, la vente de la drogue, la vente des armes, la contrebande…qu’on injecte dans l’économie afin de lui donner une apparence de sainteté. C’est de l’argent sale qu’on tente de rendre propre.
L’article 2 de la directive n°07/2002/CM/UEMOA relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux dans l’espace UEMOA, du 19 septembre 2002, prévoit que, le blanchiment de capitaux est défini comme l’infraction constituée par un ou plusieurs des agissements énumérés ci-après, commis intentionnellement, à savoir :
- la conversion, le transfert ou la manipulation de biens, dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, tels que définis par les législations nationales des Etats membres ou d’une participation à ce crime ou délit, dans le but de dissimuler ou de déguiser l’origine illicite desdits biens ou d’aider toute personne impliquée dans la commission de ce crime ou délit à échapper aux conséquences judiciaires de ses actes ;
- la dissimulation, le déguisement de la nature, de l’origine, de l’emplacement, de la disposition, du mouvement ou de la propriété réels de biens ou de droits y relatifs dont l’auteur sait qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, tels que définis par les législations nationales des Etats membres ou d’une participation à ce crime ou délit;
- l’acquisition, la détention ou l’utilisation de biens dont l’auteur sait, au moment de la réception desdits biens, qu’ils proviennent d’un crime ou d’un délit, tels que définis par les législations nationales des Etats membres ou d’une participation à ce crime ou délit.
Il y a blanchiment de capitaux, même si les faits qui sont à l’origine de l’acquisition, de la détention et du transfert des biens à blanchir, sont commis sur le territoire d’un autre Etat membre ou sur celui d’un Etat tiers.
L’infraction de blanchiment de capitaux prévue par la Directive N° 07/2002/CM/UEMOA et qui a été transposée par la loi n°026-2006/AN relative à la lutte contre le blanchiment de capitaux étend l’incrimination au blanchiment consécutif à n’importe quel crime ou délit comme les ventes illégales d’armes, la contrebande, les activités de la criminalité organisée, le trafic de stupéfiants, l’escroquerie, la corruption, les délits d’initiés, la fraude informatique… Elle est à juste titre qualifiée par certains auteurs de « recel spécial ». La prévention et la répression de l’infraction fait intervenir trois (3) acteurs principaux que sont la Cellule Nationale de Traitement des Informations financières (CENTIF), les personnes assujetties à l’obligation de déclaration de soupçons et la justice.
La CENTIF structure administrative dotée de l’autonomie financière et d’un pouvoir de décision autonome dont la mission est de recueillir et de traiter le renseignement financier sur les circuits de blanchiment de l’argent. Ainsi, elle :
- est chargée notamment de recevoir, d’analyser et de traiter les renseignements propres à établir l’origine des transactions ou la nature des opérations faisant l’objet de déclarations de soupçons auxquelles sont astreintes les personnes assujetties ;
- reçoit également toutes autres informations utiles, nécessaires à l’accomplissement de sa mission, notamment celles communiquées par les Autorités de contrôle, ainsi que les officiers de police judiciaire ;
- peut demander la communication, par les assujettis ainsi que par toute personne physique ou morale, d’informations détenues par eux et susceptibles de permettre d’enrichir les déclarations de soupçons ;
- effectue ou fait réaliser des études périodiques sur l’évolution des techniques utilisées aux fins du blanchiment de capitaux au niveau du territoire national….
En ce qui concerne les déclarations de soupçons, elles ont faites par des personnes assujetties à cette obligation que sont :
-les Trésors Publics des Etats membres ;
- la BCEAO ;
- les organismes financiers, les membres des professions juridiques indépendantes lorsqu’ils représentent ou assistent des clients en dehors de toute procédure judiciaire, notamment dans le cadre des activités suivantes :
. achat et vente de biens, d’entreprises commerciales ou de fonds de commerce,
. manipulation d’argent, de titres ou d’autres actifs appartenant au client,
. ouverture ou gestion de comptes bancaires, d’épargne ou de titres,
. constitution, gestion ou direction de sociétés, de fiducies ou de structures similaires, exécution d’autres opérations financières ;
- les autres assujettis, notamment :
. les Apporteurs d’affaires aux organismes financiers ;
. les Commissaires aux comptes ;
. les Agents immobiliers ;
. les marchands d’articles de grande valeur, tels que les objets d’art (tableaux, masques notamment), pierres et métaux précieux ;
. les transporteurs de fonds ;
. les gérants, propriétaires et directeurs de casinos et d’établissements de jeux, y compris les loteries nationales ;
. les agences de voyage.
Ces personnes sont astreintes entre autres de faire un examen particulier de tout paiement en espèces ou par titre au porteur d’une somme d’argent, effectué dans des conditions normales, dont le montant unitaire ou total est égal ou supérieur à cinquante millions (50.000.000) de francs CFA, de toute opération portant sur une somme égale ou supérieure à dix millions (10.000.000) de francs CFA effectuée dans des conditions inhabituelles de complexité et/ou ne paraissant pas avoir de justification économique ou d’objet licite. Ainsi sont-elles tenues de se renseigner auprès du client, et/ou par tous autres moyens, sur l’origine et la destination des sommes d’argent en cause, ainsi que sur l’objet de la transaction et l’identité des personnes impliquées. Il leur est par ailleurs interdit d’invoquer le secret professionnel pour refuser de fournir les informations aux autorités de contrôle, ainsi qu’à la CENTIF ou de procéder aux déclarations d’opérations suspectes.
A la suite de l’analyse des informations financières reçues par la CENTIF, elle peut conclure que ces faits sont susceptibles d’infractions de blanchiment de capitaux. En conséquence, elle transmet un rapport sur les faits au Procureur du Faso qui doit immédiatement saisir un Juge d’Instruction conformément à l’article 27 de la loi n°026-2006.
A ce jour, la CENTIF a transmis au parquet près le Tribunal de Grande Instance de Ouagadougou trois (3) rapports évalués à 257 775 518 FCFA en 2009, trois (3) rapports évalués à 144 155 025 FCFA en 2011, trois (3) rapports évalués à 470 731 290 FCFA en 2012, un rapport évalué à 147 151 560 FCFA en 2013, neuf (9) rapports évalués à 578 690 706 en 2014, quatre(4) rapports évalués à 431 997 961 FCFA en 2015, deux rapports évalués à 1 758 431 460 FCFA en 2016. Deux dossiers dont l’un de 2013(évalué à 147 151 560) et l’autre de 2014 (1 071 013 FCFA), ont fait l’objet de non-lieu. Le montant total évalué en argent des rapports transmis par la CENTIF au parquet sur des faits susceptibles de blanchiment de capitaux est de 3 641 781 960 FCFA. Le procureur du Faso a saisi des Juges d’Instruction qui sont en train d’instruire à charge et à décharge sur ces faits de manière indépendante. Il faut préciser que les infractions à caractère économique et financier sont très complexes et demandent beaucoup de minutie dans leur traitement.
Parquet près le tribunal de grande instance de Ouagadougou