Si le monde veut vaincre la faim, il doit s'attaquer à toutes ses causes simultanément, en particulier à la pauvreté, et sans se focaliser simplement sur l'augmentation de la production alimentaire, a déclaré Amartya Sen, lauréat du Prix Nobel d'économie, en ouverture de la Conférence de la FAO. C’est l’essentiel de ce communiqué de presse.
«Prononçant la Conférence commémorative McDougall sur la sécurité alimentaire, l'économiste a expliqué: «L'une des principales causes de la faim dans les endroits du monde où elle persiste est dûe à une pauvreté accrue, malgré la prospérité croissante du monde moderne.»
Et de poursuivre: «Mais la pauvreté peut être aggravée par des problèmes de production, en partie imputables à une offre alimentaire inférieure à la demande tendant à accroître le prix des denrées alimentaires, ce qui paupérise davantage de nombreuses familles à revenus déjà faibles.»
Amartya Sen a fait remarquer que les degrés de la faim et de la sous-alimentation sont différents au sein d'un même pays, d'une même communauté, ou d'une même famille. Analysant les causes de la faim, il a ajouté que les gouvernements devront prendre en compte «les normes sociales et les conventions de distribution établies» surtout entre hommes et femmes, entre garçons et filles.
M. Sen a reçu le prix Nobel en 1998 pour sa théorie révolutionnaire selon laquelle la faim et la famine résultent du fait que certaines personnes n'ont pas accès à suffisamment de nourriture - évoquant les droits inhérents aux personnes- et non parce qu'il n'y a pas suffisamment d'aliments disponibles dans leur pays ou leur région.
Le Directeur général de la FAO, M. José Graziano da Silva, a souligné dans son discours liminaire que l'approche d'Amartya Sen a déplacé le débat à la fois sur la faim, qui de la production alimentaire est passé à l'accès à l'alimentation, et a mis en avant une approche basée sur les droits de chacun en lieu et place de la charité. La façon dont nous luttons contre la faim et la pauvreté aujourd'hui en a été transformée.
La faim en Afrique
Lors de sa conférence, Amartya Sen a rappelé que l'Afrique, contrairement à l'Asie, ne connaît pas une augmentation régulière des denrées alimentaires disponibles par habitant. Sur le continent africain, la production alimentaire par habitant avait augmenté de seulement 4 % en 2011 par rapport à 2004-2006, et reculé de 2 % en 2010.
«Il est donc juste d'accorder de l'importance aux initiatives qui favorisent l'augmentation de la production alimentaire en Afrique plus vigoureusement qu'auparavant», a-t-il ajouté.
Le Prix Nobel a exhorté les pays africains à envisager de diversifier leurs économies, y compris par l'industrialisation. Il a ainsi précisé: «Pour la stabilité et la sécurité économiques à long terme de l'Afrique, la diversification économique est cruciale. Il n'y a absolument aucune raison de penser que les Africains ne sauraient mener à bien l'industrialisation de leur économie. Conserver cette vision des choses, telle un critère immuable, s'apparente presque, je le crains, à une forme étrange de racisme.»
Surmonter les conflits civils et militaires, élargir la gouvernance démocratique et développer des institutions de marché comptent parmi les autres conditions nécessaires pour mettre un terme à la faim en Afrique.
«Les politiques gouvernementales doivent aussi couvrir le développement des soins de santé, des installations pour le planning familial, d'une éducation de base, surtout des femmes, et des dispositions en matière de sécurité sociale», a insisté Amartya Sen. «Tout cela peut contribuer - directement et indirectement - à la sécurité nutritionnelle, à des soins de santé de qualité et à une économie générale plus dynamique, y compris un secteur agricole solide.»
Soins de santé, éducation et faim
Amartya Sen a ciblé son propos sur la sous-alimentation maternelle qui, a-t-il rappelé, altère non seulement la santé des mères mais cause de graves problèmes de santé chez les enfants dont le poids à la naissance est insuffisant. «Pour remédier à une sous-alimentation chronique, il convient de porter attention aux soins de santé en général et, en particulier, à la prévention des maladies endémiques qui gênent l'absorption de nutriments.»
«De nombreux éléments probants montrent également que l'absence d'une éducation de base contribue aussi à la sous-alimentation, non seulement parce que les connaissances et la communication sont importantes, mais aussi parce que la capacité à obtenir un emploi et un revenu adéquat dépend souvent du niveau d'éducation.»
Résumant son intervention, Amartya Sen a conclu: «Ces différents facteurs d'influence, interdépendants, exigent de nous de ne pas en isoler un seul. Nous devons ensemble agir sur plusieurs fronts.»
L'Australien Frank Lidgett McDougall compte parmi les fondateurs de la FAO. Tous les deux ans, avant la Conférence de la FAO, la Conférence McDougall est prononcée par une personnalité éminente et agissante dans le domaine de l'agriculture et de la lutte contre la faim.»