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Phénomène des koglweogo : décryptage d’un contrôleur général de police
Publié le vendredi 11 mars 2016  |  L`Observateur Paalga
Débat
© Autre presse par DR (Photo d`archive utilisée juste a titre d`illustration et ne correspond pas forcément avec le contenu de l`article)
Débat national sur les koglweogo : comment les groupes d’autodéfense vont s’auto-dissoudre ?




Le débat sur le phénomène des Koglweogo ne fait que commencer : de simples citoyens aux autorités en passant par des spécialistes des questions sécuritaires, chacun y va de son commentaire. Dans les lignes qui suivent Tyéba Théodore Kouénou, contrôleur général de police, ancien Secrétaire général du ministère de la Sécurité admis à la retraite, nous livre son analyse en proposant des solutions.

Depuis quelques semaines, il s’est invité dans les débats sociaux et même politiques des commentaires sur les associations Kolgweogo.

Ce sont des débats qui ont permis à une large majorité de se familiariser avec cette appellation Kolgweogo. Ces interventions ont aussi montré que les Kolgweogo sont peu connues dans leur essence. En les découvrant davantage, certaines opinions qui leur sont actuellement sceptiques ou négatives pourraient évoluer positivement. C’est dans cet espoir que nous voudrions apporter ici quelques éléments d’information sur les Initiatives locales de sécurité (ILS) auxquelles appartiennent les Koglweogo.

Pour cela, nous parlerons tout d’abord de leur historique ; ensuite nous aborderons leur intégration dans le projet de police de proximité ; enfin, nous nous livrerons à quelques réflexions sur les ILS, la sécurité et la justice.

Historique et contexte

Les années 1990 ont été marquées par une insécurité devenue ambiante et préoccupante. Elle se traduisait par des attaques à main armée, des braquages récurrents, accompagnés d’assassinats et autres violences. En ont ainsi fait les frais, de nombreux commerçants, de simples voyageurs, des agents des forces de l’ordre, des fonctionnaires, etc. Dans certaines localités, les fonctionnaires auraient abandonné leurs postes d’affectation et l’économie se mourait à cause des perturbations régulières des marchés par les malfrats.

A l’époque, le Front populaire, pour contrer cette délinquance, avait initié les opérations « coups de poing » dans les zones hautement criminogènes. Cependant, des voix commencèrent à s’élever contre de telles opérations qu’elles qualifiaient de brutales. La IVe république, dans sa recherche de solutions contre le banditisme, créa un secrétariat d’Etat chargé de la sécurité. Celui-ci, après avoir fait l’état des lieux des moyens de lutte, fit des propositions parmi lesquelles on peut citer :

- les recrutements massifs de poli-ciers et gendarmes (les recrutements étaient jusque-là suspendus par les politiques d’ajustement et les commissariats et brigades comptaient au plus six éléments par unité) ;

- l’acquisition de moyens matériels spécifiques et de véhicules qui faisaient essentiellement défaut.

- l’organisation de patrouilles quotidiennes sur les axes routiers, etc.

Ces mesures permirent d’enregistrer quelques succès ; mais à l’évidence les forces de sécurité ne pouvaient être partout. Les zones difficiles d’accès ou peu couvertes par les forces de sécurité devinrent alors les terreaux et bases des délinquants dont les plus équipés utilisaient des armes de guerre, des moyens puissants de locomotion et de communication, leur permettant de disparaître dans la nature après leurs coups. Le secrétariat d’Etat à la sécurité eut alors l’idée d’associer les populations à la lutte contre l’insécurité en adoptant en 2005 la police de proximité ou police communautaire. Celle-ci reposait sur l’établissement d’un partenariat avec les populations dans la protection de leur propre sécurité. Cette stratégie prévoyait la création dans chaque village d’un Comité local de sécurité (CLS) composé d’une dizaine de membres et d’un représentant de la police ou de la gendarmerie ; des sessions obligatoires étaient inscrites au cours desquelles des indemnités étaient servies aux membres. L’installation de ces CLS commença naturellement par les régions de haute insécurité : Fada, pour l’Est, Bobo pour l’Ouest.

En 2010, le ministère de la Sécurité, qui avait été créé entre- temps, fit une évaluation de la mise en œuvre de la police de proximité dont les résultats étaient mitigés.

L’évaluation de la mise en œuvre de la police de proximité et l’émergence des Initiatives locales de sécurité (ILS).

La police de proximité n’a pu être installée dans toutes les régions. L’évaluation s’est faite autour des CLS existants et opérationnels. En synthétisant les documents d’évaluation, on retient quelques informations pertinentes :

Les résultats obtenus étaient en deçà des attentes, le seuil de tolérance en matière d’insécurité était loin d’être atteint ;

C’est une politique trop administrative hiérarchisée et lourde ;

Elle est coûteuse en ce sens qu’il fallait aider les CLS et les structures intermédiaires financièrement et matériellement (achat de motos, vélos, octroi d’indemnités, etc.) ;

le manque de formation des CLS et des points focaux et forces de sécurité en la matière

la non-appropriation de l’esprit police de proximité se traduisant par l’attentisme.

Un autre constat, et pas des moindres, est que dans les villages où les habitants s’étaient organisés pour lutter contre le banditisme, la sécurité et la paix y régnaient. Il s’agissait ainsi des villages du département de Namissiguima dans le Yatenga dont les associations se faisaient appeler « kolgweogo» à l’image, de certaines localités du Centre-Nord qui avaient comme nom « Wendpanga », et de villages où les chasseurs traditionnels Dozo étaient actifs (Tuy, Houet, Comoé, etc.).

En analysant les éléments d’information recueillis sur le terrain, l’évaluation recommanda une relecture des textes relatifs à la police de proximité tant dans la forme que dans le fond. L’élaboration de la stratégie nationale de sécurité intérieure sera l’occasion de prendre en compte les recommandations issues du rapport d’évaluation.

En 2010, justement, le ministère de la Sécurité d’alors, dans sa recherche de solutions adaptées au problème d’insécurité, était en train d’élaborer un document de travail, intitulé «La stratégie nationale de sécurité intérieure ». La police de proximité qui est un axe important de cette stratégies pouvait intégrer les ILS dans ses éléments constitutifs. Mais cela ne pouvait désormais se faire qu’en essayant de connaître davantage ces associations. Des missions d’études furent alors organisées dans ce sens. Des différents rapports, il ressort que :

Ce sont au départ des associations villageoises qui ont évolué en départementales ou régionales.

On les identifia sous les appellations « Kolgweogo » dans le Yatenga « Wendpanga » dans le Centre-Nord ; à ces deux,

l’on peut ajouter les Dozos dans l’Ouest du pays.

Ces associations présentent des caractéristiques communes:

Elles sont une initiative locale et la lutte contre l’insécurité n’est qu’un objectif parmi tant d’autres :

Elles s’autofinancent ;

Elles sont dynamiques et vigilantes ;

Les membres sont solidaires et fidèles ;

Elles répondent au critère sociologique d’association intégrée au caractère ascendant ;

Elles sont reconnues par l’Administration en disposant de récépissé d’existence.

De ces associations, une se distingua particulièrement des autres par ses succès dans la lutte contre l’insécurité. Il s’agit du Kolgweogo qui peut être ainsi présenté :

Kolgweogo du village de Kao, dans le département de Namissiguima en 1996. A l’époque, les scènes de violences que vivaient les populations n’enviaient en rien celles que l’on voit dans les films « western ». Des commerçants se déplaçant à motos étaient abattus et les engins emportés. Cette situation atteignit son paroxysme lorsque les chefs de gangs se mirent à agir à visage découvert exigeant opérateurs économiques locaux des acte d’allégeance. Ainsi, après l’acquisition par exemple d’une moto neuve, pour pouvoir la garder, il fallait aller la remettre immédiatement à un chef de gang qui en disposait d’abord. Ces chefs de gangs jouissaient alors d’une totale impunité ; personne n’osait les dénoncer. A Kao, à un moment, les populations exacerbées décidèrent de prendre leurs responsabilités dans la protection de leurs biens. Le village devint un havre de paix. L’exemple de Kao fut suivi par les autres villages du département de Namissiguima et en 2006, l’Administration reconnut l’association départementale par récépissé n°2006-98/MATD/RNRD/PYTG/HC/SG/DAAP du 18 décembre 2006.

A Kao, Kolgweogo signifie : protéger la brousse ; le nom de guerre (zab-youré) est «seul, on est incapable, ensemble tout est possible ».

L’organisation de Kolgweogo et les valeurs qu’elle défend et véhicule sont appréciables. En ce qui concerne les organes de l’association, on relève, entre autres, l’assemblée générale, le bureau exécutif et les sections. Quant aux valeurs, on les trouve dans quelques principes de base. Ainsi, le choix des premiers responsables obéit à des critères de moralité et de capacité ; en outre, la solidarité, la fidélité, le courage et l’intérêt commun sont des principes essentiels qui la régissent. Sur un autre plan, tous les habitants du village sont des membres actifs du Kolgweogo et les objectifs principaux de l’association sont :

- l’amélioration de l’état de sécurité des personnes et des biens ;

- la lutte contre la coupe abusive du bois ;

- la recherche de financement.

La stratégie d’intervention des Kolgweogo repose sur la vigilance, l’alerte, la référence aux autorités de police ou administratives, la collaboration, le respect de la vie humaine.

Tout membre ayant une information la porte à la connaissance du chef, qui en avise.

C’est là une des règles de bienséance et de discipline remarquable.

A l’analyse, ce code de discipline conjugué avec les succès enregistrés dans la lutte contre le banditisme par Kolgweogo militèrent en faveur de l’intégration des ILS dans la nouvelle vision de la police de proximité, axe important de la stratégie nationale de sécurité intérieure adoptée en conseil des ministres en 2010.

D’autres facteurs ont permis de convaincre le ministère pour une prise en compte des ILS dans la lutte contre l’insécurité. On les retrouve dans l’état des lieux des forces de sécurité, dressé en 2010 et dans l’esprit qui se dégage de la stratégie nationale de sécurité intérieure. Pour diverses raisons les forces de sécurité ne peuvent être partout.

Les forces de sécurité ne peuvent ignorer l’apport des populations qu’elles appellent tous les jours à une collaboration civique. Par ailleurs, l’Etat cède des parcelles de pouvoir chaque fois que de besoin. Ainsi, existent des sociétés privées de sécurité ; des civils interviennent dans certains tâches de la police administrative (circulation routière, salubrité, etc.), la loi reconnaît à tout citoyen le droit d’intervenir en flagrant délit pour interpeller le ou les auteurs d’une infraction.

Le ministère a donc reconnu les ILS comme élément sérieux de la police de proximité. Des mesures d’accompagnement et d’encadrement ont été initiées et ont eu tant de succès que de nombreux groupes d’autodéfense ont poussé comme des champignons çà et là. La mise en œuvre de la stratégie nationale de sécurité intérieure en 2011 devrait permettre de les identifier tous pour encadrement. Mais en 2011, politique est passée par là et à mis fin au département de la sécurité dont les faiblesses se trouvent dans les instabilités adminitratives liées au changement politique.

Malgré cela, l’apport des ILS dans la protection des citoyens est indéniable. Elles ont donné jusqu’ici plus de satisfaction que de regrets. Certaines personnes ne veulent pas reconnaître à ces associations un droit d’existence du fait des bavures. Elles doivent jeter un regard aux administrations de l’Etat dont les animateurs formés dans nos écoles spécialisées ne sont pas exempts de tout reproche. On ne peut supprimer ces associations au prétexte que quelques membres se sont fourvoyés dans des actes répréhensibles. Il est certainement plus sage de ne pas jeter le bébé avec l’eau du bain.

Sécurité – Justice - ILS.

La lutte contre l’insécurité s’organise autour de deux axes : la prévention et la répression. Or, la répression renvoie au judiciaire. Sécurité et justice sont donc intimement liées. Dans nos contrées, il y a un besoin de sécurité et une quête constante de justice. Cela expliquerait certainement la prolifération des groupes d’autodéfense qui sont en fait des ILS sans encadrement ni sensibilisation. Mais quelles sont les causes de ces besoins importants de sécurité et de justice ? Est-ce dû à une défaillance de nos institutions chargées de la protection du citoyen ? Jetons un regard sur les forces de sécurité et la justice.

Les forces de sécurité sont constituées d’éléments motivés. Elles tentent de s’adapter au contexte sécuritaire en innovant, d’où l’effort d’effacer l’image négative de forces répressives depuis la colonisation pour s’approcher des populations par l’adoption de la police de proximité.

La justice, d’aucuns disent qu’elle est si importante qu’elle est souvent dirigée beaucoup plus par le politique que par le magistrat. Mais là où réside le problème, c’est cette difficulté à s’adapter à notre contexte socioculturel. Un éminent économiste a écrit : « lorsque vous demandez à un cadre africain ayant fait ses études en France, d’élaborer un projet de développement pour son pays, il vous sortira un très beau document applicable malheureusement en France ». Notre justice se situe dans ce cas. Même pour un fonctionnaire moyen, l’organisation, les procédures, le jargon judiciaire demeurent un buisson très touffu. Que peut bien y comprendre le villageois ? Pourquoi la justice paraît-elle comme l’une des institutions les plus éloignées du citoyen ?

Pourtant, on pourrait créer des « tribunaux villageois ». On pourrait valoriser les tribunaux départementaux en agrandissant leur compétence matérielle, on pourrait simplifier certaines procédures. A-t-on vraiment besoin d’aller devant un tribunal d’instance ou de grande instance pour une affaire de quelques bœufs ou quelques chèvres ?

Jean-Jacques Rousseau a dit : « la liberté, c’est le respect des règles qu’on s’est soi-même fixées ». Nous devrions trouver des solutions au grand besoin de sécurité et de justice que ressentent nos populations. Que les professionnels en la matière nous en excusent.



Tyèba Théodore Kouénou

Contrôleur général de police admis à la retraite

Ancien Secrétaire général du ministère de la Sécurité

Ancien député /Président de la CAGI (2000 et 2001).

Formateur en Sécurité publique (Sécurité intérieure) à l’Ecole nationale de Police /

Cycle supérieur.
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