29 décembre 2015 - 29 février 2016. Deux mois que Roch Marc Christian Kaboré a été investi dans ses fonctions de président du Faso. Trop tôt pour un quelconque bilan mais que de nombreuses secousses qui ont fait tanguer le pavillon battant Burkina Faso au cours de ces 60 jours. Pataarbèba Burkindbila Zagré, dans cette analyse revient sur les faits qui ont jalonné cette période et énuméré les défis des nouvelles autorités du Faso.
Il était écrit que l’homme serait un jour président du Faso. Dieu, néanmoins que le cheminement a été long, incertain et périlleux. Nul besoin de revenir sur les péripéties connues, passées et dépassées du parcours. Le 29 novembre 2015, comme en réponse à une destinée irréfutable, les Burkinabè ont plébiscité dans les urnes Roch Marc Christian Kaboré. Dauphin naturel perçu comme tel par le plus grand nombre de ses compatriotes, sa disgrâce de la majorité et son entrée fracassante dans l’opposition (en compagnie d’autres figures emblématiques de la scène politique nationale tels notamment Salif Diallo et Simon Compaoré) a irrémédiablement fragilisé et largement contribué à donner un coup de grâce au régime défunt de Blaise Compaoré.
Aux commandes du pays depuis 60 jours, Roch et ses camarades du MPP payent-ils pour ainsi dire le prix de leur « forfaiture » ? Nombreux sont en tout cas les Burkinabè qui n’ont pas hésité une seule seconde à voir une main manipulatrice derrière les rudes épreuves sécuritaires auquel le pays a été confronté. Une certaine succession d’évènements, qui ne manquent effectivement pas d’accréditer peu ou prou une telle supputation. Ainsi, le week-end du 15 janvier 2016, deux semaines après la prestation de serment du nouveau président, le Burkina Faso découvrait avec surprise, horreur, stupéfaction et indignation la face hideuse du terrorisme.
Au cœur même de la capitale Ouagadougou, sur l’Avenue Kwame-N’Krumah, lâchement, brutalement et sauvagement, un assaut barbare, aveugle et extrêmement meurtrier (une trentaine de tués et plus d’une soixantaine de blessés) est lancé contre un café restaurant et un hôtel très fréquentés. La veille, dans une localité du Nord du pays, une attaque non revendiquée contre des éléments de la Gendarmerie nationale fait deux morts et deux blessés, dont l’un grièvement. Dans la foulée de ce qui ressemble à un véritable coup de semonce des djihadistes contre un pays jusqu’alors miraculeusement et relativement épargné, un couple d’Australiens est enlevé à Djibo (la Dame a depuis été relâchée grâce notamment aux bons offices des autorités nigériennes).
Diable, que suis-je venu chercher dans cette galère ?
Pareille interrogation, difficile d’imaginer que Roch ait pu, ne serait-ce que secrètement, ne pas se la poser. Que peut-il effectivement venir d’autre à l’esprit d’un président fraîchement investi, qui n’a même pas encore eu le temps de réunir une seule fois son gouvernement à peine formé, si ce n’est se questionner quant à l’origine, le sens et la portée d’une si soudaine et violente adversité à l’encontre de son pouvoir ?
Pris de court, réuni la toute première fois en conseil extraordinaire de crise, le gouvernement du Premier ministre Paul Kaba Thiéba a été sommé de trouver dans l’urgence une solution diligente à la cruciale question sécuritaire qu’ont soulevée ces attentats terroristes en pleine capitale, Ouagadougou. Hélas, celui-ci n’aura pas le loisir de se retourner. Le week-end qui suivit, un commando de militaires ayant appartenu à l’ex-Régiment de sécurité présidentielle (RSP dissous) s’attaqua à un dépôt d’armes et de munitions de l’Armée situé à la sortie ouest de Ouagadougou. Si l’attaque a pu être déjouée dans ses objectifs par la vigilance et la combativité des gardes, la psychose sécuritaire se sera à l’occasion appesantie d’autant plus qu’un certain nombre d’assaillants se sont retrouvés en cavale, avant d’être fort heureusement rattrapés par les forces de défense et de sécurité.
Au niveau diplomatique, le ton monte et la polémique enfle. Notamment avec la Côte d’Ivoire voisine, où se trouveraient les cerveaux présumés (voire le ou les commanditaires ?) de cette série d’évènements perturbateurs pour la paix et la quiétude nationale au Pays des hommes intègres. Une hypothèse étayée par le fait que nombre des assaillants de la poudrière de Yimdi sont venus de ce pays tiers et ont tenté de s’y replier après l’échec de leur tentative. De quoi envenimer le climat politique avec les autorités ivoiriennes, déjà gravement montrées du doigt par la justice militaire du Burkina Faso, dans l’instruction en cours du coup d’Etat manqué du Général Gilbert Diendéré en septembre 2015. Coup de force qui a failli mettre un coup d’arrêt à la Transition. Une tension diplomatique pour le moins sensible et préjudiciable, quand on connaît les liens et les enjeux entre les deux pays.
Vieux briscards des intrigues politiques, Roch Kaboré et ses amis du MPP savent sans doute parfaitement alors qu’il faut impérativement se donner les moyens diplomatiques de démêler au plus vite ce dangereux écheveau qui se tisse contre leur pouvoir, avant qu’ils ne finissent par être enserrés dans une nasse dont il leur sera très difficile de se sortir. Autant les chemins de la conquête du pouvoir ont été pour eux davantage pavés d’épines que de pétales de roses, autant les RSS (Roch, Salif, Simon) sont néanmoins pétris de suffisamment d’expérience d’hommes d’Etat, pour savoir que l’adversaire (sinon l’ennemi) vaincu ne leur en faciliterait nullement la jouissance.
Silence, on travaille
Du point de vue économique, les choses n’ont pas été plus étincelantes pour un début. Ce n’est pas en deux mois que l’on peut prétendre remettre la machine économique en marche. Tout le monde sait d’où vient l’économie burkinabè et ce que celle-ci a subi durant les derniers mois. Le vrai faux lustre d’antan a vite été passablement terni par les effets dévastateurs de l’incertitude sur une alternance politique pacifique. L’on a ainsi, fort malheureusement, dû en passer par une insurrection populaire, avec des conséquences collatérales désastreuses sur l’image et la santé économique du pays.
Pour avoir versé son sang, pour avoir perdu des vies pour l’avènement d’une nouvelle gouvernance, le peuple nourrit pendant ce temps quelques appétits immenses et impatients. Des attentes et espoirs légitimes d’amélioration des conditions de vie. Bernés par un certain slogan, les populations s’attendent, sous le nouveau pouvoir, le plus rapidement possible, à ce que pour de vrai plus rien ne soit plus comme avant dans leur quotidien. Or semble-t-il, côté santé financière de l’Etat, le bilan légué par le pouvoir de la Transition serait loin d’être reluisant. Il serait même des plus catastrophiques. Faute d’avoir pu mener à bien toutes les « bonnes » réformes politiques que l’on était en droit d’attendre d’eux, les « transitaires » auraient pour ainsi dire au moins eu et pris le temps de vider méthodiquement, jusqu’aux bas de laine, les caisses de l’Etat avant leur départ.
De ce fait et dans ces conditions, 60 jours donc que Roch et son gouvernement sont contraints de se battre bec et ongles, pour tâcher de créer les conditions d’un réamorçage de la machine financière et économique nationale. Un réamorçage, sans lequel tout espoir de redémarrage est une chimère. Sans la métaphore maligne et provocatrice, l’on a presque envie de « Yako, monsieur le président ! ». Comme si tout ceci ne suffisait pas à l’insomnie pour Roch et les membres de son gouvernement, il a fallu le phénomène controversé des Kolgh Wéogo (les « gardiens de la brousse » en langue française mooré). Très populaires au propre comme au figuré, ce sont en effet des garants très appréciés et très applaudis de la paix et de la quiétude dans certaines contrées du pays. En s’organisant et en s’attaquant notamment avec courage aux voleurs et autres prédateurs qui sévissent contre les populations et sur leurs biens. Légalement, il urge cependant de mieux les encadrer et les organiser, afin qu’ils intègrent et agissent dans un cadre républicain. Histoire d’éviter que ne se répètent des drames et des menaces de conflits avec les forces de l’ordre et de sécurité, comme on l’a récemment vécu à Sapouy (suite au lynchage à mort d’un voleur supposé de bétail par les Kogl-wéogo de cette localité).
« Mon pays… Ehi ! Mon pays, les mentalités doivent changer »
Qui a dit que Sana Bob est un piètre musicien ? Comme parolier en tout cas, il n’y a pas son deux, pour dénoncer les tares et indexer les vraies réalités de notre vécu quotidien. Oui, les mentalités doivent changer. Cette analyse des 60 premiers de Roch Marc Christian Kaboré à Kosyam a été guidée et inspirée par deux choses principalement. L’un des plus grands quotidiens de la place (L’Observateur Paalga pour ne pas le citer) a ainsi parlé dans une de ses manchettes sur le sujet, d’une « inquiétante apathie gouvernementale ». Le même journal avait pourtant plaidé en son temps, dans un article intitulé « Un peu de répit quand même ! », contre des syndicalistes vindicatifs. Prônant avec sagesse que l’on veuille laisser au président élu du Faso le temps au moins de poser ses valises au palais, avant de faire assaut des revendications corporatistes. Alors qu’est-ce qui a bien pu se passer pour que, à peine deux petits mois plus tard, en dépit des dures circonstances sociopolitiques sus-décrites, le même journal se décide à sonner la charge ?
Si Bassolma Bazié et ses troupes réunies au sein de la Coalition contre la vie chère (CCVC) se sont jusque-là cantonnées aux menaces, tel n’est pas le cas des juges et magistrats du Burkina, en grève du 24 février au 1er mars à l’appel de leur confédération. Pour, dit-on, exiger davantage d’autonomie pour leur corps, plus d’argent pour la justice et une revalorisation de leurs salaires. Rien que ça ! Ce faisant, l’histoire en tout cas retiendra que ce sont nos juges qui, les premiers, ont rompu la trêve tacite, silencieuse et courageuse sans laquelle il semble objectivement difficile pour les nouvelles autorités de pouvoir remettre notre pays dans le sens de la marche. Après tout ce que nous avons vécu et tout ce à quoi nous avons échappé, quelquefois par la bonté de la seule grâce divine, l’on pouvait pourtant s’attendre à un peu plus de tolérance. Mais hélas…
En un mot comme en mille, la tâche s’annonce donc titanesque les semaines et les mois à venir. Mais elle est loin d’être insurmontable pour Roch Marc Christian Kaboré. Derrière les fausses apparences affables, on dit de l’homme qu’il est d’une rigueur et d’une fermeté intraitables. Une main de fer dans un gant de velours en quelque sorte. Il n’en faut pas moins, compte tenu des nombreux défis qui l’attendent dans ses nouvelles fonctions.
La récente visite (éclair certes) du Premier ministre français Manuel Valls à Ouagadougou, l’arrestation en Côte d’Ivoire puis l’extradition au Burkina Faso de quelques éléments putschistes de septembre 2015, l’annonce d’une visite prochaine du président du Faso en personne à Abidjan constituent autant de signaux patents de décrispation. Une décrispation progressive et rassurante. Les preuves palpables si besoin était que, sans tambours ni trompettes, les nouvelles autorités travaillent. Du haut de nos attentes et de nos besoins pressants, puissions-nous faire montre de tolérance et d’empathie. Après 60 jours d’un parcours si tumultueux, beaucoup de courage au nouveau pouvoir. Fasse Dieu que, le plus rapidement possible, notre cher pays redécolle, pour le bonheur de tous ses fils et de toutes ses filles. Bon vent à Roch et à son gouvernement. Dieu bénisse et protège toujours le Burkina Faso.
Pataarbèba Burkindbila Zagré