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Etat de droit et organisations d’autodéfense : une liaison dangereuse
Publié le mercredi 24 fevrier 2016  |  L`Observateur Paalga




Juriste-consultant, analyste politique et ancien député, l’auteur de l’écrit ci-dessous, Wilfried Zoundi, donne dans les lignes qui suivent sa vision des associations Koglwéogo.

Face à un phénomène qui a pignon sur rue au sein de notre société, dont le besoin pressant de sécurité est une lapalissade, entre approbation et désapprobation, acclamation et condamnation, nous avons cru utile de nous jeter dans l’écheveau brûlant de l’actualité en donnant notre avis technique sur la problématique dite des associations koglwéogo.

De la base légale des « associations » koglwéogo

« La liberté est le droit de faire ce que les lois permettent », disait Montesqieu dans l’esprit des lois.

Notre Constitution dispose en son article 21 ceci : « La liberté d’association est garantie. Toute personne a le droit de constituer des associations et de participer librement aux activités des associations créées. Le fonctionnement de ces associations doit se conformer aux lois en vigueur… »

Parlant de lois en vigueur, la liberté d’association au Burkina Faso est régie par la loi 10/92 /ADP du 15/12/1992, modifiée par la loi 064-2015/CNT portant liberté d’association au Burkina Faso, qui définit la notion d’association en son article 3 en ces termes : « Tout groupe de personnes physiques ou morales, nationales ou étrangères, à vocation permanente, à but non lucratif et ayant pour objet la réalisation d’objectif commun, notamment dans les domaines culturel, sportif, social, spirituel, religieux, scientifique, professionnel ou socio-économique (…) ».

Par ailleurs , il existe dix (10) composantes de la société civile (différente de la société politique qui est régie par la loi 032-2001/AN portant charte des partis et formations politiques) au Burkina Faso : les organisations féminines, les instituts de recherche, les organisations syndicales, les organisations religieuses, les associations de défense des droits humains et mouvements spécifiques, les organisations professionnelles de médias, les ONG et associations de développement, les mouvements et associations de jeunesse, les organisations paysannes, les associations sportives et culturelles. Ces différentes composantes ont été reprises par les statuts du Conseil national des OSC au Burkina Faso.

Nulle part n’y figure la composante justice et sécurité des personnes et des biens, qui relève exclusivement du domaine régalien de l’Etat. Même si, en la matière, il est demandé la collaboration de la population à travers les dénonciations. En outre, les taxes et impôts payés permettent de doter les institutions étatiques de moyens de fonctionnement, d’où l’intérêt du civisme fiscal.

Ainsi, les organisations koglwéogo, qui auraient pour objectif la justice et la sécurité des personnes et des biens, existent et fonctionnent sans base légale, car la « justice n’existe que quand les hommes sont aussi liés par la loi », dixit Aristote, Ethique à Nicomaque. Dans cette même optique, maître Jean Marc Varaut, avocat spécialiste des libertés publiques et du droit pénal, dira dans son ouvrage « le possible et l’interdit : les devoirs du Droit » que « c’est au Droit seul de dire qui est qui …de fixer le seuil de l’acceptable et de l’inacceptable ».

Koglwéogo n’est ni plus ni moins qu’une organisation sui generis (inclassable), un O VNI (Objet Volant Non Identifié) au sein de notre espace juridico-politique. La démocratie étant la traduction politique de l’Etat de droit et l’Etat de droit la transposition juridique de la démocratie.

A titre de droit comparé, la Constitution américaine, contrairement à celle du Burkina Faso, a consacré et codifié le droit à l’autodéfense. En effet, son article 2 des 10 premiers amendements dispose ceci : « Une milice bien organisée étant nécessaire à la sécurité d’un Etat libre, le droit qu’a le peuple de détenir et de porter des armes ne sera pas transgressé. » La cour suprême américaine, dans un arrêt célèbre, avait même considéré que l’autodéfense était un élément central du Droit (district of Columbia c/Heller).

En réalité, cette caution légale procédait d’une rhétorique anti- fédéraliste consistant en la peur que le gouvernement fédéral pouvait désarmer le peuple et annihiler toute résistance populaire. La notion de milice d’Etat était originaire d’Angleterre au 12e siècle où le roi Henry 2 obligeait les citoyens à posséder des armes pour protéger la paix du roi. Une sorte d’armée de réserve sur le qui-vive contre toute oppression extérieure.

Cette exigence se justifiait surtout par l’absence d’une armée régulière et de forces de police.

De la menace contre l’Etat de droit et les droits de l’homme

Etymologiquement le mot « justice » émane du latin « justifia », qui signifie « conforme au droit ».

Pourtant, les actions des koglwéogo sont aux antipodes de la conformité au Droit. Nous assistons à une violation monstre des droits humains.

L’article 124 de la Constitution dispose : « Le pouvoir judiciaire est confié aux juges… » Toute justice parallèle rimerait avec exécutions sommaires, extrajudiciaires, bref vindicte populaire ou vendetta. La justice étatique ne peut s’accommoder de la justice privée et populaire. « Seul l’Etat a le monopole de la violence légitime », disait Max Weber.

Toute violence en dehors de l’Etat est illégale, illégitime et arbitraire. Il n’appartient donc pas à un groupuscule d’individus, soit-il animé de bonne foi et de bonne volonté, de se substituer à la puissance publique pour réguler la société. C’est ajouter l’inquiétude à l’inquiétude sécuritaire de la population. C’est, à n’en point douter, le déni de l’Etat de droit et, partant, la déchéance de la république.

Entre l’Etat de droit et l’Etat d’exception, il n’y a plus d’option possible : nous sommes irrévocablement dans le registre de l’Etat de droit. A ceux qui pencheraient pour le bémol je dirai ceci : un Etat de droit, imparfait soit-il, vaut mieux qu’une anarchie parfaite. Ce principe ne souffre point d’exception. C’est pourquoi force doit rester à la loi et à l’autorité de l’Etat seul. Car si « ...L’Etat est faible nous périrons », nous prévenait Paul Valéry. Qu’il me soit permis de toucher du bois.

La Déclaration universelle des droits de l’homme de décembre 1948, ratifiée par le Burkina Faso à laquelle sa Constitution se réfère dans son préambule, dispose en ses articles 10 et 11 que « toute personne a droit, en pleine égalité, à ce que sa cause soit entendue équitablement et publiquement par un tribunal indépendant et impartial, qui décidera, soit du bien-fondé de toute accusation en matière pénale dirigée contre elle(.. .) » et « toute personne accusée d’un acte délictueux est présumée innocente jusqu’à ce que sa culpabilité ait été légalement établie ». La présomption d’innocence est inexistante dans le jargon des koglwéogo. Sur la base de simples soupçons, on peut vous faire passer de vie à trépas. Nul n’est à l’abri.

A l’époque de la révolution, dans l’exposé des motifs sur la création des tribunaux populaire, le ministre de la Justice, le capitaine Blaise Compaoré, affirmait ceci : « Les tribunaux populaires de la révolution, les tribunaux populaires des secteurs, villages, départements et provinces poursuivent un double but : le maintien de l’ordre public et la prévention du banditisme», et le président du conseil national de la révolution, le capitaine Thomas Sankara, dans son discours d’ouverture des assises des tribunaux populaires le 03 janvier 1984, précisait que « les juges des tribunaux populaires révolutionnaires ont été choisis (…) avec la mission d’accomplir la volonté du peuple. Pour ce faire, nul besoin pour eux de connaître les vieilles lois. Etant issus du peuple, il suffit qu’ils se laissent guider par le sentiment de la justice populaire » (voir « la justice populaire au Burkina Faso », ministère de la Justice 2e édition PP .10 et 16). Autres temps, autres mœurs ! dit-on. Cette époque est révolue.

D’ailleurs, les décisions des tribunaux populaires ont été révisées et moult personnes qui jadis avaient été mises en cause ont été indemnisées par l’Etat à la faveur du renouveau démocratique amorcé par notre pays. Il appartient désormais à l’Etat de jouer son rôle régalien. Une œuvre titanesque qui requiert absolument le recours du peuple.

Cependant, l’action du peuple doit s’inscrire dans le strict respect de la légalité. Dans ce sens, l’article 71 du code de procédure pénale dispose que « dans les cas de crime flagrant ou de délit flagrant puni d’une peine d’emprisonnement, toute personne a qualité pour en appréhender l’auteur et le conduire devant l’officier de police judiciaire le plus proche ». La loi dit bien que « toute personne » peut appréhender et remettre à l’officier de police judiciaire. Il s’agit d’un droit étroit. Tout abus doit être sanctionné. A défaut de la part de ces structures de s’inscrire dans le cocon de cette légalité, il convient de jeter le bébé avec l’eau du bain sans tergiverser et sans remord. Toute personne, koglwéogo soit-elle, ne peut s’arroger le droit d’arrêter, séquestrer, juger, torturer, percevoir des amendes, voire exécuter sommairement des personnes sans se mettre en porte-à-faux avec les lois de la république. Au-delà des bavures, ces actes sont purement criminels. Ce ne sont rien d’autres que des infractions de violences et voies de fait passibles de poursuites pénales. « sed lex dura lex » (la loi est dure mais c’est la loi) disent les Latins.

L’Etat est un et indivisible. La justice est une et indivisible. Il ne peut y avoir d’Etat dans l’Etat ni de justice en dehors de la justice. La bravade de l’autorité jusque dans ses fondements est une évidence imparable. Les récents événements de Sapouy sont des signes avant-coureurs forts. Je réaffirme avec force ceci : entre les organisations d’autodéfense et l’Etat, toute compromission est coûteuse et toute liaison dangereuse.

In fine, koglwéogo et assimilés que sont ‘’pab n’sonsè’’ à Manga, ‘’bowanga’’ vers la région du Centre et tutti quanti doivent être mis radicalement hors d’état de nuire. Tout ménagement ou compromission seraient contre-productifs. A Ce titre, l’illustre journaliste Norbert Zongo débutait son éditorial de l’Indépendant numéro 00 du 03 juin 1993 par cette mise en garde solennelle :« Les peuples comme les hommes politiques finissent par payer leurs compromissions ; avec des larmes parfois, du sang souvent, mais toujours dans la douleur. »

Puisse le Tout-Puissant nous en épargner ! Mais encore faudra-t-il que nous attachions du prix à cette prophétie digne d’intérêt.



Wilfried Zoundi

Juriste-consultant

Analyste politique

Ancien député
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