Présent au Niger où il a présidé une mission d’observation des élections dépêchée par l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF), l’ancien président de la Transition, Michel Kafando, nous a accordé un entretien. Son passage à la tête du Burkina Faso, le coup d’Etat de l’ex-RSP, le mandat d’arrêt contre Guillaume Soro… M’ba Michel se confie à L’Observateur Paalga à cœur ouvert.
La transition burkinabè a été applaudie à travers le monde entier. Vous qui avez conduit la barque Burkina Faso malgré les multiples vagues, quels sentiments éprouvez-vous aujourd’hui ?
Je peux dire que le premier sentiment post-transition que j’éprouve, c’est la satisfaction. Nous avions la responsabilité, lorsque nous avons pris en charge la mission après l’insurrection, de conduire notre pays à bon port, en essayant de faire en sorte que nous puissions arriver à ancrer définitivement la vraie démocratie au Burkina. Il y a eu beaucoup de difficultés, mais savoir que nous avons pu braver toutes ces difficultés et qu’au final nous avons pu organiser des élections crédibles qui ont été saluées par tous, je crois que la mission a été accomplie. Et c’est ça, ma grande satisfaction.
Ma satisfaction aussi, et il faut que je le souligne, c’est de voir qu’à l’occasion de cette transition, le peuple burkinabè, surtout la jeunesse, a pris conscience qu’il fallait se mettre debout, se battre pour préserver l’indépendance de son pays quand on l’aime. De cette jeunesse-là, je garde un souvenir empreint de fierté, pour ce qu’elle a fait pour nous permettre d’aller au bout de la transition. Ça aussi, c’est une satisfaction. De façon générale, l’adhésion que nous avons ressentie de tous ceux qui ont compris que le problème de la transition, c’était de faire en sorte qu’il y ait une transformation fondamentale au Burkina Faso.
Des regrets ?
Oui, parce que quand on s’embarque dans un programme politique et qu’après on n’arrive pas à l’accomplir totalement, on peut dire qu’on a des regrets. Le principal regret, c’est de n’avoir pas vraiment pu avoir le temps de mettre en place la réconciliation nationale ; parce que c’était aussi une des exigences de la transition, à savoir réconcilier le peuple avec lui-même compte tenu de ce que notre pays a connu comme difficultés dans le passé. Nous voulions faire en sorte que les gens se retrouvent, s’entendent et se pardonnent. Ça, c’était un grand pan de la transition que nous n’avons pas pu mettre en place. Le regret aussi, c’est de n’avoir pas pu faire une Constitution digne de ce nom pour ouvrir la route vers la Ve République. Mais je crois que ceux qui nous ont remplacés auront à cœur de remplir ce programme que nous n’avons pas pu faire.
Quels étaient vos rapports avec votre Premier ministre, Yacouba Isaac Zida ?
Dès que nous sommes arrivé à la tête de la Transition, il y a eu tellement de supputations, de choses qui ont été dites que quelque fois, j’en riais. Et entre ce que les gens pensaient et la réalité, il y avait une grande distance, un grand fossé. Avec le Premier ministre Zida, nous nous sommes toujours entendu. Si je vous dis que durant nos 13 mois de cohabitation il n’y a jamais eu de divergence ouverte entre le Premier ministre Zida et moi, vous allez dire que c’est faux, puisque vous pensez le contraire. Yacouba Isaac Zida a compris qu’il était le Premier ministre et qu’il y avait un chef d’Etat. Je dois dire aussi qu’il a toujours su que j’avais beaucoup plus d’expérience que lui du fait simplement de l’écart d’âge et aussi de l’expérience administrative que j’ai par rapport à lui. Nous n’avons jamais eu véritablement de dissension. Et lorsque des problèmes étaient posés, si je tranchais, il suivait. Franchement, nous avions des rapports normaux.
On a encore ce douloureux souvenir du 16 septembre 2015 où le Président Kafando et son gouvernement ont été pris en otage par l’ex-Régiment de sécurité présidentielle. Comment avez-vous vécu votre détention par les éléments du défunt RSP durant cette période ?
Nous savions tous que la Transition avait des problèmes ; il y avait comme cette épée de Damoclès qu’est le RSP qui pendait sur la tête de la Transition. J’ai personnellement voulu toujours le dialogue, avec toutes les difficultés qu’on a connues, avec ce fameux régiment, pour ne pas arriver à une confrontation, parce qu’elle serait source de malheurs. On savait donc que l’atmosphère entre le RSP et nous n’était pas sereine. A tout moment, tout pouvait arriver. Quand le coup de force est arrivé, je n’en ai pas été surpris tout comme je n’en ai pas été très alarmé, car je savais que j’étais sûr de mon droit. J’étais sûr aussi que le peuple n’allait pas rester sans réaction, que la communauté internationale, qui avait compris et supporté la Transition, n’allait pas rester sans réaction. Et vous avez vu, au fond, que ce que j’avais comme pressentiment s’est traduit dans la réalité. Le coup d’Etat a été mis à mal ; il a été avorté par une résistance populaire. C’est malheureux parce que c’est la preuve qu’il y a toujours des gens qui ne pensent qu’à leurs intérêts égoïstes au détriment de l’intérêt général. En réalité le coup d’Etat, c’était pour contenter des politiciens et aussi pour que le RSP garde la certitude qu’il ne sera jamais dissout. Je le regrette d’autant plus que nous pensions qu’avec l’insurrection tout le monde avait compris qu’il fallait aller dans le même sens ; malheureusement, ce n’était pas le cas.
Avez-vous regretté à un moment ou à un autre d’avoir accepté cette mission au regard des difficultés qui se sont présentées à vous ?
Non, ça c’est mal me connaître (rires, NDLR). Au contraire, je peux vous dire que toutes ces difficultés ne faisaient que me renforcer dans la certitude que le chemin que nous avions pris était le bon. J’avais aussi cette certitude au fond de moi qu’il y avait quelque chose qui nous aidait. J’avais parlé de la Providence, et ce n’est pas un vain mot. Honnêtement, je n’ai jamais eu une appréhension quelconque ni de regret. Au contraire, tout cela m’a renforcé dans ma certitude que quand vous êtes sur le bon chemin, ce que j’ai appelé les forces du mal sera toujours là pour vous barrer la route. Et cela vous conforte que ce que vous faites est bien, et il faut donc aller de l’avant ; c’est ma disposition personnelle.
Les derniers jours de la Transition ont été appréciés de façon mitigée par l’opinion, avec notamment certaines nominations qui sont parues indécentes. Comment avez-vous vécu vos derniers instants à la tête du Burkina Faso ?
Est-ce que vous pouvez préciser les nominations controversées dont vous parlez pour que je puisse répondre de façon précise aussi ?
Le Premier ministre qui est passé de lieutenant-colonel à général de division, la nomination en tant qu’ambassadeurs du ministre des Affaires étrangères et de son secrétaire général , également celle de la ministre du Budget, Amina Billa, comme représentant du Burkina à Copenhague…
Je suis à l’aise pour vous répondre. Pour le Premier ministre, je n’ai pas agi sans l’assentiment de la hiérarchie militaire. Elle en a été informée et j’ai donné les raisons pour lesquelles j’ai pris cette décision. Je leur ai dit que dans la grande confusion, dans le grand danger que la Nation traversait du fait de l’insurrection populaire, on s’attendait à ce que l’armée, comme c’est dans sa logique, trouvé quelqu’un pour canaliser les mouvements et assurer les fonctions de chef d’Etat. Et en général, c’est le plus ancien dans le grade le plus élevé qui assure cette responsabilité. Nous avions des généraux à l’époque (Djibrill Bassolé, Gilbert Diendiéré, Honoré Traoré…) qui n’ont pas accepté d’assumer cette fonction au moment où la Nation était en danger (1).
C’est un lieutenant-colonel, Yacouba Isaac Zida, qui a pris la responsabilité d’assumer la fonction suprême de chef d’Etat. Est-ce que vous pouvez nier que pendant les 21 jours qu’il a pris le pouvoir il n’a pas rempli les fonctions de chef d’Etat ? Il l’a fait, il en a assumé la responsabilité alors que d’autres n’ont pas voulu le faire. Première considération. Deuxième considération, il est bien connu que lorsque l’Armée se saisit du pouvoir, il est toujours difficile de la ramener à la raison pour le remettre aux civils. Le lieutenant-colonel Zida a accepté de remettre le pouvoir aux civils au bout de 21 jours. Vous me direz que c’est sous la pression de la communauté internationale, mais en tous les cas, il l’a fait.
Nous avons connu d’autres expériences politiques dans la sous-région, notamment au Mali et au Niger, où des militaires ont géré des périodes de transition. Vous pouvez me dire à quel grade ceux-là qui y ont pris leurs responsabilités ont été élevés ? Au Mali, c’était un capitaine, Sanogo, et il a été fait général d’Armée, c’est-à-dire le grade suprême. Ici au Niger, il s’agissait d’un commandant, Salou Djibo. Il a été nommé général. C’est la troisième considération.
Au regard donc de ces trois considérations, je me suis dit que compte tenu de ce que le lieutenant-colonel Zida a fait pour la continuité de l’Etat, en plus d’avoir assumé le rôle de Premier ministre, je ne vois pas en quoi il n’était pas normal de le nommer au grade de général. Voyez que c’est tout pensé et je vous ai dit aussi que j’ai consulté la hiérarchie militaire, qui m’a fait savoir que du moment que c’est une nomination exceptionnelle, elle n’y trouvait pas d’inconvénient. Voilà ce qui a présidé à la nomination du Premier ministre Zida au grade de général.
En ce qui concerne les ministres, quand je suis venu en tant que président de la Transition, j’ai eu besoin de collaborateurs qui m’aident au niveau des Affaires étrangères (NDLR : il était aussi chef de la diplomatie burkinabè au début de la Transition), j’ai eu besoin de collaborateurs qui m’aident à conduire ce ministère qui est un département difficile. J’ai trouvé le ministre Nébié qui était alors ambassadeur nommé à Addis-Abeba et qui attendait de rejoindre son poste. C’est lui que j’ai pris comme ministre délégué et par la suite, il occupait les fonctions de ministre plein. Il était donc déjà ambassadeur et je lui ai dit que j’ai besoin de lui pour une mission d’un an et à la fin de la Transition, je l’ai nommé pour qu’il regagne son poste.
Quant au secrétaire général du ministère des Affaires étrangères, il était ambassadeur-consul général. A lui aussi j’ai demandé d’interrompre sa mission et de venir m’aider juste le temps de la Transition. Et le moment venu, c’est-à-dire à la fin de la Transition, lui aussi je l’ai nommé pour qu’il rejoigne son poste. Et au demeurant je veux vous faire noter ceci : ils occupent des postes qui ne peuvent être occupés que par ceux que nous appelons des fonctionnaires de carrière. Les ambassades multilatérales, comme Addis-Abeba et Libreville, sont obligatoirement occupées par des fonctionnaires de carrière. Or, ils sont tous deux ministres plénipotentiaires, ils sont tous deux diplomates et ils appartiennent à la maison.
La seule nomination peut-être qui peut poser problème, c’est celle de l’ancien ministre du Budget, Amina Billa. Là aussi, elle a eu à travailler énormément. En une année, on a eu d’énormes difficultés et elle a été à la hauteur. C’était juste pour la détacher de la défiance que nous l’avons nommée à un poste d’ambassadeur à Copenhague. Cela dit, ça ne veut pas dire qu’elle ne va pas revenir à son poste d’origine. Voilà ce qui a présidé à toutes ces nominations. Il n’y a eu aucune autre considération. Maintenant, c‘est le Burkina : il y a parfois la surenchère et chacun a interprété les choses à sa façon.
Revenons à l’actualité. Un mandat d’arrêt international a été émis par la justice militaire contre Guillaume Soro, président de l’Assemblée nationale ivoirienne. Etiez-vous pour ou contre ?
Je n’ai jamais eu à empiéter sur les affaires judiciaires du temps où j’étais président. Aucun juge ne vous dira que le président que j’étais l’a appelé pour lui signifier tel ou tel problème. J’ai tenu à respecter la séparation des pouvoirs. Je n’ai pas été particulièrement mis au courant du mandat d’arrêt contre Monsieur Guillaume Soro. Je l’ai appris comme tout le monde. Du reste, c’était après la Transition. Mais je me dis quand même qu’il y a une situation grave qui a été créée au Burkina, il y a eu un coup d’Etat, c’est-à-dire que des officiers ont enfreint la loi, c’est ce qu’on appelle l’atteinte à la sûreté de l’Etat. Il se trouve qu’il y a des connivences à l’extérieur, donc les mandats d’arrêt qui concernent les complicités à l’extérieur, pour moi, ne posent aucun problème. Quand un mandat d’arrêt est émis contre quelqu’un, ça ne veut pas dire que la personne est condamnée. Mais si la personne est impliquée par des preuves concrètes que l’on détient, il lui suffit d’aller répondre, de se justifier. Et si vraiment la personne n’a rien à voir dans l’affaire, elle est relaxée. Je ne trouve donc pas qu’il y a un problème à lancer un mandat d’arrêt contre le président de l’Assemblée ivoirienne, Guillaume Soro.
Le 15 janvier dernier, le Burkina Faso a encore été durement éprouvé, cette fois par une attaque djihadiste au café Cappuccino et au Splendid hotel de Ouagadougou. Comment avez-vous vécu ces moments durs ?
(Soupir) Péniblement, comme tous les Burkinabè, même si je savais que le Burkina était dans l’œil du cyclone ; parce que j’ai eu moi-même à gérer le ministère de la Défense et de la Sécurité. Tous les renseignements que nous avions de tous côtés nous faisaient comprendre qu’il y avait des inquiétudes en la matière. Durant tout le temps de la transition, nous avions des réunions régulièrement avec toutes les forces de défense pour échanger et voir de quelle manière nous pouvions sécuriser davantage le pays. Tenez-vous bien, j’avais jusque-là remarqué que tous les attentats commis un peu partout dans le monde se passaient toujours un vendredi. Je l’ai fait remarquer aux forces de défense au cours d’une réunion et ai indiqué qu’il fallait que nous prenions les dispositions nécessaires pour sécuriser les hôtels et tous les lieux qui peuvent faire l’objet d’attentat. Et si vous avez remarqué, il fut une période où tous les jeudis on faisait des opérations coup de poing qui se prolongeaient par une sécurisation des lieux publics le lendemain. Nous prenions toutes les dispositions pour éviter, peut-être pour retarder, car nous savions que quelque chose se préparait. Nous faisions tout pour que ça n’arrive pas.
Et lorsque j’ai vu le président Roch Kaboré pour la passation, je me suis longuement étendu sur cette question de sécurité. Je lui ai dit que c’est ça la grande préoccupation. Ça aurait pu arriver à n’importe quel moment. C’est vraiment dommage que ce soit arrivé. Je pense simplement qu’il faut tirer la leçon qu’avec le terrorisme, d’abord la lutte solitaire ne paie pas. Il faut toujours une association, une coalition des forces. Et c’est pour ça que le G5 a été créé : 5 pays du Sahel se sont retrouvés pour dire qu’ils sont la ligne de front contre le terrorisme. Je sais aussi qu’au niveau continental, il est question d’une stratégie de lutte contre le terrorisme. Je crois que c’est de la seule façon, doublée de la vigilance, que l’on viendra à bout du terrorisme.
Vous êtes ici à Niamey dans le cadre d’une mission d’observation des élections nigériennes au nom de l’Organisation internationale de la Francophonie. Quel bilan faites-vous à l’issue de cette mission ?
Nous avons eu beaucoup de contacts, d’entretiens autour des élections ici au Niger et le constat est que, manifestement, il y a eu quelques dysfonctionnements, notamment au niveau de l’organe chargé de l’organisation, c’est-à-dire la CENI. Il faut comprendre cette CENI qui n’est pas comme celle du Burkina qui, elle, est permanente. La CENI nigérienne a été organisée pour les élections et va donc disparaître après elles. Ce fait a pu donner lieu à certaines défaillances. Et quand nous avons rencontré le président de la CENI, il a reconnu qu’il y a des choses à corriger. Mais en dehors des dysfonctionnements, vous avez constaté comme nous que les Nigériens se sont présentés dans les bureaux de vote de façon massive et calme. Le problème est qu’il y a eu des bureaux qui sont restés fermés jusqu’à 11 heures ; moi-même j’en ai vu. Mais les correctifs ont été apportés et les bureaux qui ont ouvert en retard sont restés ouverts jusque tard la nuit et les bureaux qu’on n’a pu ouvrir dimanche ont continué le vote lundi sur autorisation de la CENI.
Cependant, toute élection donne toujours lieu à des contestations, des divergences. Le discours de l’OIF et de la délégation que j’ai conduite est que chacun fasse prévaloir l’intérêt général du Niger en lieu et place de son intérêt particulier. Il faut que tous ceux qui sont responsables dans ces élections puissent avoir la maîtrise de soi et évitent les contestations. S’il y a des contestations, il faut user des voies légales, parce qu’une fois qu’on entre dans un cycle infernal, nul ne sait où ça va s’arrêter. C’est ce discours que nous avons tenu à toutes les parties prenantes à ces scrutins. Je pense que nous avons été compris et ce que nous souhaitons, c’est que le processus se termine dans la paix, le calme. Nous espérons que les Nigériens, qui sont un peuple pétri de sagesse, feront en sorte qu’il n’y ait pas de débordements.
Entretien réalisé à Niamey par
M. Arnaud Ouédraogo